Le Tour de France de Gallica, étape 18 : Briançon
On l'oublierait presque aujourd'hui, mais Briançon fut une place forte dessinée par Vauban, censée protéger la France de ses voisins transalpins. Pourtant, Gino Bartali et ses compatriotes en firent leur terrain de jeu.
Dans ses Mémoires d’un touriste, Stendhal écrit en août 1837 : « Forteresse singulière, garnison où l’on s’ennuie. On ne peut être assiégé que pendant les quatre mois d’été » ; il avait déjà noté quelques jours auparavant : « la terre de ce pays est couverte de neige ou gelée pendant cinq mois de l’année ». Heureux et judicieux hasards du calendrier, c’est donc au mois de juillet que les coureurs du Tour prennent d’assaut cette forteresse. Le Tour de France y a fait étape plus de 30 fois ; le Giro (Tour d’Italie) ne dédaigne pas d’y passer, de s’y arrêter aussi parfois. Il faut dire que Briançon est la ville la plus proche de la frontière italienne…
Quoi de plus normal donc que de voir les cyclistes transalpins y briller et s’y imposer, de Giovanni Brunero à Felice Gimondi en passant par Gastone Nencini, Fausto Coppi et surtout Gino Bartali. Il y gagna en effet les étapes de 1938, 1948 et 1949. Il aurait d’ailleurs pu commencer dès 1937 ; il était bien parti mais il fut lors de cette étape victime d’une crevaison et d’« une chute fantastique dans un ravin », cette dernière l'handicapant pour le restant de la course.
Ce n’était que partie remise : le 22 juillet 1938, dans la 14ème étape qui va de Digne à Besançon, il « déborde tout le monde » et « remporte virtuellement le Tour de France ». C’est ce qu’il fera définitivement quelques jours plus tard, malgré quelques frayeurs, puisque l’on s’inquiète à la fin des étapes de la robustesse de ses boyaux (ou plutôt, peut-on supposer, de ceux de ses roues..). Il est alors au sommet de sa gloire et L’Auto peut célébrer « le divin grimpeur étincelant vainqueur du Tour de France ».
En 1938 il n'a pas rencontré de rival à sa hauteur ; ce sera fait l'année suivante, qui verra l'émergence de Fausto Coppi... La longue interruption due à la Seconde Guerre mondiale ne permet pas aux deux champions d’en découdre autant qu’ils l’auraient pu : la plupart des courses sont supprimées. De plus, en 1948, Coppi ne participe pas au Tour et la voie est libre pour Bartali qui remporte sans difficulté la course, avec sept victoires d’étapes à la clé… dont bien sûr celle de Briançon ! C’est donc un tour d’honneur bien mérité qu’il s’offre à l’arrivée à Paris.
Les deux hommes se retrouvent face à face, mais dans la même équipe, au départ du Tour 1949. Il convient, pour ce qui concerne Bartali et Coppi de replacer le Tour 1949 dans son contexte particulier. Les deux champions se sont affrontés lors du Giro quelques semaines auparavant. Ce ne fut pas leur combat le plus serré (Coppi l'emporta avec plus de 23 minutes d'avance au classement général), mais cela reste le plus célèbre : ce fut en effet ce Giro-là que suivit Dino Buzzati pour le Corriere della Serra. Quelques mois plus tôt, Curzio Malaparte avait publié Les deux visages de l’Italie, Coppi et Bartali. Loin d’être de simples chroniques, comme il s’en écrivit beaucoup, et parfois d’excellentes, au moment de la rivalité Poulidor/Anquetil en France, ces deux textes ont une autre dimension. Il s’agit d’une épopée dans le cas de Buzzati, qui compare ce Giro et ses deux héros à ceux de l’Iliade : « Bartali c’est Hector, tandis que Copi est assimilé à Achille » ; pour Malaparte les deux champions sont « … aussi dissemblables l’un de l’autre que peuvent l’être deux différentes conceptions du monde, deux différentes manières de concevoir l’univers et la vie » : « Il y a du sang dans les veines de Gino. Dans celles de Fausto, il y a de l’essence ». Le premier est le « champion d’un monde déjà mort », le second le « champion d’un monde nouveau ».
Lors de la 16ème étape, à Briançon, Bartali gagne et prend le maillot jaune le jour de ses trente-cinq ans avec, dit-on, la bénédiction de Coppi. Le lendemain ce dernier profite, dit-on, d'une crevaison de Bartali (une crevaison, à l'époque, ne se réparait pas avec la même facilité qu’aujourd’hui… ni avec la même rapidité) pour prendre le large.
Tout cela résume assez bien les rapports complexes entre les deux champions ; c’est aussi, avec la victoire finale de Coppi sur ce tour 1949, l’affirmation de sa suprématie sur son plus grand rival. Bartali de son côté participera encore au Tour 1950, que son compatriote Fiorenzo Magni aurait dû remporter : mais c’est une autre histoire…
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