Le système Arnodin : Le pont-transbordeur
L’ingénieur Ferdinand-Joseph Arnodin (1845-1924) s’est fait connaître en se spécialisant dans la construction des ponts suspendus et notamment des ponts à transbordeur. Il en dépose le brevet d'invention en 1887 et en 1900 se voit récompensé par le grand prix de l’Exposition universelle de Paris.
En réalité, la construction des ponts suspendus avait été stoppée en France après l’effondrement de ce type d’ouvrage à Angers en 1850, puis à La Roche-Bernard en 1852. Le génie de son inventeur visionnaire consiste à en perfectionner la technique en vue d’une meilleure stabilisation des structures : ce type d'ouvrage représente une véritable prouesse pour l'époque !
Dans Le Pont à transbordeur de Bordeaux paru en 1898, Arnodin se présente comme constructeur des ponts à transbordeur de Bilbao, Bizerte, Rouen, Martrou et Nantes. Et quand il n’en est pas le constructeur, il est du moins l’auteur des projets de Bordeaux,Tancarville, Anvers, Copenhague, etc… En réalité, lors de la construction du prototype à Bilbao en 1893, il est associé à l’ingénieur espagnol Alberto de Palacio.
Arnodin exporte par la suite ce concept en France. Il s’agit d’un ouvrage enjambant un port, un canal ou un fleuve. Son transbordeur, plus connu désormais sous le nom de nacelle, est suspendu à un chariot roulant sous le tablier fixe du pont. Lequel est érigé à une hauteur de 50 mètres minimum afin d’autoriser le passage de grands voiliers, navires et autres bateaux sous la structure. Il permet ainsi de transporter d’une rive à l’autre des personnes et des véhicules sans bloquer la navigation fluviale. D’abord assurée par une machine à vapeur, la traction de la nacelle le fut ensuite par un moteur électrique. En 1899, on inaugure le pont-transbordeur de Rouen.
Un des ouvrages d’art le plus emblématique de notre ingénieur est celui qui est situé en Charente-Maritime. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la traversée de la Charente entre Rochefort et le Martrou (nom d’un quartier d’Echillais) se faisait par un bac. Ce moyen de transport était sujet à de nombreux aléas : marée basse ou au contraire courants trop forts, mauvaises conditions météorologiques. D’autre part, la présence de l’Arsenal de Rochefort générait un trafic maritime et fluvial croissant qu’il importait de ne pas entraver. Comme le relate une monographie consacrée à l'histoire de la commune :
La Charente fut toujours un obstacle très sérieux aux communications entre Echillais et Rochefort. Pendant la Révolution, le passage d'une rive à l'autre s'effectuait à l'aide d'un bac. On percevait un droit de 10 sols par livre de marchandise. [...] On continua à payer jusqu'en 1896 pour passer au bac de Martrou alors remorqué par un vapeur ; une yole suppléait au service des piétons [...] A partir de cette date, le passage fut gratuit. Entre temps, des études furent faites pour obtenir un moyen de transbordement plus perfectionné.
Le système Arnodin est donc retenu en 1897 : les travaux démarrent dès l’année suivante et le pont à transbordeur du Martrou est inauguré en 1900. Il appartient à la catégorie des ponts suspendus semi-rigides.
Rendu obsolète par l'augmentation du trafic routier - générant parfois des embouteillages de 1,5 km de part et d'autre de la Charente - ce géant d'acier pesant 700 tonnes est laissé à l'abandon en 1967 et fut longtemps menacé de destruction avant d’être sauvé in-extremis par son inscription aux Monuments historiques en 1976 : en effet, il s'agit du dernier pont-transbordeur en France sur un total de huit dans le monde. Depuis 1994, les piétons et cyclistes peuvent à nouveau l'emprunter pour une pittoresque traversée de quatre minutes. La remise en service nécessite une maintenance hebdomadaire par des techniciens n'hésitant pas à gravir l'équivalent de 17 étages pour surveiller la partie mobile entre le chariot et le tablier. D'autre part, entre 2016 et 2020, la structure fixe, souvent en prise à des vents violents, a fait l’objet d’une restauration complète, retrouvant même sa couleur noire d'origine. La haute silhouette des pylones métalliques s’inscrira encore longtemps dans ce paysage de l'estuaire de la Charente.
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