La communauté des maîtres de danse et joueurs d'instruments dans la tourmente (XVIIe - XVIIIe siècle)
10 novembre 2021
Sous l’Ancien Régime, il y a du rififi dans le monde de la musique et de la danse !... A l’occasion du colloque « Droit et spectacle vivant », qui aura lieu le 19 novembre 2021, intéressons-nous à une communauté de métier au cœur de ces querelles.
Le maître de danse, Ph. Canot, XVIIIe siècle
De la “ménestrandie” aux maîtres à danser et joueurs d’instruments : une corporation en évolution depuis ses origines médiévales (XIVe - début XVIIe siècle)
Les communautés de marchands, d’arts et métiers sont définies par Jacques Savary Des Bruslons (1657-1716) comme “l’union des marchands de même profession, & des ouvriers & artisans des mêmes arts & métiers, sous des règlemens convenus entr’eux” (Art. “Communauté”, Dictionnaire universel de commerce,.... Tome 1, 1726).
L’entité qui nous intéresse est l’héritière de la ménestrandie, ou corporation des jongleurs et ménestrels ou encore des ménétriers, dont les premiers statuts remonteraient à 1321, et est d’ailleurs associée, pour l’organisation de la vie religieuse de ses membres et l’assistance à ceux qui en ont besoin, à la confrérie de Saint-Julien des ménétriers et de Saint-Genest, érigée dès le XIVe siècle.
Du Moyen Âge au Grand siècle, elle s’est développée, a vu ses membres se multiplier et monter en compétence, se professionnaliser. Elle comprend les “maîtres de danse et joueurs d'instruments, tant hauts que bas”, en capacité donc d’enseigner la danse, aussi bien que la musique. L’instrument de musique le plus utilisé à l’époque pour enseigner la danse étant le violon, la corporation comprend nombre de violonistes, mais elle intègre d’autres instrumentistes. Les hauts instruments étaient ceux à la sonorité puissante comme les trompettes, pouvant être joués en plein air, et les bas, ceux plus propices à un jeu en intérieur, car de plus faible volume sonore, les luths par exemple. Elle a cherché, au XVIe siècle, à exclure les musiciens populaires, catégorie à l’origine de la création du corps, et a privilégié les instruments considérés comme nobles, au détriment de ceux estimés vulgaires. Elle change cependant de politique, au XVIIe siècle. Souhaitant étendre son autorité à un plus grand nombre de musiciens, elle ne fait plus de distinction !
Tout comme le corps des merciers, la communauté a un directeur, nommé par le roi de France : le roi des violons, recruté parmi les musiciens les plus renommés du royaume, souvent au sein des violonistes de la chambre du roi, à l’image de Louis Constantin (1585-1657), en fonction de 1624 à 1657. C’est le roi des violons en responsabilité en 1659, Guillaume Dumanoir (1615-1697), qui obtint de Louis XIV les lettres patentes confirmant de nouveaux statuts rédigés par la communauté.
L’entité qui nous intéresse est l’héritière de la ménestrandie, ou corporation des jongleurs et ménestrels ou encore des ménétriers, dont les premiers statuts remonteraient à 1321, et est d’ailleurs associée, pour l’organisation de la vie religieuse de ses membres et l’assistance à ceux qui en ont besoin, à la confrérie de Saint-Julien des ménétriers et de Saint-Genest, érigée dès le XIVe siècle.
Du Moyen Âge au Grand siècle, elle s’est développée, a vu ses membres se multiplier et monter en compétence, se professionnaliser. Elle comprend les “maîtres de danse et joueurs d'instruments, tant hauts que bas”, en capacité donc d’enseigner la danse, aussi bien que la musique. L’instrument de musique le plus utilisé à l’époque pour enseigner la danse étant le violon, la corporation comprend nombre de violonistes, mais elle intègre d’autres instrumentistes. Les hauts instruments étaient ceux à la sonorité puissante comme les trompettes, pouvant être joués en plein air, et les bas, ceux plus propices à un jeu en intérieur, car de plus faible volume sonore, les luths par exemple. Elle a cherché, au XVIe siècle, à exclure les musiciens populaires, catégorie à l’origine de la création du corps, et a privilégié les instruments considérés comme nobles, au détriment de ceux estimés vulgaires. Elle change cependant de politique, au XVIIe siècle. Souhaitant étendre son autorité à un plus grand nombre de musiciens, elle ne fait plus de distinction !
Tout comme le corps des merciers, la communauté a un directeur, nommé par le roi de France : le roi des violons, recruté parmi les musiciens les plus renommés du royaume, souvent au sein des violonistes de la chambre du roi, à l’image de Louis Constantin (1585-1657), en fonction de 1624 à 1657. C’est le roi des violons en responsabilité en 1659, Guillaume Dumanoir (1615-1697), qui obtint de Louis XIV les lettres patentes confirmant de nouveaux statuts rédigés par la communauté.
St Julien des Ménétriers : 3e arrt. St Avoye 1878, dessin d’Hubert Clerget, XIXe siècle
Des statuts prometteurs accordés à la communauté au mois d’août 1659
Ces statuts, définissant les droits et devoirs des membres de la communauté, semblent lui promettre un bel avenir. En effet, selon leur titre-même, ils s’appliquent à une communauté élargie au regard de l’ancien corps des ménétriers de Paris. Elle touche désormais à la fois le monde de la danse et de la musique, et englobe, nous l’avons vu, tout type d’instrumentistes, des musiciens des fêtes de village à ceux jouant devant la cour. Elle n’est, en outre, plus contrainte géographiquement, et recrute ses membres “dans toutes les villes du royaume”.
Le texte des statuts affirme ce monopole :
Le texte des statuts affirme ce monopole :
Aucune personne regnicole [du royaume] ou étrangère, ne pourra tenir école, montrer en particulier la danse ni les jeux des instrumens hauts & bas, s’attrouper ni jour, ni nuit, pour donner des sérénades, ou jouer desdits instrumens en aucunes noces ou assemblées publiques ou particulières, ni partout ailleurs, ni généralement faire aucune chose concernant l’exercice de ladite science, s’il n’est reçu maître (art. VI).
Entre autres dispositions prévues par les statuts, notons que la durée de l’apprentissage est de quatre ans, à l’issue desquels l’apprenti est présenté au roi des violons, assisté de vingt maîtres. Si la démonstration convainc ce jury, il délivre au candidat un brevet de maîtrise. Un droit d’enregistrement des brevets de trois livres au roi des violons, et de 30 sols à la confrérie, est dû par l’apprenti. Il doit également verser un droit de réception et d’entrée dans la communauté d’un montant de soixante livres, réduit à vingt-cinq, s’il est fils de maître. L’article V stipule que les violons de la chambre du roi ne sont pas exemptés de se faire recevoir au sein de la communauté, moyennant cinquante livres. Et l’article VI interdit, par ailleurs, aux membres de la communauté de jouer dans les “cabarets et lieux infâmes”, sous peine de destruction de leurs instruments de musique, d’emprisonnement et d’une forte amende.
Statuts et reglements des maitres de danses et joueurs d'instrumens,
tant hauts que bas, pour toutes les villes du royaume, 1659
Un monopole contesté : le déclin de la communauté (1661-1776)
En définitive, cette tentative d’extension de son monopole portera préjudice à la communauté, qui avait, semble-t-il, “les yeux plus gros que le ventre” ! Elle ne cesse, dès lors, et pendant plus d’un siècle, de subir des attaques. Les premières émanent du roi lui-même.
La création des académies royales de danse (1661) et de musique (1672)
Alors qu’en 1659, Louis XIV accueille favorablement les statuts rédigés par la communauté, deux ans plus tard, il déplore les lacunes de l’enseignement de la danse et crée l’Académie royale de danse.
"Il s’est pendant les désordres & la confusion des dernières guerres, introduit dans [l’art de la danse], comme en tous les autres, un si grand nombre d’abus capables de les porter à leur ruine irréparable, que plusieurs personnes pour ignorans & inhabiles qu’ils ayent esté en cet art de la danse, se sont ingérés de la monstrer publiquement [...]. Ce qui fait que nous en voyons peu dans nostre cour & suite, capables & en estat d’entrer dans nos ballets, & autres semblables divertissemens de danse”. (Lettres patentes du roy, pour l'établissement de l'Académie royale de danse en la ville de Paris, 1663)
"Il s’est pendant les désordres & la confusion des dernières guerres, introduit dans [l’art de la danse], comme en tous les autres, un si grand nombre d’abus capables de les porter à leur ruine irréparable, que plusieurs personnes pour ignorans & inhabiles qu’ils ayent esté en cet art de la danse, se sont ingérés de la monstrer publiquement [...]. Ce qui fait que nous en voyons peu dans nostre cour & suite, capables & en estat d’entrer dans nos ballets, & autres semblables divertissemens de danse”. (Lettres patentes du roy, pour l'établissement de l'Académie royale de danse en la ville de Paris, 1663)
La communauté des maîtres à danser et joueurs d’instruments tenta de s’opposer à cette création, au motif que la danse ne peut être exercée sans la musique. A quoi les académiciens répondirent par un discours “pour prouver que la danse dans sa plus noble partie n’a pas besoin des instrumens de musique, & qu’elle est en tout absolument indépendante du violon”, provoquant l’édition par Guillaume Dumanoir, roi des violons, de l’opuscule Le Mariage de la musique avec la dance (1664). Cette dispute, qui inspira à Molière, certaines répliques du Bourgeois gentilhomme (1670), se solda temporairement par un arrêt déboutant la corporation de sa demande, mais membres de l’Académie de danse et de la communauté ne s’en tinrent pas là, et se retrouvèrent de nouveau par la suite devant la justice pour défendre leurs intérêts respectifs. La communauté comptait alors une autre institution concurrente : l’Académie royale de musique, fondée en 1672, en dépit de l’opposition du roi des violons en exercice.
Commentaires
Très bon article
Merci beaucoup pour votre article d'une grande qualité, et d'une grande clarté. Quel plaisir d'apprendre et quelle chance d'avoir accès à tous ces documents. Encore ! Encore!
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