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Le bestiaire d’Alain Saint-Ogan

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9 avril 2020

A l’occasion de "2020, année de la BD", Gallica et la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image vous invitent à un rendez-vous mensuel autour de l’histoire de la BD. Premier épisode d’une série de billets consacrés aux héros animaliers : le bestiaire d’Alain Saint-Ogan, créateur de Zig et Puce.

Nombreux sont les animaux ayant trouvé naissance sous la plume d’un dessinateur de bande dessinée et ce depuis les débuts du Neuvième art. La littérature pour la jeunesse regorge de héros animaliers, l’animal comme chacun sait étant un ami fidèle des enfants dans l’imaginaire collectif.

Au même titre que le western ou la science-fiction, il existe un genre de bande dessinée animalière dans lequel le héros principal est un animal, à poils plumes ou écailles. L’animal est soit représenté selon ses caractéristiques dans son environnement naturel, soit anthropomorphisé : prenant des caractères humains, il rit, pleure, marche sur deux pattes dans un environnement humain. Nous ne livrerons pas ici un bestiaire exhaustif de la bande dessinée mais reviendrons en une série d’articles sur les auteurs, génies de la bande dessinée animalière.

Pour commencer, Prosper, Alfred et le Paradis des animaux : les animaux chez Alain Saint-Ogan.

En raison de son caractère innovant l’œuvre abondante d’Alain Saint-Ogan a profondément marqué l’évolution plastique et thématique de la bande dessinée : il introduit la bulle dans la bande dessinée française alors qu’elle est déjà utilisée dans la bande dessinée américaine depuis des décennies. Ainsi le texte et les dialogues passent de « sous les cases » à « dans les cases », ce qui fluidifie le récit. Nombreux sont les dessinateurs qui reconnaitront leur dette à l’égard d’Alain Saint-Ogan. Hergé le créateur de Tintin en fait son pygmalion et Greg, l’auteur d’Achille Talon le tiendra toujours comme un maitre indépassable.

Saint-Ogan intègre le monde de la culture enfantine par la presse : Zig et Puce, sa principale série, la plus célèbre et la plus durable, est lancée en mai 1925 dans l’hebdomadaire familial Le Dimanche illustré dont Saint-Ogan est, depuis les premiers numéros en 1923, un collaborateur fidèle.
 

Les personnages principaux sont Zig et Puce et l'histoire suit, à travers gags et aventures, leurs péripéties pour se rendre dans une Amérique idéalisée attirant les audacieux en soif de richesse. Avec le pingouin Alfred, qui est en fait un manchot, ramené du Pôle Nord, les deux gamins voyageurs émerveillés créés par Alain Saint-Ogan rencontrent des personnages pittoresques et connaissent auprès du public enfantin des années 1920 et 30, qui rêvaient d'évasion et de rire, un formidable succès d'imagination.

Dans Je me souviens de Zig et Puce et de quelques autres, la Table ronde, 1961, Alain Saint-Ogan rédige ses mémoires et évoque la création de Zig et Puce. Destinée à remplacer une page publicitaire, la série connue un succès durable et sa mascotte Alfred une notoriété fulgurante.
 

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Alfred mériterait un article à lui tout seul tant il déclencha de passion dans la France de l’entre-deux guerres. On le retrouva en poupée de chiffon sous la marque Jeanne Lanvin ou en bouchon de radiateur et il devint l’effigie du premier prix du salon d’Angoulême en 1974. Apres 18 volumes signés Alain Saint-Ogan, Zig et Puce poursuivirent leurs aventures sous le crayon de Greg pour six albums supplémentaires.
 

Outre Zig et Puce, Alain Saint-Ogan créa de nombreux autres personnages animaliers le chien Serpentin, compagnon de Milou et Toti, Mique et Trac dans La Semaine de Suzette, Minette et Mirza dans La Meuse Magazine ou l’ours Prosper.
 

Prosper, petit ours blanc, avec une chaînette attachée au museau est apparu en 1933 dans les pages du Matin. Il est accompagné de Toutoune, petit garçon, ami de Prosper, de Mlle Ursus, petite ourse blanche, avec laquelle Prosper se marie et du chat borgne, chat noir ennemi de Prosper, qui l’entraine toujours dans des aventures. Prosper l’ours constitue une comédie sociale, destinée au public enfantin et fait allusion à la plupart des thèmes traditionnels du comique de mœurs : l’armée (Prosper fait son service militaire), le couple (Prosper se marie), la politique (Prosper se présente aux élections et devient ministre), le vedettariat (madame Prosper devient une star de cinéma). L’animal est ici anthropomorphe, il a des caractères humains, il marche sur deux pattes, il parle et il lui arrive des évènements qui n’arrivent d’ordinaire qu’aux humains.
 

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Prosper et le monstre marin, Alain Saint-Ogan, 1934
 
Dès 1927, Alain Saint-Ogan participe à des émissions radiophoniques pour la jeunesse, dans lesquelles il présente ses personnages, anime des jeux radiophoniques ou participe à des émissions pour la jeunesse. Alain Saint-Ogan a toujours travaillé pour la publicité, notamment pour les marques Ovomaltine ou Fulmen.

À la même époque, le directeur des fromageries Bel lui propose de créer des feuilletons radiophoniques autour du produit phare de la marque, La vache qui rit. Alain Saint-Ogan réalise ainsi, avec la collaboration de René Blanckemann, deux feuilletons hebdomadaires, diffusés sur Radio-Monte-Carlo, Radio-Luxembourg, Radio-Andorre, Radio-Tanger International et Radio-Africa-Maghreb : La Vache qui rit au Paradis des animaux entre 1955 et 1956 et Cric et Crac à travers les âges en 1959 et 1960.

En parallèle, la marque Bel demande à Alain Saint-Ogan de réaliser de petits albums qui peuvent être obtenus en collectionnant des bons offerts dans les boîtes de fromage La vache qui rit. Alain Saint-Ogan réalise ainsi en 1956, 10 albums brochés de 24 pages, couverture souple, format In-octavo carré, illustrations en couleurs dans le texte, publiés aux éditions Chavane. Inspirés du feuilleton radiophonique, cette série d’albums illustrés (qui ne se présentent pas comme des bandes dessinées) exploite la dualité entre le « Paradis des animaux », annexe du « Grand Ciel » et l’Enfer des Bêtes (gouverné par le Veau d’or !), succursale du sinistre « Enfer des humains ».
 

La Vache qui rit, le Lapin Janou et un certain « Mr L’Elephant » (vétu et coiffé à la Babar) vivent des aventures mouvementées au paradis, qui a pour capitale Megatheriapolis. Dans cette ville gigantesque, « grande comme dix fois Paris et Londres réunis », les cinémas projetent Du rififi chez les ruminants, avec Marléne Piédebiche et Lolobrigidada et le président de la République des Animaux est un lion élu pour sept siècles qui réside au Palais de l’Eden.

La fraicheur des illustrations, le mélange d’humour bon enfant, de satire et de fantaisie débridée font de ces dix petits livres une source d’étonnement et de joie, à défaut d’une œuvre majeure dans la bibliographie d’Alain Saint-Ogan qui n’en manque pas.

Aujourd’hui peu connue, la production d’Alain Saint-Ogan mérite d'être redécouverte. La Cité de la bande dessinée a numérisé et mis en ligne une grande partie de ses albums et livres mais surtout ses 82 cahiers manuscrits tenus continûment entre 1905 et 1972 dans lesquels il collectait ses nombreuses contributions à la presse illustrée pour la jeunesse ainsi que la copieuse correspondance avec les principaux éditeurs et auteurs qui ont jalonné sa longue carrière. Ces cahiers (d’où est issue une grande partie de l’iconographie de ce billet) apportent un éclairage inestimable sur le travail de ce pionnier de la bande dessinée moderne et constituent un témoignage sans équivalent sur la vie de la presse et de l’édition de bande dessinée durant la première moitié du XXe siècle, en France.

Pour aller plus loin

Sur la bande dessinée animalière nous vous conseillons également la lecture du livre Animaux en cases : une histoire critique de la bande dessinée animalière apprivoisés par Thierry Groensteen, Paris, Futuropolis, 1987 ou le dossier documentaire publié par la Cité. Sur l’œuvre d’Alain Saint-Ogan, Neuviemeart2.0 a publié un dossier auteur. Sur les activités radiophoniques d’Alain Saint-Ogan, voir l’article de Julien Baudry, « Un dessinateur à l’antenne : Saint-Ogan et la radio ». Cahiers Robinson, Centre de recherches littéraires Imaginaire et didactique (Arras), 2015, Une radio pour la jeunesse.

Catherine Ferreyrolle, avril 2020.

 L’année de la BD à la BnF

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