L'adduction en eau potable : l'exemple de Paris et sa banlieue (après 1860) 3/3
La question de la potabilité de l'eau devient une préoccupation majeure à partir du milieu du XIXe siècle. Paris a durement été touchée par plusieurs épidémies de choléra en 1832, 1849, 1854 et 1865 ; le typhus et la tuberculose sont endémiques. De plus en plus de médecins et de savants alertent, dans un nouveau souci hygiéniste, sur l'insalubrité, la qualité des eaux à boire et la problématique de l'évacuation des eaux usées, à l'instar d'Alexandre Parent-Duchâtel. La période qui s'ouvre en 1860 va donc chercher à alimenter la capitale, qui s'agrandit et se transforme, en eau potable.
Le préfet Haussmann qui a en charge les travaux de transformation de Paris (percement de grandes artères, destruction d'îlots d'immeubles anciens remplacés par de nouveaux immeubles normalisés), et son conseiller, Eugène Belgrand, directeur du service des eaux et des égouts de Paris, présentent en 1854 au Conseil municipal un plan d’alimentation en eaux et d'évacuation des eaux usées. La réalisation des travaux doit s'échelonner jusqu'en 1924.
Laissons Eugène Belgrand (1810-1878) décrire les principes du nouveau réseau, dans son monumental ouvrage Les travaux souterrains de Paris composé de cinq tomes décrivant les travaux anciens et récents et de cinq tomes de planches, de cartes et de schémas techniques :
Paris est la seule ville du monde qui ait adopté, pour sa distribution d'eau une double canalisation destinée à séparer le service public du service privé. Lorsque le réseau sera complet, il y aura, dans toute rue de moins de vingt mètres de largeur une conduite affectée au service privé, c'est à dire à la distribution d'eau dans les maisons.
L'eau potable destinée à la boisson doit être distincte de l'eau, dite brute, utilisée pour le nettoyage, l'industrie ou l'agrément. L'eau des fontaines, du canal de l'Ourcq ou des puits artésiens est donc réputée non potable. Où trouver alors de l'eau potable ? La revue TSM : techniques sciences méthodes, génie urbain génie rural résume ainsi la solution trouvée : « l'eau de boisson doit être de l'eau souterraine prélevée dans des sources à plus de 100 km de Paris ; cette eau est amenée à Paris par des aqueducs gravitaires étanches, stockée dans des réservoirs en hauteur puis distribuée par des conduites sous pression ».
Cette eau pure et fraîche doit être captée dans les sources qui alimentent les eaux du bassin parisien. Le premier aqueduc construit est celui de la Dhuis et du bassin du Surmelin qui parcourt plus de 131 kilomètres depuis la Marne jusqu'au réservoir de Menilmontant à Paris pour distribuer l'eau au nord de la ville. Plusieurs ouvrages d'art sont construits, comme des ponts siphon sur lesquels les tuyaux traversent d'autres cours d'eau et montent jusqu'à l'aqueduc.
L'aqueduc de la Dhuis est mis en service le 28 juin 1865. D'autres aqueducs sont ensuite construits : en 1874, on inaugure l'aqueduc de la Vanne dont l'eau est captée dans la Champagne au-delà de Sens et alimente le réservoir de Montsouris. La section de l'aqueduc qui traverse la vallée de l'Yonne permet de bien voir les doubles arcades. D'autres ouvrages d'art, usine de drains, regards et grands siphons sont réalisés à cette occasion. Le choix des matériaux de construction est précisé par Eugène Belgrand :
En général, on s'est servi, pour les maçonneries des matériaux qu'on trouvait sur place dans le pays. Depuis l'origine du tracé jusqu'à la limite du terrain crétacé, les maçonneries des parties couvertes de l'aqueduc ont été faites en silex de la craie avec mortier de ciment ; entre cette limite du terrain crétacé et le Loing, on a fait usage du béton aggloméré, système Coignet avec sable de rivière, seule matière qu'on avait sous la main
François Coignet (1814-1888) est associé à la construction de certains ouvrages d'art, comme le montre cette photographie extraite du recueil établi par le Service municipal des travaux publics de Paris consacré à la dérivation des sources de la Vanne. Il peut ainsi expérimenter son nouveau procédé de béton, dont le brevet a été déposé en 1865. En 1893, c'est l'aqueduc de l'Avre qui est mis en service ; en 1900, celui du Loing et du Lunain et en 1925 celui de la Voulzie, mettant fin au programme de captation des eaux de source.
En complément, des solutions de prélèvement d'eau de la Seine en amont de la capitale sont envisagées. Des machines hydrauliques sont utilisées pour élever l'eau jusqu'aux réservoirs. C'est l'objet d'un concours que remporte Louis-Dominique Girard, qui se concrétise par la construction de l'usine hydraulique de Saint-Maur. L'usine, décrite par Marzy dans son ouvrage L'Hydraulique, se compose de deux entités, une usine à vapeur et une usine hydraulique comprenant huit turbines. « Deux sont chargées d'alimenter le bois de Vincennes en eau ; une des roues élève à la cote de 108 mètres dans le réservoir supérieur de Menilmontant [...], les 5000 m3 d'eau d'une belle source trouvée dans le coteau de Saint-Maur ; ces eaux viennent se mélanger aux eaux de dérivation de la Dhuis ». La force motrice hydraulique vient d'une chute créée par un barrage réalisé suite au percement de l'isthme entre Joinville-le-Pont et Saint-Maur. D'autres usines hydrauliques, celle d'Ivry construite en 1880, ou celle de Bercy réalisée en 1887, à laquelle le Génie civil consacre un numéro, assurent l’approvisionnement en eau de la capitale.
Les réservoirs, comme ceux de Belleville, de Montsouris, contenant l'eau potable sont de grande capacité et demandent des terrains suffisamment grands sur Paris pour de telles constructions. Le réservoir de Menilmontant, décrit par Louis Figuier dans Les merveilles de l'industrie ou Description des principales industries modernes : industries chimiques. L'eau, les boissons gazeuses, composé de deux étages peut contenir 100 000 m3. D'autres châteaux d'eau de taille plus modeste sont également construits comme le château d'eau du Mont-Cenis, à Montmartre, entre 1887 et 1888.
L'eau potable est destinée à rejoindre par des conduites les nouveaux immeubles haussmanniens. Le percement des grandes avenues favorise les travaux, à la fois d'installation de tuyaux d'évacuation des égouts et d'adduction en eau. Ce raccordement est payant, par abonnement, et la distribution est assurée par de nouvelles sociétés : la Compagnie générale des eaux fondée en 1853, ou la Société Lyonnaise des Eaux et d'éclairage fondée en 1880.
En matière de tuyauterie, des progrès sont également réalisés. La Société anonyme des Hauts Fourneaux et fonderies de Pont-à Mousson fournit à partir de 1887 les tuyaux de fonte et en ciment armé à partir de 1890 pour les très grands diamètres. En 1893, on utilise également des tuyaux de canalisation à âme tôle (en acier) revêtus de béton armé, inventé par Aimé Bonna puis en amiante-ciment qui s'impose comme matériau de construction avant son interdiction en 1997.
Mais tous les immeubles ne sont pas raccordés à l'eau. Les fontaines publiques n'ont pas cessé d'être utilisées et se sont multipliées sous la forme de bornes fontaines, à l'initiative du préfet Rambuteau (1781-1869). Dans un premier temps, des bornes fontaines ont été équipées de filtres
pour rendre l'eau plus potable car provenant des eaux du canal de l'Ourcq ou de l'eau distribuée par l'aqueduc de ceinture. En 1854, on compte 1938 bornes fontaines. Elles sont ensuite raccordées au circuit de conduite d'eau potable provenant des réservoirs.
La destruction d'une partie des ouvrages d'art consécutive à la guerre de 1870, à la Commune et à sa répression en 1871 ont entraîné de graves difficultés d'approvisionnement en eau. En 1871, le philanthrope britannique Richard Wallace propose d'offrir des fontaines à boire à Paris sur le modèle de Londres. La première fontaine, équipée de gobelets en étain, est installée le 30 juillet 1872 sur le boulevard de la Villette et ces fontaines ouvragées s'installent dans le paysage urbain.
Pendant les grandes chaleurs, la consommation d'eau potable s'envole et les réservoirs se vident : on utilise alors les eaux dures issues notamment du canal de l'Ourq comme eau de boisson avec pour conséquence une forte augmentation des épidémies (choléra en 1884-1885), typhoïde en 1879, 1882, 1898...).
Les eaux dures, destinées à la voirie, vont donc faire également l'objet d'attention. En 1932, elles sont traitées selon le procédé appelé « verdunisation » expérimentée par Philippe Bunau-Varilla en 1916 au moment de la bataille de Verdun, qui consiste en l'ajout d'un peu de chlore.
Enfin, pour les communes de la proche banlieue, le puisage dans les rivières naturelles prend également fin dans les années 1890, en raison de la pollution de celles-ci. Une usine de traitement des eaux par décantation et filtrage est par exemple installée dans les années 1890 à Choisy-le-roi puis modernisée en 1923, pour servir à l'alimentation en eau potable de la banlieue sud parisienne.
Pour en savoir plus :
Les Eaux de Paris dans le parcours consacré à l'histoire de Paris
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