Poétesses travailleuses au XIXe siècle
Au XIXe siècle, une production poétique issue des classes populaires émerge. Comme dans bien d'autres cas, ce sont surtout les hommes qui en ont récolté les (rares) lauriers. Qu'en est-il des poétesses travailleuses, rebelles plus ou moins discrètes, entre révolte et conformité?
Fleuriste, chansonnière, poétesse et goguettière, Elie Deleschaux a été, avec Elisa Fleury, l'une des célèbres chansonnières de son temps.
L'on trouve deux de ses chansons les plus connues, Maman bonne-aventure et Lettre à mes amis au sein d'un article qui lui est consacré dans Les Coquelicots du 1er février 1891. Elle a par ailleurs composé la musique de plusieurs chants:
- Le bataillon de Belleville, Paris, Rocher, 1879
- Le carillon des glouglous, Paris, Brun, 1878
Couturière, mais surtout célèbre chansonnière de son temps, Elisa Fleury a été la seule femme membre de la prestigieuse goguette parisienne de la Lice chansonnière.
- Album de poésies et chansons, Paris, Simon Raçon et Cie, 1858
- Un coup d'oeil sur le Havre, Paris, Jules Juteau,1843
Issue d'une famille populaire normande, on en sait peu sur Marie-Laure, poétesse morte très jeune.
- Les Eglantines, Paris, Coquebert, 1843
- Marie-Laure, essais en prose et poésies, Paris, Labitte, 1844 (il s'agit de ses oeuvres complètes, publiées après sa mort par Théodore de Banville)
Servante normande, Rose Harel publie son oeuvre principale L'alouette aux blés en 1863. Elle aurait aussi été goguettière, selon un article de Xavier Privas.
- L'alouette aux blés, Lisieux, Renault, 1863
- La Paquerette, Paris, Hamelle, 1903
Antoinette Quarré, lingère et couturière, a publié son recueil Poésies en 1843, avec le concours de son protecteur Dominique Roget de Belloguet. Ce dernier n'est pas encore disponible sur Gallica. En revanche, on peut y trouver le Journal de la Côte d'or qu'elle a cofondé avec son mari en 1841.
Meunière normande, Marie-Caroline Quillet était poétesse.
- Eglantine solitaire, Paris, Amiot, 1847
Marie Ravenel était une meunière poétesse normande. Ses oeuvres ne sont pas encore disponibles sur Gallica, mais l'on peut en trouver des extraits dans l'ouvrage que lui a consacré l'abbé Victor-Hébert Duperron:
- Etudes biographiques, poésies et mémoires, Valognes, Carette-Bondessein, 1852
Être femme et écrire, être ouvrier et écrire : voilà deux manières non-conventionnelles et fort débattues de se présenter en littérature au XIXe siècle. Les premières sont accusées d'être des "bas-bleus" et d'outrepasser la très restreinte place que leur impose le code napoléonien qui les retranche dans le foyer et sous la coupe de leur mari depuis 1804. Les seconds, malgré l'intérêt que leurs portent certains romantiques, sont regardés avec tout autant de mépris et qualifiés de "verrailleur" ou d'"écrivaillon", parfois par les membres de leur propre milieu. Il ne fait donc pas bon n'être ni homme ni bourgeois quand on écrit, puisqu'on est alors considéré, au pire comme une imposture scandaleuse, au mieux comme un phénomène curieux. Cela en dit long sur l'audace nécessaire à celles qui cumulent les identités de femme et de travailleuses pour mettre le pied dans ce milieu peu enclin à leur faire une place, qui plus est par le biais de la poésie, genre noble et codifié par excellence ! Et pourtant, certaines ont su, non seulement se faire publier, mais parfois se faire connaître, grâce à une production dont le principal enjeu était de concilier l'originalité nécessaire pour rendre une oeuvre intéressante et la conformité à des conventions littéraires et sociales qui devait prouver leur légitimité dans cet espace nouvellement investi.