Libellule et demoiselle
Avec le printemps réapparaissent bon nombre d’insectes dont les libellules. Qui ne cherche pas des yeux une libellule en entendant le vrombissement de ses ailes ? Qui n’est pas attiré par son vol si particulier et si rapide, par ses belles couleurs ? Partons à la découverte de cet animal admirable et inspirant.
Les libellules doivent leur nom à leurs ailes étendues comme un livre ouvert (du latin «libellulus» qui signifie très petit livre). Ce sont des insectes de l’ordre des odonates, groupe descendant d’insectes ptérygotes (ailés) nés il y a 320 millions d’années durant le Carbonifère. On appelle couramment tous les odonates des libellules mais il existe un autre groupe d’odonates : les demoiselles, dont font partie par exemple l’agrion ou le leste. Les odonates ont longtemps été répertoriés dans le groupe des névroptères (ailes nervurées), un ordre d’insectes dont certaines espèces comme le Myrméléon libelluloïde (fourmilion) ressemblent aux odonates à l’état adulte mais sont pourtant bien distinctes, particulièrement au niveau larvaire. Au Carbonifère les odonates mesurent jusqu’à 70 cm d’envergure (Méganeure de Mony).
Pierre Boitard, Atlas des insectes, composé de 110 planches.1844
Libellules (groupe des anisoptères) ou bien demoiselles (groupe des zygoptères) : toutes présentent une grosse tête, un corps long et effilé. On les entend de loin du fait de leurs quatre puissantes ailes (pl. 16), en général transparentes. Pour les différencier, il faut les observer à l’arrêt. Les demoiselles ont quatre ailes identiques alors que, chez les libellules, celles de la paire postérieure sont plus larges que celles de la paire antérieure. Les demoiselles ont les ailes repliées le long du corps quand les libellules les gardent tendues à l’horizontale. Les demoiselles ont des petits yeux disjoints tandis que les libellules ont des yeux très rapprochés et plus gros . Enfin, les demoiselles se distinguent par un corps plus petit et plus fin.
L. Fairmaire et Berce, Guide de l'amateur d'insectes.1874
Le corps des odonates, comme tout insecte, est divisé en trois parties : tête, thorax et abdomen. La tête porte des yeux composés de milliers de facettes qui permettent une vision dans toutes les directions. Les odonates sont carnivores et pourvus de puissantes mâchoires qui leur ont donné leur nom (du latin odonata, composé du grec odon, «dent» et du suffixe ate, «pourvu de»). Elles mangent notamment des mouches, des moustiques et des taons, diminuant la transmission de maladies aux êtres humains par ces insectes. Les papillons sont aussi au menu de ces redoutables prédateurs. Ils sont si voraces qu’une grosse libellule peut engloutir plusieurs dizaines de mouches ou centaines de moustiques.
Larve de Libellule (capturant un insecte avec son masque) et éclosion de l’adulte. Louis Figuier, Les Insectes, 1875
Les odonates privilégient les zones humides d’eau douce à saumâtre, stagnante à courante, pour leur reproduction, car la ponte s’effectue dans l’eau. Au cours du vol nuptial, le mâle saisit la femelle par l’arrière du cou grâce à ses cerques, des pinces situées au bout de l’abdomen. La femelle se lie au niveau de l’organe copulatoire secondaire du mâle. Lors de cet accouplement, les deux partenaires forment ce que les odontologues appellent le cœur copulatoire.
Les larves sont carnivores comme les adultes mais sont aquatiques alors que les adultes vivent hors de l’eau. Elles peuvent s’attaquer à des insectes aquatiques, à de petits alevins, et n’hésitent pas s’entre-dévorer. Elles capturent leurs proies grâce à leur masque, un appendice buccal de prédation repliable sous la tête. Elles peuvent respirer sous l’eau grâce à un système de réservoir contenant air et eau, leur permettant d’absorber de l’oxygène au niveau de leur appareil respiratoire. Ce système permet aussi d’expulser de l’eau par le bout de l’abdomen pour se mouvoir plus rapidement qu’avec les pattes. Les larves passent par plusieurs métamorphoses ou mues qui durent entre 2 et 5 ans avant la naissance de l’adulte. Les nombreuses couleurs aux reflets métalliques des adultes sont un moyen de séduire mais aussi une adaptation aux différents milieux de vie.
Annales des sciences naturelles. Zoologie. 1er janvier 1852
Les libellules et demoiselles ont inspiré la mythologie germanique en tant que messagère de Freya, la déesse de l’amour. Cela n’empêche pas la crainte éprouvée pour ces insectes. Elles sont affublées de nombreux noms et sobriquets tels «aiguilles du diable», «crève-œil», «tire-sang», «pique-serpent» car les populations croient qu’elles portent un dard (les cerques). On pense que les ailes des odonates sont coupantes ou qu’ils peuvent aveugler quelqu’un en projetant un liquide toxique. Les odonates évoquent de petits dragons d’où leur nom anglais, Dragonfly, littéralement «mouche-dragon» ou «dragon volant». En Savoie, bien qu’appelée «papillon d’amour», la libellule n’est pas un bon signe car il est dit que si on en capture une et qu’elle meurt avant l’arrivée au domicile, c’est un mauvais présage d’amour.
Maurice Verneuil, L'Animal dans la décoration. 1897
A l’opposé de cette mauvaise réputation européenne, le Moyen Âge japonais en fait une icône de courage, l’emblème de la victoire. Les odonates figurent sur les armures et les gardes des katana (sabres) des samouraïs. Ceux-ci sont appelés Yamma, du nom d’une des libellules, parce que la longue chevelure des jeunes Samouraïs est nouée en un nœud qui rappelle la forme de ces insectes. Les odonates sont représentés sur les murs des dojos (salle de combat), sur de nombreux parchemins ou objets du quotidien comme des étuis à pipe. Les Japonais les incluent aussi dans certains emblèmes d’écoles. Bien avant son appellation actuelle, le Japon se nomma longtemps «Akitsu shima», «l’île aux libellules » : selon la légende le premier empereur serait monté au sommet du mont Kirishima et aurait vu, dans la forme des îles, deux libellules accouplées. Les odonates sont honorés dans les haikus, courts poèmes japonais.
La libellule ou la demoiselle sont source d’inspiration dans la littérature ou l’art. Dans les poëmes de la libellule de M. Saionzi, elles servent de dessin de fond. Ces poèmes sont traduits par Judith Gauthier, la fille de Théophile Gautier qui écrivit aussi une poésie sur la libellule, de même que Jules Renard ou Maurice Rollinat. Les odonates se retrouvent un peu partout : livres scientifiques bien sûr mais aussi manuscrits, romans, calendriers, abécédaires, menus, affiches diverses et variées, décorations de mode. La forme de son corps, la transparence de ses ailes, ses multiples couleurs irisées en font un modèle de choix pour tous les artistes, qu’ils soient peintres, dessinateurs, joailliers ou sculpteurs qui les magnifient sur tous objets et supports, de la pierre aux tissus, en passant par le verre, le cuir, le bronze, le cuivre ou le bois. De nombreux compositeurs et chansonniers ont mis les odonates en musique et paroles dont Camille Saint-Saëns . Une opérette, la danse des libellules, leur est même dédiée.
Travaux artistiques : cahiers d'art appliqué : dessins grandeur d'exécution. 1913
Pour aller plus loin
Retrouvez libellules et autres odonates dans la sélection Insectes du parcours Gallica La Nature en images.
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