Lettres et littérature : visions du Brésil
À partir du XVIIIe siècle de nombreux explorateurs, aventuriers ou scientifiques sont partis à la découverte du Brésil et leurs contributions ont fécondé l’imaginaire des écrivains. Publié en 1745, le récit de l’expédition de La Condamine, premier scientifique à oser descendre L’Amazone, sera la source de plusieurs romans. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la « Mission artistique française » de 1816 inspirera de nombreuses œuvres de fiction. Le Bulletin de la Société de Géographie, ou la Revue des Deux Mondes, fondée en 1829, ont aussi contribué à transmettre des informations sur ces régions dites « exotiques ». En 1840, paraît Sylvino et Anina : mœurs brésiliennes, de C.M Antonet, sorte de variante regorgeant de détails pittoresques du Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. En 1856 et 1857, Émile Carrey publie les quatre tomes de L’Amazone. Certains romanciers afficheront un dessein plus didactique, tel M. Ruelle-Pomponne avec son Épopée au Brésil (1869), tandis que d’autres, comme l’officier de marine Guillaume de La Landelle, s’inspireront à la fois de leur vécu et de leurs lectures : Aventures et embuscades, histoire d’une colonisation au Brésil paraîtra en 1883.
Au XIXe siècle le roman pour la jeunesse s’intéresse à l’espace brésilien et en particulier aux régions situées en Amazonie et en Guyane. La nature sous les tropiques, empreinte de mystère et d’exotisme a inspiré bien des récits romanesques. En 1859, dans Un pays inconnu, Alexandre Dumas père renoue avec les rêves d’Eldorado du Candide de Voltaire et conduit ses héros à la rencontre de peuplades ignorées. Émile Carrey, déjà auteur de L’Amazone, destine aux enfants Les Aventures de Robin Jouet (1864) et Louis Boussenard publie en 1887 Les chasseurs de caoutchouc, qui appartient à sa série des Robinsons de la Guyane. Les aventuriers de l’Amazone, d’Armand Dubarry, célèbre pour ses romans coloniaux, paraît en 1890. Mais c’est Jules Verne qui donnera à cette littérature ses lettres de noblesse, avec La jangada : huit cents lieues sur L’Amazone, publié en 1881.
La Revue des Deux Mondes, fondée en 1829, eut une influence considérable sur la vie intellectuelle de cette époque. Diffusée à Rio de Janeiro, à São Paulo et à Recife, elle établit un dialogue transatlantique. Pendant son âge d’or (1830-1880), une quarantaine d’articles sont consacrés au Brésil et des liens culturels solides se tissent entre la France et le Brésil.
Et c’est à Paris, en 1836, qu’un collectif de jeunes brésiliens décide de créer une autre revue : Nitheroy : Revista brasiliense - Sciências, Lettras e Artes, qui ne vécut que l’espace de deux numéros mais créa l’événement. L’un de ces fondateurs, Domingos José Gonçalves de Magalhães (1811-1882), signe d’ailleurs un essai littéraire qui présente le Brésil comme « le fils de la civilisation française ».
En 1843, la Lanterna Mágica, premier périodique illustré de caricatures est fondé, et en 1849, Joaquim Manuel de Macedo, Gonçalves Dias et Manuel de Araújo Pôrto Alegre créent Guanabara. En 1867, paraît Ba-ta-clan, un hebdomadaire sous-titré « chinoiserie franco-brésilienne », qui aborde les sujets les plus brésiliens qui soient tout en étant entièrement rédigé en français.
La revue, espace de création et de débats d’idées, nourrit la vie intellectuelle et favorise ces « regards croisés », que les deux pays ont à cœur de cultiver de part et d’autre de l’Atlantique.
A l’époque romantique, l’influence de la poésie française est indéniable sur les trois générations qui ont défini littérairement les décennies de 1840 à 1860 au Brésil. Chez Gonçalves Dias, célèbre pour ses poèmes indianistes, résonnent des échos de Lamartine, Vigny, Musset, et l’ascendance de Victor Hugo est évidente. Comme ses compagnons, Gonçalves de Magalhães et Araújo Porto Alegre, la Préface de Cromwell l’a profondément marqué. Ce manifeste du Romantisme français a aussi séduit la seconde génération des romantiques brésiliens (Álvares de Azevedo) et Hugo est encore la figure tutélaire de la troisième génération, dont Castro Alves est le représentant majeur. Les idées progressistes et libertaires du poète bahianais trouvèrent leur inspiration dans la satire politique et sociale des Châtiments et dans les vers « épiques » de La légende des siècles.
Baudelaire servit de modèle à la génération suivante, celle de 1870, tandis que les grands représentants du Parnasse brésilien, Alberto de Oliveira, Raimundo Correia et le plus célèbre d’entre eux : Olavo Bilac, s’inspirèrent de l’œuvre de Gautier, Banville, Lecomte de Lisle et Hérédia. En tant qu’école, le Parnasse se prolongea jusqu’aux années 20, supplanté alors par le Modernisme.
Ce courant artistique international, à son apogée dans les premières décennies du XXe siècle, regroupe diverses manifestations avant-gardistes qui s’affirmeront pendant la Semaine d’Art moderne de São Paulo en 1922. Avec Tarsila do Amaral et Mario de Andrade, Oswald de Andrade est l’une des figures majeures de ce mouvement. Il est l’auteur du Manifeste anthropophage (1928) et du recueil de poèmes Pau Brasil (1925), dédié à son ami Blaise Cendrars.
Si Victor Hugo a rayonné sur la culture brésilienne durant tout le XIXe siècle, le Brésil en revanche est peu présent dans l’œuvre du poète français. Charles Ribeyrolles, son compagnon d’exil à Jersey, et auteur d’un Brésil pittoresque publié en 1859, lui fit partager sa passion pour ce pays. Chansons des rues et des bois (1865) évoque une certaine Rosita Rosa, venue de « ce Brésil/ si doré qu’il fait du reste/ de l’univers un exil » (Gare !). Un poème célébrant « le vaste Brésil aux arbres semés d’or », publié au Brésil en 1902, sera attribué à Hugo. Son rayonnement déborde même la littérature puisqu’un opéra, Maria Tudor, est composé par Carlos Gomes entre 1874. Pour les Brésiliens, Hugo fut un héraut de la liberté et à sa mort, un recueil en forme d’hommage, reprenant 107 de ses poèmes, traduits par certains des plus grands écrivains de l’époque, fut publié. Mais ce point d’orgue fut aussi le chant du cygne de l’influence hugolienne. Une fois l’esclavage aboli et la république établie, la modernité se situait du côté du courant réaliste.
A la suite de la « Mission artistique française » qui a débuté à Rio de Janeiro en 1816, et à partir de ce point de vue tout européen, celui d’artistes liés au Premier Empire napoléonien, s’est tissée une certaine vision du Brésil. Au-delà d’une perception née d’un regard étranger, se noue dès lors entre la France et le Brésil une relation dialectique qui ne cessera de s’enrichir. D’abord nourries de thématiques liées aux tropiques, les œuvres se modèlent les unes aux autres, balancent entre identité et altérité et dialoguent entre elles.
Le Romantisme du Nouveau Monde donnera naissance à différents courants, avant que les Parnassiens occupent à leur tour la scène, puis la cèdent aux mouvements réalistes et naturalistes. Plus tard, grâce à la vogue nouvelle des chroniques et reportages véhiculés par la presse, les esthétiques fin de siècle s’élaboreront, annonçant toute la modernité du XXe siècle.