Paris vu par les utopistes du XIXe siècle

en 1832, Charles Duveyrier (1803-1866), dans le cadre du tome 8 de Paris ou le livre des cent-et-un, vaste recueil aux multiples auteurs, à la notoriété généralement plus grande que celle de ce jeune saint-simonien, publie un chapitre d’une trentaine de pages, La ville nouvelle ou le Paris des saint-simoniens où il donne libre cours à sa volonté réorganisatrice et à des envolées lyriques.

En 1852, Théophile Gautier republie un article (paru l’année précédente dans la presse)   de  Caprices et zigzags, aux pages 307-327 intitulé Paris futur où, mi-rêveur mi-sérieux, il propose les bouleversements les plus radicaux.

En 1856, le recueil collectif Paris et les parisiens au XIXe siècle : mœurs, arts et monuments, auquel contribuèrent les plus grandes plumes du moment, se clôt sur le chapitre « Paris futur », dû à Arsène Houssaye (1815-1896), qui  transporte le lecteur en 2855 dans une ville considérablement agrandie et embellie, devenue capitale de l’univers.

En 1858, Joseph Déjacque (1822-1861?), libertaire exilé, publie L’humanisphère (ici dans l’édition de 1899), où « sur l’emplacement de Paris, une construction colossale élève ses assises de granit et de marbre, ses piliers de fonte d’une épaisseur et d’une hauteur prodigieuse » : la solidité architecturale répond de l’harmonie sociale enfin acquise. Au banquet de la vie, « les hommes futurs (…) consomment selon leur goût de tout ce qui leur paraît agréable, sans que jamais aucun d’eux n’abuse avec gloutonnerie ».

en 1863, Paris en songe, de Jacques Fabien, résume dans son sous-titre un ambitieux programme social : essai sur les logements à bon marché, le bien être des masses, la protection due aux femmes, les splendeurs de Paris et divers progrès moraux, tels que « chambres des transactions, justice à trois degrés, tribunaux d’indulgence et de pardon, honorariat du commerce, Parlement de la paix ».

en 1865, Paris nouveau et Paris futur, dû à la plume du journaliste Victor Fournel (1829-1894), s’évade du cadre des descriptions historiques ou sociales coutumières de l’auteur, pour anticiper sur le Paris futur de 1965 (un siècle plus tard), auquel près de la moitié de l’ouvrage est consacré.

La même année, L’an 5865, ou Paris dans 4000 ans, du docteur Hippolyte Mettais, effectuant un bond de 4 millénaires, s’emploie à souligner combien les civilisations sont précaires.

en 1869, Paris en l’an 2000, d’un autre médecin, Tony Moilin (1832-1871), mêle rêveries architectoniques visiblement inspirées de Charles Fourier et programme politique réformiste que trois Républiques successives auront de nos jours en partie réalisé (impôt sur le revenu, « Secrétaire de la République » élu au suffrage universel direct, « École d’administration », etc.).

en 1875, Les ruines de Paris en 4875 sont évoquées par l’historien Alfred Franklin (1830-1917). Une édition augmentée en reparaîtra en 1908 sous le titre : Les ruines de Paris en 4908. Invitation à méditer sur la disparition des civilisations, et le caractère conjectural des interprétations d’archéologues qui ne disposent que de traces fragiles pour étayer leurs hypothèses.

En 1883, puis en 1892, c’est essentiellement  Paris qu’Albert Robida (1848-1826) prend pour décor de ses textes et dessins anticipant le siècle à venir dans Le vingtième siècle : l’amateur d’ un «vieux Paris» sans doute idéalisé s’y inquiète des dommages, destructions et reconstructions pas toujours heureuses auxquelles procède le monde moderne.

En 1888, si c’est sous la dénomination de Franqueville que Neulif décrit la capitale de  son Uthopie [sic] contemporaine, cette ville est une sorte de Paris idéal.

En 1890, Alain Le Drimeur, dans La cité future décrit le Paris de 2001, devenu à la fois « capitale de l’Europe » et « métropole incontestée de la Terre ».

En 1894, Camille Flammarion (1842-1925) se place au XXVe siècle et y situe La fin du monde qui évidemment n’épargne pas Paris désormais peuplé de 9 millions d’habitants.

En 1896, le sociologue Gabriel Tarde (1843-1904) publie son Fragment d’histoire future où, au XXVe siècle encore, un changement climatique a rendu Paris inhabitable.

Les publications périodiques témoignent de l’appréhension de la catastrophe. Le Journal des voyages, dans sa livraison du 19 janvier 1902, sous la plume de Victor Forbin signant Le déluge de glace,  inquiète les Parisiens avec la terrifiante image de « l’orgueilleuse tour de trois cents mètres [qui]  s’écroulera comme un château de cartes ».

En 1903, Anatole France, dans le chapitre V de Sur la pierre blanche, conduit le lecteur dans un Paris  de l’an 2270, métamorphosé en heureuse capitale de « la fédération des peuples ».

En 1913, l’ancien éditeur de livres de luxe Albert Quantin, avec En plein vol, vision d’avenir, voit édifiée en 2001 une cité agrandie, régénérée par 70 ans de socialisme et se défaisant peu à peu des rigidités haussmanniennes qui la corsetaient.

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Les utopies peuvent se bâtir ex nihilo, c’est-à-dire en niant tout enracinement géographique connu, et en faisant abstraction de la temporalité. Mais elles peuvent aussi s’édifier en se substituant, d’un coup ou progressivement, à des cités ou des pays identifiables, voire nommément désignés. Tel était le cas, au XVIIIe siècle, de la vaste fresque utopique  qu’est L’an 2240 de Louis-Sébastien Mercier qui prenait Paris pour décor, en en faisant une ville devenue  idéale. Cette vision prospective de la ville ne fera que s’accentuer au siècle suivant.

La période de bouleversements architecturaux et sociaux qu’a connue la ville de Paris au XIXe siècle, en particulier sous l’impulsion des préfets de la Seine, le comte de Rambuteau (1781-1869), en fonction de 1833 à 1848, et le baron Georges-Eugène Haussmann (1809-1891), en fonction de 1853 à 1870,  ne fut pas sans retentissement sur le monde de l’édition du temps. Tour à tour, en contrepoint de polémiques sur la déploration du « vieux Paris qui n’est plus », ou, au contraire, de critiques de ce qui se bâtissait sous leurs yeux, urbanistes, hygiénistes ou romanciers s’employèrent à dresser sur la papier le plan du Paris de leur rêve. Le 2e volume du Diable à Paris  est typique à cet égard : à quelques pages de la notice nostalgique  d’Honoré de Balzac intitulée Ce qui disparaît de Paris,  prenaient place dans l'édition de 1868 les dessins légendés de Grandville (1803-1847) de la série Paris futur, exposition de l’avenir ; si certains n’avaient d’autre but que comique, d’autres prenaient une inquiétante tonalité dystopique.