Utiliser le souffle du vent : l’éolien
Si l'utilisation du vent pour le transport maritime ou la production d'énergie grâce aux moulins à vent sont d'un usage ancien, le 19e siècle et le début du 20e siècle voient naître de nouveaux véhicules et de nouveaux moteurs mus par le vent. Laissons-nous porter par ces inventeurs de l'éolien.
Utiliser une voile pour un transport terrestre n'est pas tout à fait nouveau. En Asie, selon la revue Météorologie, Confucius, en 500 avant J-C, se déplaçait avec un curieux véhicule muni d'une roue, de deux pédales et d'une voile : une sorte de brouette à voile. Le Grand dictionnaire universel Larousse, dans son édition de 1866-1876, définit "la brouette à voile" comme un petit chariot à bras fait en bambou utilisé en Chine pour le transport des marchandises. Si le vent est fort, la voile est dépliée pour aider le pousseur, s'il est faible, un deuxième homme tracte la brouette. On retrouve également mention de brouettes à voile dans l'ouvrage Les moteurs anciens et modernes d'Henri de Graffigny, qui précise que l'usage en est fort commun.
Un des ancêtres du char à voile est le chariot volant utilisé par Maurice de Nassau, prince d'Orange à la toute fin du 16ème siècle. Fabriqué par Simon Stévin (1548-1620) pour circuler sur les plages de Hollande, il peut parcourir près de 60 kilomètres à une vitesse de 40 km/h et accueillir 28 personnes. D'autres essais sont réalisés parmi lesquels, le véhicule de l'évêque Wilkins en 1648, mentionné par le magazine Cols bleus.
Mais il faut attendre le premier tiers du 19ème siècle pour que d'étranges moyens de transport soient testés, comme la diligence à voile, nommée « éolienne », conçue par Pierre-Charles Hacquet qui effectue son premier voyage, dans une ambiance de fête, le 18 septembre 1834. Le prospectus annonçant les prochaines démonstrations précise :
La voiture à voile considérée comme un moyen industriel ne le cède en rien aux machines locomotives mues par la vapeur. Les avantages qu'elle offre en économie et en vitesse sont égaux à ceux donnés par la traction sur les chemins de fer. Cette machine roulante, mâtée à quarante pieds du sol est sans contrefait de toutes les inventions utiles la plus curieuse.
Partie de l'Ecole militaire à Paris pour rejoindre la place de la Concorde, elle parvient même à revenir par vent contraire. Au bout de trois voyages, l'éolienne, qui a surtout été perçue par le public et la presse comme une attraction ( annoncée même dans la rubrique « Spectacles » des journaux), tombe dans la Seine et ce sont finalement les omnibus hippomobiles qui apportent une première solution aux besoins de transports en commun.
Si d'autres expériences de voitures éoliennes sont tentées, ce sont de nouveaux véhicules qui s'emparent du vent comme force motrice, les trains et les traîneaux. Le journal l'Œuvre rappelle la création en 1824 d'une première ligne de chemin de fer à voile en Ecosse entre Kirkintilloch et Monkland (une quinzaine de km), les wagons étant équipés de voiles. Naturellement, précise l'article :
Quand le vent tombait ou soufflait dans une mauvaise direction, les voyageurs n'avaient plus qu'à descendre et à pousser les véhicules...ou plus simplement – on n'était pas pressé en cet heureux temps- à poursuivre leur route à pied.
La science curieuse et amusante de Ferdinand Faideau en 1902 évoque le chemin de fer de l'île anglaise de Malden dans le Pacifique, qui faute de combustible, utilise pour le transport du guano un chemin de fer à voile.
Quant aux traîneaux, ils s'équipent de voiles, nous dit en 1882, l'ouvrage de Pierre Vincent, À bâtons rompus : causeries scientifiques, à l'initiative des Etats-Unis. C'est justement pour rejoindre la station d'Omaha, aux Etats-Unis que les héros du Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne embarquent sur un traîneau à voile, véhicule qui « pendant l'hiver sur la plaine glacée, lorsque les trains sont arrêtés par les neiges (…) [fait] des traversées extrêmement rapides d'une station à l'autre.»
Peut-être est-ce inspirée par le roman de Jules Verne, qu'une famille de Poméranie entreprend le tour du monde en voiture à voile, entreprise que rapporte le journal La Fronde en 1902. La fille tient le volant qui dirige les roues tandis que la mère, le père et le fils mettent en mouvement une grande bielle pour suppléer le vent lorsqu'il ne souflle plus assez. Mais l'auteur de l'article se moque en indiquant que la famille a déjà été attaquée par des paysans effrayés par l'aspect monstrueux du véhicule et conclut ainsi : « Les automobiles ne courent pas le risque d'être détrônées ».
D'autres déplacements terrestres sont également réalisés à l'aide du vent, comme les patins à voile dans les pays du nord de l'Europe, les yachts à patins et à voile sur les lacs gelés ou même le vélocipède à voile. Ces nouveaux véhicules relèvent désormais plus du loisir que de l'ambition de développer un nouveau moyen de transport, à l'instar des chars à voile, autrement nommés aéroplage, invention de Louis Blériot, à la fois amusement et pratique sportive.
Mais la force du vent peut aussi être transformée en énergie, mécanique puis électrique. Les moulins à vent qui n'ont que peu évolués dans leur technique restent très utilisés au 19ème siècle, notamment pour les tordoirs, dans la fabrication de l'huile. C'est donc dans un premier temps sur leur perfectionnement que se penchent les ingénieurs. L'action reste mécanique et sert pour le pompage et l'élévation de l'eau. Les innovations concernent l'axe de rotation, la forme et la disposition des ailes auxquelles se substituent des ailettes ou des pales, l'ajout de gouvernail, la recherche de captation la plus fiable du vent, comme le décrit le Génie civil en 1890. On met par exemple au point des panémones dont l'axe de rotation est vertical et la roue horizontale pour utiliser le vent quelle que soit sa direction.
Aux Etats-Unis, les pompes éoliennes se multiplient et deviennent un élément emblématique du paysage. Le dictionnaire encyclopédique et biographique de l'industrie et des arts industriels (1881-1891) qualifie ces nouveaux moulins de turbines atmosphériques par analogie avec les turbines hydrauliques déjà existantes. Le Génie civil détaille dans son numéro de novembre 1905 le fonctionnement mécanique d'un moteur éolien permettant d'effectuer des trous de sondage. Les pylônes de ces nouveaux moulins sont en fer et culminent à près de 10 m de hauteur. En France, Auguste Bollée développe l’installation d’éoliennes pour le service des eaux, comme le rappelle Le Panthéon de l’industrie en 1889 : « Ces machines à vent entièrement métalliques se composent essentiellement d’une colonne centrale installée sur un socle de maçonnerie (…) puis de 6 haubans fixés au niveau du sol (…) d’un escalier hélicoïdal.»
Si l'invention de la dynamo, ou possibilité de transformer l'énergie mécanique en énergie électrique date de 1866, il faut attendre la fin des années 1880 pour que les premières expériences de production d'électricité éolienne soient tentées. La Science curieuse et amusante rapporte l'utilisation en 1887 par le professeur James Blyth de Glasgow d'un moulin à vent aux formes très particulières, actionnant une dynamo chargeant des accumulateurs. En 1888, Charles Brush, à la tête d'une entreprise d'électricité, qui a mis au point une gigantesque dynamo l'année précédente alimente en électricité sa maison de Cleveland grâce à une éolienne en bois de 18 m de haut et dont la turbine est composée de 144 lames. La cave de l'habitation a été transformée en salle dédiée aux 408 accumulateurs. Plusieurs expérimentations sont réalisées au début du 20ème siècle, relayées par la presse spécialisée, comme celle tentée en 1905 au Danemark. Mais les scientifiques restent sceptiques quant à l'application industrielle de la production électrique par l'éolien.
La revue La Science et la vie relève encore en 1918 l'emploi de moulins à vent et de dynamo pour la production d'électricité mais de manière expérimentale pour l'alimentation d'une seule maison. En 1926, Georges Darrieus (1887-1979) imagine un rotor composé de pales biconvexes groupées autour d'un mât central. Son brevet est utilisé au Canada dans la construction des premières éoliennes, rapporte l'Académie des sciences en 1979.
En France, quelques expériences sont menées dans les années 1920 mais sans aboutir. Dans les années 1950, on utilise des éoliennes, par exemple dans les expéditions polaires pour alimenter la TSF et les pays relancent l'étude sur l'énergie éolienne.
Les Annales des mines font ainsi un bilan en 1979 des réalisations et de l'utilisation de l'éolien dans la production d'énergie, dans un contexte de crise pétrolière. Les Etats-Unis et le Canada ont entrepris un programme de développement de l'éolien à partir de 1976, la Suède en 1977. En France, deux « aérogénérateurs » sont bien construits en 1979, un en Polynésie et un sur l'île d'Ouessant, éolienne dont l'hélice ne résiste pas au vent et qui est détruite en 1980. Il faut ensuite attendre les années 1990 pour que de nouvelles éoliennes soient installées.
Pour aller plus loin : le Portail du développement durable de la BnF
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