Si l’habit ne fait pas le moine, le costume fait le Père Noël : Babar et le Père Noël (1941-2021)
Album posthume de Jean de Brunhoff, Babar et le Père Noël est publié en France en 1941. Quatre-vingts ans plus tard, la métamorphose de Babar en Père Noël conserve un charme entier : celui de notre éléphant national s’appropriant un mythe contemporain – le Père Noël – en plein développement alors même que l’édition n’est sans doute pas totalement fidèle à son auteur.
On se souvient de l’histoire : les enfants du roi Babar ont écrit au Père Noël sur les conseils de petit singe Zéphir pour demander à ce dernier de venir distribuer des cadeaux la nuit de Noël au Pays des éléphants. Comme le Père Noël ne répond pas et que les enfants s’attristent de jour en jour, Babar décide d’aller lui-même à la rencontre du Père Noël. Il range sa couronne dans sa valise et part pour l’Europe. Première étape Paris, puis la Bohème, des paysages de neige, une tempête et bientôt, au pire moment de la tempête, sous l’igloo de fortune qui cède sous le poids de l’éléphant, c’est l’arrivée inopinée dans la maison du Père Noël. S’en suit une rencontre faite de soutien mutuel : le Père Noël soigne Babar évanoui et transi de froid, puis Babar conduit un Père Noël éreinté au Pays des éléphants où ce dernier fait la sieste entre deux palmiers.
En revanche, le Père Noël, lui-même, ne viendra jamais la nuit de Noël pour faire la distribution des cadeaux. Il n’a pas le don d’ubiquité et il est vraiment trop fatigué : il doit repartir faire la distribution des cadeaux aux enfants des hommes. Et pourtant, il n’a pas oublié la promesse faite aux enfants éléphants. C’est alors que les pouvoirs du Père Noël sont transférés à Babar par l’intermédiaire d’un cadeau : un « costume magique » de Père Noël à la taille de Babar.
Par l’intermédiaire de ce cadeau directement sorti de la hotte du Père Noël, Babar devient le Père Noël, Babar est le Père Noël. Le vrai cadeau est celui de la transmission qui se transforme en appropriation.
Le jeune lecteur qui a suivi l’attente des petits éléphants - attente qui peut être la sienne après avoir envoyé sa lettre au Père Noël- se rêve désormais, avec Babar, en Père Noël lui-même. En comprenant ainsi qu’il y a tout à la fois de la magie et de l’imaginaire dans le Père Noël, il pourra plus tard admettre que si le Père Noël n’existe pas, il faut continuer à le réinventer chaque année, pour le petit frère, la petite sœur ou le petit cousin qui y croient encore. Ainsi, de façon assez subtile, l’enfant s’approprie la vérité derrière le mythe tout en continuant à rester sous le charme de la nuit de Noël.
Soixante-huit ans plus tard, Dorothée de Monfreid propose à son tour en 2009 à son éléphant de devenir Père Noël. Dans Coco Noël le décor de l’hiver permet à l’autrice de glisser un détail vestimentaire qui révèle la nudité du personnage: Coco est nu parce qu’il ne porte qu’une écharpe alors que dans les autres albums sa nudité est son costume. Mais page après page, Coco s’habille car il découvre, en creusant la neige, et son lecteur, en soulevant les fenêtres de l’album, les habits du Père Noël. Et l’on voit Coco devenir à son tour le Père Noël. Le Père Noël s’est fait la malle pour aller à la plage. Qu’à cela ne tienne, Coco endosse le costume et reprend le flambeau : le voilà dans le ciel pour la distribution des cadeaux. Il reçoit en remerciement un bel arbre tropical de la part du Père Noël.
Au-delà des nuances et des tonalités, c’est bien le même processus d’appropriation du personnage qui est à l’œuvre dans les deux albums de jeunesse : celui du devenir Père Noël du héros. Que la référence de Dorothée de Monfreid à Jean de Brunhoff soit ici implicite voire inconsciente, on croit pouvoir y déceler l’importance du dernier album du créateur de Babar.
Mais l’édition de l’album relève plus d’un mystère à lire le chapitre qui lui est consacré dans le livre d’Isabelle Nières-Chevrel Au pays de Babar, les albums de Jean de Brunhoff (2017). L'auteure rapporte un propos intéressant de Jean de Brunhoff : « les personnages que nous créons ne se laissent pas semer. Abandonné à Paris, Babar me força à aller le retrouver à Londres » (p. 205).
En effet, publié par Hachette de façon posthume en 1941, dans une mise en page peu respectueuse du travail de l’auteur, le texte que nous lisons aujourd’hui est sans doute une traduction des publications en feuilleton paru dans le Daily Sketch entre novembre 1936 et janvier 1937. La publication en album par Hachette est postérieure à l’édition anglaise et à l’édition américaine pour des raisons que l’entrée en guerre explique en partie.
Sans savoir ce qu’aurait pu être la version autorisée et assumée par l’auteur en français, c’est sur la traduction du titre en anglais que l’on souhaiterait ici s’arrêter. Publié sous le titre Babar and Father Christmas, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Angleterre, le choix de « Father Christmas » pour le Père Noël interroge. A une époque où le Père Noël se fige, de plus en plus, avec la campagne de promotion d’un soda bien connu, sous les traits de Santa Claus, pourquoi le Père Noël de Babar est-il encore, selon une tradition qui deviendra minoritaire, « Father Christmas ».
Mais c’est une autre histoire…et une enquête à mener jusqu’à Noël prochain.
Pour en savoir plus
Billets du blog Gallica sur le Père Noël : "Petit Papa Noël quand tu descendras du ciel", 1 et 2
Jean de Brunhoff à la BnF
Catalogue de l'exposition sur Babar au Musée des arts décoratifs et à la BnF (2011-2012)
Commentaires
La magie du costume
Qui ne rêverait pas du costume magique offert par le Père Noël à Babar, après avoir découvert cet album âgé de 80 ans... cette présentation, agréablement illustrée, donne envie d'en savoir plus sur l'histoire et les usages des costumes du Père Noël, depuis l'origine du mythe jusqu'à nos jours, à travers les livres pour enfants.
Pour la période récente, la référence à l'album "Coco Noël" est particulièrement intéressante à ce titre.
On espère lire la suite de l'enquête!
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