En août ou septembre 1806, le compositeur revenait d’un séjour à Grätz (aujourd’hui Hradec nad Moravicí, en République tchèque) chez son mécène le prince Karl Lichnowsky avec dans ses bagages sa sonate récemment achevée quand éclata un orage suivi d’une averse dont les traces sont encore visibles sur les pages du manuscrit. À Vienne, avant de le porter à l’éditeur, il le montra à son amie la pianiste française
Marie Bigot de Morogues (1786–1820), dont le mari était à l’époque secrétaire du prince Razumovskij, autre protecteur de Beethoven. Après avoir déchiffré la sonate, elle fit promettre au compositeur de lui faire cadeau du manuscrit, ce qu’il fit une fois l’oeuvre gravée. Après la mort prématurée de sa femme, Paul Bigot de Morogues (1765–1853) conserva le manuscrit. Il y ajouta une
note sur son histoire et l’offrit en 1852 au pianiste
René Baillot (1813–1889), professeur au Conservatoire, qui le légua à sa mort à la bibliothèque du Conservatoire.
À quatre exceptions près, dont la provenance est inconnue, tous les autres autographes de Beethoven conservés au département de la Musique sont passés entre les mains de Charles Malherbe (1853–1911). Musicologue et bibliothécaire à l’Opéra de Paris, il avait également rassemblé une riche collection centrée sur les autographes musicaux, qu’il légua à la bibliothèque du Conservatoire. L’histoire de ces manuscrits, qui ont souvent changé plusieurs fois de propriétaire, nous est inégalement connue.
En dehors de l’Appassionata, peu de nos manuscrits ont été cédés par Beethoven de son vivant. Le lied An die Geliebte, WoO 140 (MS-31), fut offert le 2 mars 1812 à la comtesse Antonia Brentano (1780–1869) – peut-être destinataire de la célèbre lettre à l’« immortelle bien-aimée ». Le duo pour 2 violons WoO 34 (MS-23) est un simple feuillet d’album noté pour le violoniste Alexandre Boucher (1778–1861) lors de sa visite au compositeur le 29 avril 1822. Il se peut également que le manuscrit des bagatelles op. 119, no 7–11, composées en 1821 pour la Wiener Pianoforte-Schule de Friedrich Starke (1774–1835), soit resté en la possession de celui-ci. Authentifié en 1858 par Carl Pichler (1799–1869), professeur au Conservatoire de Vienne, le manuscrit fut morcelé au cours du xixe siècle, de sorte que ses trois feuillets se trouvent aujourd’hui, le premier dans une collection privée (le département de la Musique en possède une reproduction sous la cote FS-196), le deuxième au Beethoven-Haus de Bonn (cote BH 106) et le troisième à la BnF (cote MS-52).
Après la mort du compositeur, ses proches offrirent des manuscrits ou fragments de manuscrits à des admirateurs. Ainsi son secrétaire et ami Karl Holz (1799–1858) remit-il la fugue pour quintette à cordes op. 137 (MS-25) au violoniste et chef d’orchestre François-Antoine Habeneck (1781–1849), « apôtre » – selon l’envoi de Holz – de la musique de Beethoven en France.
La firme Artaria, l’un des éditeurs de Beethoven, possédait une importante collection de ses manuscrits et de ses carnets et feuillets d’esquisses, qui fut progressivement dispersée à partir des années 1860. 34 des 39 manuscrits de la collection Artaria aujourd’hui conservés à la BnF furent d’abord acquis par le pianiste et compositeur Johann Nepomuk Kafka (1819–1886), dont la collection fut vendue en 1881. Malherbe les racheta – en même temps que d’autres manuscrits ayant appartenu à Kafka – lors d’une vente à Berlin le 21 mai 1894. Parmi les cinq autres, l’aria Dimmi, ben mio, che m’ami (MS-38) passa entre les mains du musicologue Guido Adler (1855–1941). Un autre éditeur de Beethoven, Tobias Haslinger (1787–1842), posséda un temps la marche funèbre de Leonore Prohaska, WoO 96 (MS-32), qui appartint ensuite aux compositeurs viennois Adolf Müller père (1801–1886) et fils (1839–1901).
D’autres compositeurs et interprètes détinrent un temps certains de ces manuscrits. Le 30 octobre 1835, Joseph Fischhof (1804–1857, professeur au Conservatoire de Vienne, offrit ainsi une esquisse pour la sonate pour violon et piano op. 12, no 2 (MS-83) au jeune compositeur Ambroise Thomas (1811–1896), futur directeur du Conservatoire. Fischhof possédait aussi un manuscrit de jeunesse (MS-61) qui appartint par la suite au chef d’orchestre Thomas Täglichsbeck (1799–1867), dont la veuve le revendit à l’industriel et collectionneur Andrew George Kurtz (1824–1890) – également possesseur des Drei Gesänge op. 83 (MS-21) – par l’intermédiaire du compositeur et chef d’orchestre Julius Benedict (1804–1885). Un feuillet d’esquisses non identifiées (MS-84) avait été donné au compositeur français Jean-Georges Kastner (1810–1867) par Anton Schindler ou par Felix Bamberg, consul de Prusse à Paris. Un autre feuillet d’esquisses pour une cantate inachevée (MS-93) fut offert par le violoniste Heinrich Wilhelm Ernst (1814–1865) à un certain Van Emden lors d’un passage à Breda le 4 avril 1839. Cinq de nos manuscrits beethoveniens ont appartenu au musicologue viennois Aloys Fuchs (1799–1853). Parmi eux, celui du trio à cordes op. 3 (MS-28) entra plus tard dans la collection du pianiste Sigismond Thalberg (1812–1871) puis dans celle de l’industriel Carl Meinert, dont proviennent également deux autres manuscrits. Citons encore, parmi les anciens possesseurs marquants, Alexander Wheelock Thayer (1817–1897), biographe de Beethoven, pour un autre feuillet d’esquisses (MS-79).