Sarah Bernhardt : portraits et représentations d’une vedette (1)
Née en 1844 à Paris, Sarah Bernhardt connaît une carrière exceptionnellement longue, commencée en 1862 et poursuivie jusqu’à la veille de sa mort en 1923. Au cours de cette période de soixante-et-un ans, elle crée soixante-dix rôles et joue cent vingt-cinq pièces dont quatorze contemporaines. Surnommée « La Divine » ou « L’Impératrice du théâtre » par ses contemporains, elle est la première comédienne à avoir fait des tournées triomphales sur les cinq continents. « Reine de l’attitude et princesse du geste » selon les mots d’Edmond Rostand, elle comprend très tôt que sa célébrité repose sur une habile mise en scène de ses apparitions publiques et cultive savamment son image, notamment à travers la photographie et l’affiche, dans un contexte marqué par le développement du vedettariat.
Plus que tout autre personnalité du théâtre du XIXe siècle, Sarah Bernhardt aime poser devant les photographes, à la ville comme à la scène. Si les images que nous conservons d’elle proviennent de multiples ateliers photographiques, elle manifeste incontestablement une prédilection pour l’atelier Nadar, qui prend d’elle plusieurs centaines de clichés. Ainsi en 1864, Félix Nadar (1820-1910) fait de la comédienne, âgée de vingt ans à peine, une série de portraits remarquables, à la fois mystérieux et mélancoliques, au sujet desquels l’écrivain Jean-Louis Vaudoyer écrit plus tard :
« Voici les portraits de Nadar. On ne veut plus regarder qu’elle, ému d’une admiration qui, par les yeux, va toucher le cœur et le fait battre presque amoureusement. » (cité par Pierre Spivakoff dans Sarah Bernhardt vue par les Nadar, Herscher, 1982)
Sortie du Conservatoire d’Art dramatique de Paris en 1862, Sarah Bernhardt est entrée à la Comédie-Française la même année, mais l’a quittée presque aussitôt à la suite d'un différend avec une sociétaire, Mademoiselle Nathalie. Si elle joue des petits rôles au théâtre du Gymnase en 1863, elle n’est pas encore connue du grand public lorsque Nadar exécute d’elle ces portraits au décor minimaliste. Accoudée à une colonne, la jeune femme apparaît les épaules nues, avec pour seul bijou un camée à l’oreille, drapée dans un ample burnous, en tissu blanc dans la première photographie, en velours cassis dans la seconde, qui rappelle le goût de l’époque pour l’Orient.
Bien qu’il n’ait ouvert son atelier parisien que neuf ans plus tôt, Félix Nadar, qui est écrivain avant d’être photographe, l’a déjà presque entièrement délaissé en 1864. Entre 1855 et 1860, il a photographié de nombreuses personnalités du monde des arts et de la littérature, comme Delacroix, Berlioz et Théophile Gautier, mais a fini par se lasser de son travail de portraitiste. Il ne retrouve sa passion photographique que très ponctuellement, inspiré notamment par une Sarah Bernhardt débutante. Dans les clichés qu’il prend de la jeune comédienne, on reconnaît les qualités évoquées par le photographe et journaliste Henri Tournier dans l’hommage qu’il rend à Nadar en 1859, parmi lesquelles « l’habileté de la pose », « une disposition savante et raisonnée de la lumière », « une recherche délicate de l’harmonie et des tons légèrement estompés ». (« L’art du portrait » in Sylvie Aubenas, Anne Lacoste (dir.), Les Nadar, une légende photographique, exposition virtuelle accompagnant l’exposition éponyme organisée par la Bibliothèque nationale de France, 16 octobre 2018-3 février 2019)
Tout en simplicité, les portraits de Félix Nadar contrastent avec ceux que son fils, Paul Nadar (1856-1939), exécute de l’actrice à partir des années 1880, alors qu’elle est au faîte de sa gloire et pose des heures durant en costume, s’attachant à reconstituer ses rôles. Même s’il n’a pas le génie de son père, Paul a un réel talent de photographe et prend de plus en plus part aux activités de l’atelier à partir de la fin des années 1870, avant d’en devenir définitivement propriétaire en 1895. Passionné par le théâtre et l’art lyrique, il se spécialise dans les portraits d’acteurs et de chanteurs et travaille pour l’Opéra de Paris, dont il est le photographe officiel de 1898 jusqu’à la Première guerre mondiale.
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