Hector Malot (1830-1907)
Qui ne connait Hector Malot et son Sans Famille, tribulations d’un jeune orphelin dans la France du XIXe siècle, et un des récits pour la jeunesse les plus populaires. Mais personne ne se souvient que cet écrivain a aussi écrit près de soixante romans, presque tous pour adultes, avec beaucoup de succès, où il fait un portrait assez juste de la société de son temps.
"Je rentre dans Sans Famille aujourd’hui comme dans une maison où j’ai longtemps vécu : je pousse les volets et je circule de pièce en pièce, de chapitre en chapitre, les yeux fermés", écrivait François Mauriac le 20 septembre 1958 dans le Figaro littéraire. Et Sartre de surenchérir à la même période : "Je grimpai sur mon lit-cage avec Sans famille d’Hector Malot, que je connaissais par cœur, et moitié récitant, moitié déchiffrant, j’en parcourus toutes les pages l’une après l’autre : quand la dernière fut tournée, je savais lire" (Les Mots, 1963). Comme eux, beaucoup d’écrivains ont rendu hommage à cette histoire qui a marqué leur enfance. Et des générations entières de gamins ont vibré à la lecture des aventures du jeune Rémy, cet enfant trouvé qui sillonne la France, tout simplement pour survivre. Pendant plus d’un siècle ce récit a été un best-seller de la littérature pour la jeunesse. Les tribulations de son petit héros sont géographiques : il parcourt le pays en tous sens, faisant même un détour par l’Angleterre. Elles sont aussi familiales : il se crée plusieurs cercles d’amis, et retrouvera in fine sa mère véritable. Et également sociales : il est tour à tour pauvre hère, saltimbanque, mineur, jardinier, pour finir riche et comblé. C’est enfin un roman qui dénonce la société de son temps, notamment la condition des enfants en difficulté. Il donne une image assez fouillée de la France de la fin du XIXe siècle. Mais Sans famille est encore, et peut-être surtout, un livre d’initiation à la vie et à ses difficultés, tout en demeurant une narration d’aventure avec happy-end, comme toute fiction de ce temps destinée à la jeunesse.
Et en 1859, c’est son premier roman : Les Amants, qu’il dédicace à sa mère, qui l’a toujours soutenu. Ce roman reçoit de très bonne critique de la presse, qui voit en Malot un possible dauphin à Flaubert. Ce livre n’est que la première partie d’une trilogie, Les Victimes d’amour, qui comprend aussi Les Epoux (1865) et Les Enfants (1866). Taine écrit alors en 1865 un article élogieux à son égard, qui le consacre définitivement comme écrivain aux yeux de l’intelligentsia. Mais Hector Malot ne l’a pas attendu pour publier, par exemple Les Amours de Jacques (1860). Puis arrive sa période très productive : Romain Kalbris (1869), Un Beau-frère (1869), Souvenirs d’un blessé (1871), Un Mariage sous le Second Empire (1873), Clotilde Martory (1873). En 1878, c’est Sans Famille, qui restera son plus grand succès. Mais il va continuer, faisant paraitre entre autres Le Docteur Claude (1879), Baccara (1886), Anie (1891) Complices (1892) ou En Famille (1893). Et en 1896 parait le dernier titre publié de son vivant, une autobiographie littéraire où il explique la conception de chacun de ses récits, Le Roman de mes romans.
Hector Malot fut un des auteurs les plus lus du XIXe siècle, aux côtés d’Alexandre Dumas et de Jules Verne. Il ne conçoit pas l’écriture comme un don quasi-divin, mais comme le fruit d’un processus long et exténuant, un travail parfois fastidieux mais nécessaire. "Il faut écrire ce roman qu’on croit tenir, et c’est alors que le vrai travail commence avec les hésitations, les dégoûts, la lutte de l’exécution" explique-t-il ainsi dans Le Roman de mes romans. Il se veut un travailleur intellectuel plutôt qu’un théoricien. Il s’inspire du réel, des journaux, de ses observations, des gens autour de lui, pour représenter, retranscrire même, la réalité. C’est ce que constate le Dictionnaire Larousse en 1873 : "il a recours à la mémoire et à l’érudition ; il rassemble ses souvenirs et le justifie par des explications minutieuses". D’où parfois une absence de lyrisme, un aspect un peu prosaïque mais familier et efficace, correspondant au réalisme de la photographie plutôt qu’au romantisme du tableau. Comme le disait un journaliste en 1876 : "Observateur patient, méticuleux même, il décrit avec une fidélité scrupuleuse les objets qui s'offrent à ses regards. Son dessin, d'une sobriété parfaite, semble en quelque sorte calqué sur la nature". Et, surenchérissait le poète Théodore de Banville, "ceux qui voudront reconstituer l’histoire interne de notre époque devront étudier Malot dans son œuvre".
Ces textes sur les relations conjugales et extra-conjugales le lancent. On peut diviser sa carrière littéraire en deux parties : jusqu’en 1880 (date de son remariage, et cela n’est pas inintéressant à constater), le lecteur est en face de récits solides, bien construits, assez psychologiques. Après il se fait plus feuilletoniste, ses récits sont plus populaires, les caractères moins fouillés. C’est ce que constate dans Les Romanciers contemporains, toujours lui, un Emile Zola un peu dépité qui, après l’avoir encensé finit par le critiquer fortement : "M. Hector Malot a peu à peu glissé à la production facile. Depuis quelques années, il s’est mis à bâcler des feuilletons pour le journal Le Siècle, produisant des romans interminables où tout se délaie, le style, l’observation, la charpente". Mais par contre les différents milieux sociaux sont toujours très bien décrits.
Les thématiques d’Hector Malot sont nombreuses. D’abord le réalisme : il veut représenter la société contemporaine, dans ses classes sociales hétérogènes, ses lieux divers (Paris et la Province, les villes et les campagnes), les différentes institutions, la ruralité et les usines, les misérables et les puissants, etc. Dans Un Beau-frère (1869), il s’interroge sur l’internement psychiatrique, dans Cara (1878), l’argent entrave les liens amoureux d’un couple, de même que dans Corysandre (1880). Une Femme d’argent (1881) dénonce les manigances financières, Baccara (1886) raconte l’histoire d’une rivalité économique entre deux industriels drapiers de régions et de religions différentes, Anie (1891) relate des déboires au jeu, etc.
Il y a aussi un aspect historique, mais de l’histoire très récente. Le plus connu reste les Souvenirs d’un blessé (1871), concernant la guerre qui vient juste de se terminer entre la Prusse et la France. Et aussi Clotilde Martory (1873), qui relate du point de vue d’un militaire, qui fait un va-et-vient entre révolutionnaires et soldats, les barricades qui ont surgies au moment du coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte fin 1851. Il y a également un coté plus ou moins autobiographique dans ses textes, où surgissent souvent des expériences personnelles. Comme il le disait lui-même : "Rien d’esthétique, tout anecdotique". De même certain ont pu voir quelques aspects policiers dans son œuvre, notamment dans Le Docteur Claude (1880) où un jeune médecin est accusé de crime, et Complices (1893), qui relate un assassinat commis par un couple qui finira par se déchirer. Mais le récit ne se fait pas d’un point de vue judiciaire ou déductif, comme chez Gaboriau, plutôt sous un angle psychologique.
Hector Malot est aussi un écrivain engagé, mais relativement modéré. Il milite à travers certains de ses récits pour une révision de la loi sur l’internement en hôpital psychiatrique (Un Beau-frère), pour le rétablissement du divorce, pour une reconnaissance des droits de l’enfant né hors-mariage (Marichette 1884 ou Ghislaine 1887), pour une amélioration des conditions de travail (En Famille, 1893), etc. Dans Baccara ou En famille, Malot met au centre du récit les conditions de travail des ouvriers. Il dénonce les abus, comme le travail des jeunes payés à vil prix (Sans Famille), les enfants battus, les problèmes de divorce. C’est bien ce qu’a retenu Jules Vallès, au-delà de l’amitié qu’il portait à Malot : "A travers ces pages court le souffle de l’idée sociale […] Le véritable successeur de Balzac, c’est Malot et son œuvre ne fait pas seulement suite, mais pendant à La Comédie Humaine" (dans Le Réveil du 27 février 1883). Et du même : "C’est un écrivain qui, sans attacher de cocarde à son chapeau, a fait œuvre de révolutionnaire […] Malot a travaillé dans la classe bourgeoise, les manches retroussées, l’œil tendu [...] C’est là ce qui le met à-part et hors de pair" (Le Cri du peuple, 17 novembre 1884).
Le paradoxe de cet auteur est qu’il fut lu et connu de son vivant pour ses romans pour adultes, et qu’on ne se souvient de lui à notre époque que pour ses rares romans pour enfants. Quand on regarde l’ensemble de sa carrière, on est frappé par la multiplicité de ses textes, de ses genres, de ses thématiques. Ce qui le rend difficile à classer dans une catégorie spécifique. Comme le souligne une de ses biographes, Myriam Kohnen : "Plus discret que Hugo et Zola et plus optimiste que Maupassant et Daudet, Malot a su allier le goût de l’observation, la passion du voyage et l’exploration d’univers différents. Son caractère mystérieux nous invite à relire cette production variée qui révèle un trésor précieux d’une époque historique mouvementée" (Figures d'un polygraphe français : Hector Malot, 1855-1881, en 2016). Même s’il ne reste de lui à l’heure actuelle que Sans famille. Ce qui n’est pas rien.
Commentaires
la mort du hector malot
tres bien
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