La grippe espagnole
Il y a cent ans, en 1918, se répand une grippe que l’on appelle espagnole car les premiers cas ont été recensés dans ce pays. En effet, contrairement aux pays engagés dans la Première guerre mondiale, l'Espagne restée neutre ne pratiquait pas la censure. D’abord minimisée par les pouvoirs publics, occultée par les millions de victimes du conflit, c’est une véritable épidémie qui se propage très vite. A son terme, elle se révélera encore plus meurtrière que la Peste noire au Moyen Age.
Obsèques de prisonniers allemands morts de la grippe en Angleterre / photographie Agence Rol, 1919
Apparue pendant la Grande guerre, la grippe espagnole peut être considérée comme un épiphénomène de celle-ci. En effet, les importants brassages de populations, les conditions d’existence très difficiles au front et à l’arrière qui ont probablement fragilisé les organismes, la promiscuité forcée des soldats ont contribué au développement de l’épidémie.
En juillet 1918, un journaliste du Matin fait preuve de zèle patriotique dans son interprétation des faits :
En France, [l’épidémie] est bénigne : nos troupes en particulier y résistent merveilleusement. Mais de l’autre côté du front les Boches semblent très touchés par elle. Est-ce le symptôme précurseur de la lassitude, de la défaillance des organismes dont la résistance s’épuise ? Quoi qu’il en soit, la grippe sévit en Allemagne avec intensité.
Très vite, la soi-disante bénignité est sévérement démentie dans les faits. L’Académie de médecine diligente une commission de spécialistes afin d’enrayer les avancées fulgurantes de l’épidémie d'octobre à décembre 1918. Dans ce groupe de travail, on retrouve un épidémiologiste reconnu, le docteur Arnold Netter.
L’étiologie de la maladie reste très mystérieuse. Son point de départ est l’objet de controverses : tantôt la Chine, tantôt les Etats-Unis ou bien encore l’Europe. En revanche, une certitude se fait jour : les adultes jeunes dans la force de l’âge et en bonne santé sont les plus touchés. Cela peut s’expliquer dans un premier temps par le fait que la population active est plus exposée à une multiplicité des contacts, la contagiosité de ce virus étant particulièrement forte. Voici les observations que l’on relève dans un Bulletin de l’Académie nationale de médecine paru en octobre 1918 :
Le virus semble extrêmement contagieux, un contact passager avec un grippé suffit pour créer la maladie. Si l’on ajoute à cette notion de facilité extrême du contage celle de la briéveté de la période d’incubation qui peut ne durer que quelques heures, on s’explique la rapidité avec laquelle se fait la diffusion de la maladie. Cette diffusion est d’autant plus facile que les conditions de promiscuité sont plus grandes [....]. Dans l’épidémie actuelle on voit la grippe frapper brutalement presque en même temps la plupart des hommes d’un camp, d’un fort, d’un train sanitaire, etc..
Les médecins expliqueront aussi que c'est le système immunitaire de cette classe d'âge qui a trop vigoureusement réagi à ce nouveau virus, et donc endommagé tous les organes. Le Journal de médecine et de chirurgie pratiques à l’usage des médecins du 10 février 1919 décrit les symptômes :
L’épidémie est d’autant plus difficile à endiguer que les hôpitaux et les services médicaux sont déjà engorgés par les blessés de guerre. Les malades sont consignés à leur domicile afin de respecter la règle d’isolement. La prophylaxie — autrement dit les méthodes visant à prévenir une maladie ou à protéger la population — est déjà connue, comme en témoigne ce Traité d’hygiène publié en 1912.
En 1921 paraît Aperçu sur l'histoire de la médecine préventive où l’on peut lire les conclusions que tirent les médecins de l’épisode de grippe espagnole. On peut aussi se référer à cette causerie scientifique, article de vulgarisation scientifique du journal La Croix en mars 1919.
Parmi les victimes célèbres, on compte le poète Guillaume Apollinaire qui, affaibli par une blessure de guerre, meurt à l’âge de 38 ans. Le dramaturge Edmond Rostand en succombe à l’âge de 50 ans, un des pionniers de l’aéronautique Léon Morane à 33 ans. Le peintre autrichien Egon Schiele disparaît à l’âge de 28 ans, trois jours après sa femme enceinte.
Au total, les historiens estiment que la pandémie a tué 20 millions d’individus, voire entre 50 et 100 millions si l’on prend en compte les complications et surinfections. En effet, les survivants de la grippe de 1918 avaient un système immunitaire affaibli et on a pu observer une surmortalité de femmes lors des accouchements. Une prise de conscience de l’importance de l’hygiène se fait alors jour et aboutit à la création d'un réseau de surveillance : le Comité d'hygiène de la Société des Nations, ancêtre de l'Organisation mondiale de la santé.
Commentaires
Merci
Non seulement je ne savais pas pour Guillaume Apollinaire et le peintre autrichien Schiele mais cela me donne envie d'en savoir davantage sur cette pandémie dont fut aussi victime mon grand-père né en 1901...
Grippe espagnole
Compte tenu du nombre de morts, il n'est pas étonnant que des célébrités aient subi le même sort. On peut ajouter Max Weber, Franz Kafka, le peintre Amadeo de Souza-Cardoso (qui fut exposé récemment au Grand Palais), etc.
Étonnamment, comme on le voit ces jours-ci, la mémoire collective a davantage retenu l'hécatombe de la guerre 14/18 que cette pandémie pourtant bien plus meurtrière. Faut-il en conclure que les effets de la folie des hommes a plus marqué que ce qui pouvait être considéré comme un effet de la nature ?
Témoignage
Durant mon enfance dans les années 50-60 cette pandémie m'a très rarement été évoquée par mes ascendants au contraire des deux guerres mondiales. Seul un oncle m'avait parlé d'un "grippe espagnole" qui avait tué des millions de personnes.
Si la survenue de la Covid n'avait avait pas forcé la mémoire des peuples à exhumer cette épidémie historique, l'oubli se serait définitivement installé !
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