La société SOGEDIS et le label KTB
Au début des années 1960, il fait la connaissance de l’éditeur phonographique Jean Karakos, ex-mari de sa première femme. Ce dernier vient de faire faillite et ne peut donc être gérant de la nouvelle société qu’il souhaite monter. Il propose alors à Fernand Borruso de tenir ce rôle. Les deux hommes, qui resteront complices tout au long de leur vie, montent ainsi ensemble la SOGEDIS (Société Générale de Distribution). Cette structure utilise la technique dite du « laisser sur place ». Il s’agit d’acheter en grande quantité des disques auprès des cinq majors françaises et de quelques petits labels et de les revendre plus chers, en direct, auprès des disquaires, fleuristes, magasins de radios et tabac. La SOGEDIS montra également un petit label phonographique : K.T.B. Ce label tire son nom des initiales de ses fondateurs : Jean Karakos, Fernand Borruso et Roger Tokarz. Ce dernier, chef de l’expédition des pièces détachées chez Brandt, est débauché par Fernand Borruso et rejoint la SOGEDIS. En 1966, Il fondera les éditions musicales Sforzando et le label Tele music entièrement dévolue à la librairie musicale. Au milieu des années 1960, Jean Karakos part s’installer à Bandol pour ouvrir un magasin de disque, ce qui mettra un point final à la société SOGEDIS.
Le label Clameurs et le studio Ossian
En 1965, Fernand Borruso créé, sur les conseils de René Cacheux, fondateur en 1945 du label phonographique Pacific et travaillant alors pour la société de distribution Discodis, son premier label, Clameurs, spécialisé dans la chanson dite « paillarde ». Il s’adjoint pour se faire les services de l’équipe de chansonniers du Caveau de la Bolée menée par Jacques Lesprit. En parallèle, il fait la connaissance de M. Buisset, propriétaire d’un tout petit studio d’enregistrement situé passage des Abesses, le studio Ossian, où Fernand Borruso réalisera ces productions. Toujours durant cette période, il réalise pour la société Hoover des disques publicitaires. Ces deux activités s’avèrent fort lucratives et lui permettent de se rendre acquéreur de 50% du studio Ossian.
Label, édition et studio Saravah
Toujours en 1965, Pierre Barouh, dont Fernand Borruso a fait la connaissance en 1954 lors d’une partie de Volley sur la plage du Golfe-Juan et qu’il n’a cessé de côtoyer depuis, recherche des fonds pour produire la musique d’Un homme et une femme, le film de Claude Lelouch. Fernand Borruso fait alors appel à Rolf Marbot, fondateur des éditions musicales Méridian pour lequel il a également travaillé. Ce dernier lui prête alors 10 000 francs qui permettront l’enregistrement de la musique du film aux studios Davout. Fernand Borruso rejoint ainsi l’aventure des éditions musicales Saravah en janvier 1966 avec Pierre Barouh, Francis Lai et Claude Lelouch.
Il se rapproche également d’Yves Chamberland, fondateur des Studios Davout en 1965. Ce dernier cherche un studio plus petit pour réaliser des maquettes. Il rachète les 50% restants des studios Ossian à M. Buisset et promet en échange de l’utilisation du studio de fournir à Fernand Borruso le matériel d’enregistrement obsolète du studio Davout. Mais Yves Chamberland ne tient pas parole et Fernand Borruso, grâce à une manœuvre habile, s’arrange pour racheter l’ensemble du studio Ossian qui devient alors le studio Saravah. L’ingénieur du son Daniel Vallancien officiera aux manettes, et Michel Salou, secrétaire des studios Davout, débauché par Fernand Borruso, aura en charge la gérance du studio et l’organisation des tournées des artistes Saravah. Une liberté sans limite est accordée aux artistes qui viendront y enregistrer : plus de séance de trois heures comme c’est alors le cas dans les studios des majors. Certaines séances pourront ainsi se prolonger tard dans la nuit. Sous la férule de Daniel Vallancien, artistes et musiciens pourront également tester et innover sans contrainte. Jacques Higelin enregistrera ainsi par exemple 11 versions différentes d’un même morceau.
En 1968, Saravah devient également un label discographique et édite la musique de 13 jours en France, film de Claude Lelouch sur les jeux olympique d’hiver de 1968 à Grenoble. Francis Lai et Claude Lelouch s’intéressant peu au monde de la chanson et du disque et ne resteront que peu de temps actionnaires de Saravah. Pierre Barouh et Fernand Borruso, curieux et férus de nouveaux artistes et de nouveaux courants musicaux, accueilleront au fil du temps au sein de Saravah Brigitte Fontaine, Jacques Higelin, le Cohelmec ensemble, l’Art Ensemble of Chicago, Barney Wilen ou encore Maurice Lemaitre, artiste libertaire et figure du lettriste.
Pierre Barouh s’occupe davantage du volet artistique et Fernand Borruso de la gestion des éditions musicales, du label et de la production des disques, attachant une importance toute particulière aux pochettes, notamment pour la premier production de Brigitte Fontaine, Brigitte fontaine est… folle, pour lequel il n’existe, pour la première tirage, aucune pochette identique. Mais cette répartition tacite n’empêche pas Fernand Borruso de participer aux choix artistiques. C’est lui qui signe Brigitte Fontaine et qui créé au sein de Saravah un sous label : Horse records, qui accueillera entre autre le musicien américain de folk Jack Tresse.
Fondation de BYG et collection BYG/Actuel.
En 1969, Fernand Borruso participe, avec son ami Jean Karakos, et l’associé de ce dernier, Jean-Luc Young, à la création du label BYG records ainsi qu’à son corollaire, BYG musique (les éditions musicales). C’est également lui en 1969 qui interfère auprès d’Yves Chamberland pour que les musiciens américains de free jazz venus du Panafrican Festival d'Alger puissent enregistrer à des tarifs préférentiels au studio Davout. Naitront de ces séances la mythique série BYG/Actuel de 52 disques édités entre 1969 et 1972.
Fin de Saravah et les labels Galloway et Remington navy
En 1972, suite à un désaccord avec Pierre Barouh lié au pourcentage que détient Fernand Borruso dans la société Saravah, celui-ci décide de quitter la structure et de fonder son propre Label : Galloway. Il travaille avec l’éditeur musical Georges Bacri, propriétaire de Pema music, et édite ses musiques de film, notamment Deux hommes dans la ville de Philippe Sarde, Borsalino and Co de Claude Bolling ou encore Les noces de porcelaine d’Alain Goraguer. Il publie également de 1973 à 1975 la collection Musique du monde qui regroupe les enregistrements de l’ethnomusicologue Jacques Brunet, spécialiste de l’Asie. En 1973, CBS France refuse de sortir le dernier 45 tours d’Adriano Celentano, Prisencólinensináinciúsol. Fernand Borruso prend la licence de ce titre pour la France, la Suisse et la Belgique et en vendra plus d’un million deux-cent mille exemplaires. Il est également l’éditeur du disque Evening colors de Gate Way, pseudonyme de Jacqueline Thibault. Ce disque, aujourd’hui introuvable, est très recherché des collectionneurs.
En 1975, il créé également le label Remington navy sur lequel il va sortir quelques musiques de film dont un disque regroupant des titres d’Ennio Morricone publiés par le label italien CAM entre 1964 et 1972.
Téléphone, les Frères Bogdanoff et Cœur de chien.
En 1976, la destruction accidentelle par un promoteur immobilier de son stock de disques conservé dans deux grands box à Versailles, permet à Fernand Borruso, peu désireux de poursuivre dans l’édition phonographique, de déposer le bilan de Galloway. Il souhaite se consacrer désormais à une activité de consultant. C’est ainsi qu’il aide Jean Karakos en 1977 à la réalisation du premier 45 tours du groupe Téléphone, Hygiaphone, pour son nouveau label, Tapioca. Il s’intéresse également au cinéma et travaille avec les frères Bogdanoff et Alejandro Jodorowsky sur un projet nommé "Museum terra". Ce film, qui devait être la première réalisation en vidéo de l’histoire du cinéma, s’arrête après seulement deux jours de tournage à la Villette. Autre projet avorté, celui d’Aleksandar Petrovic, pour lequel Fernand Borruso avait édité la musique de son film J’ai même rencontré des tziganes heureux et qui remporta le grand prix spécial du jury au Festival de Cannes en 1967. Il proposait d’adapter une nouvelle de Mikhaïl Boulgakov, Cœur de chien. Mais le scénario, trop complexe à réaliser, ne verra pas le jour. En 1982, il collabore, au côté du producteur Norbert Saada, au film Espion, lève-toi, d’abord confié à Andrzej Zulawski pour la réalisation. Mais le courant ne passe pas entre le cinéaste polonais et Lino Ventura. Le film sera finalement réalisé par Yves Boisset.
Entretiens réalisés à Aubenas-les-Alpes chez Fernand Borruso en présence de Jean-Rodolphe Zanzotto (pour les questions, Bibliothécaire) et de Luc Verrier (Ingénieur son) les 9 et 10 mai 2022.