Le procès de Nuremberg dans Gallica
Les Actes du Procès de Nuremberg sont désormais en ligne sur Gallica. Premier et principal des treize procès à s'être tenus après la Seconde Guerre mondiale, il est à l'initiative du tribunal militaire international. Revenons aujourd’hui sur ce procès hors du commun.
Le sort à réserver aux auteurs de crimes commis par les Nazis est discuté par les Alliés à partir de 1942. Le débat, au sein de chaque pays allié, oppose partisans d'exécutions sommaires et ceux qui estiment préférable un jugement régulier des Nazis. Après l'accord d’octobre 1942 entre Londres et Washington pour créer une commission d'enquête sur les crimes de guerre, le 30 octobre 1943, la déclaration de Moscou, signée par Churchill, Staline et Roosevelt, annonce que les responsables d’atrocités "dont les forfaits n’ont pas de localisation géographique particulière seront considérés comme grands criminels de guerre". Lors de la conférence de San Francisco, qui voit la création de l'ONU, les vainqueurs décident que ces "grands criminels" seront jugés par un tribunal militaire international (TMI). Les bases légales de ce tribunal sont négociées par des représentants des gouvernements américain, soviétique, britannique et français à Londres de juin à août 1945, la Charte du TMI adoptée le 8 août définissant une série de crimes pour partie inconnus en droit international (outre la notion ancienne de crime de guerre, la Charte introduit les notions de crime contre la paix, crime contre l'humanité et celle, d'origine anglo-saxonne, de complot criminel). Le 18 octobre 1945, s'ouvre à Berlin, où siège le tribunal militaire international, le procès contre les 24 principaux responsables du Troisième Reich (Hermann Göring, Alfred Jodl, Ernst Kaltenbrunner, Wilhelm Keitel, Joachim von Ribbentrop, Alfred Rosenberg, Rudolf Hess, etc.) et les sept "organisations" criminelles (dont la SS et la Gestapo). Mais les audiences se dérouleront ensuite entièrement à Nuremberg – choix symbolique pour une ville dont le nom fut associé aux lois raciales de triste renom de septembre 1935.
Pendant dix mois, entre novembre 1945 et octobre 1946, ce procès est un événement international majeur de l'après-guerre, et de surcroit un événement sans précédent dans les annales de la justice. En effet, pour la première fois, les plus hauts dirigeants d'un Etat vaincu, l'Allemagne nazie, sont placés dans le box des accusés. Les chefs d’accusations sont multiples : 1) complot en vue de dominer le monde en violation des traités internationaux ; 2) préparation et déclenchement, à cette fin, de guerres d'agression illégales ; 3) commission avant et pendant le conflit de crimes de guerre conventionnels et de crimes de masse contre des populations civiles y compris les ressortissants des pays de l'Axe. Ces derniers crimes par leur ampleur et leurs motivations racistes sont considérés comme portant atteinte à l'humanité dans son ensemble.
Une immense machine judiciaire est mise en marche pour ce procès fleuve (403 audiences publiques) : un tribunal composé de quatre juges assistés chacun d'un suppléant (la France étant représentée par le professeur de droit Henri Donnedieu de Vabres), quatre procureurs en chef, qui sont chacun à la tête d'une importante équipe chargée de préparer l’accusation au nom des pays alliés, un important contingent d'auxiliaires – greffiers, interprètes, sténo-dactylos, sténotypistes, huissiers, mais aussi médecins, psychologues, photographes et cinéastes… Le TMI réunira jusqu'à 2000 employés, dont environ 500 juristes. Bien que qualifié de "militaire", ce tribunal n'a rien d'une cour martiale et ses juges, à l'exception du général russe Nikitchenko, sont des civils. Cette organisation sans précédent a permis au procès de se dérouler dans de bonnes conditions. Il n'en suscita pas moins de nombreuses controverses, alimentées par les avocats des Nazis, qui cherchèrent à mettre en doute l'impartialité d’un jugement des vaincus par les vainqueurs de la guerre. Mais, dans l'ensemble, la justice a fait son travail, les droits de la défense ont été respectés, et les peines prononcées, qui s'échelonnent de la mort à l'acquittement, ont témoigné du souci des juges d'examiner précisément les responsabilités individuelles. Le procès a servi ainsi de modèle et de point de départ pour les autres procès de criminels de guerre allemands.
Une photographie expliquant l'agencement du tribunal,
Regards, 4 octobre 1946, Paris.
Les organisateurs ont déployé d'impressionnants moyens pour fonder la justice sur des preuves multiples et incontestables, impliquant un important travail d’archives d’autant plus difficile qu'il était nécessairement accompagné de la traduction des documents présentés en quatre langues (allemand, anglais, français et russe). Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 20 tonnes de papier, soit 5 millions de feuilles, 100 000 documents allemands dont 4 000 environ furent authentifiés et traduits dans les quatre langues, 2 630 documents de l'accusation, 2 700, de la défense, 240 dépositions, 300 000 déclarations faites sous serment, 30 km. de pellicule et 25 000 photographies.
Ce procès de Nuremberg n'a pas été une entreprise purement judiciaire. C'est tout le sens des orientations imprimées par le procureur en chef américain, Robert H. Jackson, qui a souhaité "constituer une archive irréfutable du national-socialisme et de ses crimes, le procès devant à la fois servir l'histoire en documentant le nazisme et fonder une politique appropriée de la mémoire", comme l'indique Guillaume Mouralis dans son article "Le procès de Nuremberg, retour sur soixante-dix ans de recherche ", paru dans Critique Internationale (n°73, avril 2016). L'accusation a cherché à frapper les esprits en documentant l'extermination systématique des six millions de Juifs, mais aussi d'autres catégories de populations : communistes, tziganes, homosexuels. Dans l'après-midi du 29 novembre 1945, elle projeta ainsi à l'audience un film documentaire sur les camps de concentration qui fit forte impression sur les acteurs et observateurs du procès.
Dans la même optique, le tribunal a créé dans le cadre de son Secrétariat un service chargé de la publication des comptes rendus des séances et des documents à charge, sous la responsabilité du colonel Lawrence D. Egbert, "éditeur du Procès" et du capitaine Sigmund Roth, "directeur de l'imprimerie". C'est grâce au travail minutieux de l'équipe, après vérifications des citations et statistiques à partir des comptes rendus sténographiés et de l'enregistrement sonore, après révision des traductions et certification des documents, qu'ont vu le jour trois séries des sources du procès, dont la première présente le compte rendu sténographique du procès et une sélection de documents produits à l'audience. Celle-ci aurait dû être disponible dans les quatre langues du procès - anglais, français, russe et allemand - mais l'édition russe ne fut jamais publiée.
Publiée entre 1947 et 1949, la série française, intitulée Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international : Nuremberg, 24 novembre 1945 - 1er octobre 1946, en 41 volumes (comprenant notamment 21 volumes de débat et 18 de documents; le volume 23 n'est pas paru en français), est depuis longtemps à la disposition des chercheurs à la Bibliothèque nationale de France, Département Philosophie, Histoire, Sciences de l'Homme. Désormais, elle est accessible en ligne. Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche créé par le site Pratique de l'histoire et dévoiements négationnistes pour effectuer des recherches ciblées dans l'ensemble des volumes. Cette numérisation apporte ainsi un outil complémentaire à la même série publiée en anglais et en allemand.
Stefan Lemny, Département Philosophie, Histoire et Sciences de l'Homme
Guillaume Mouralis, chargé de recherche au CNRS,
membre de l'Institut des sciences sociales du politique (ISP, CNRS et Université Paris Nanterre)
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