Henriette Delalain, un portrait sensible
Les albums pour la jeunesse d'Henriette Delalain sont bien représentés au sein des collections du département des Estampes. Pourtant, la biographie de leur auteur n'a été éclairée que très récemment. Un bref compte rendu de ces découvertes permet aujourd'hui de mettre en lumière une artiste méconnue et rend hommage à son travail pour l'illustration, un domaine encore trop peu valorisé.
Le département des Estampes conserve une vingtaine d'albums jeunesse édités chez Ch. Ramel & Cie et illustrés par Henriette Delalain (1886-1945) entre 1917 et 1928.
Les opuscules contiennent de courtes histoires, des cartes postales ou encore des images à colorier voire à découper. Le monde de l'enfance, plus particulièrement celui des petites filles, y est représenté dans un univers bourgeois aux couleurs pastel. Ce monde n'est pas complètement insouciant cependant, notamment dans Alice et Renée, publié en 1918, quand la plus jeune des deux soeurs apprend à lire et à écrire, ce qui lui permet d'échanger avec son Papa envoyé au front. Plus encore, bien que cela soit très subjectif, les dessins semblent imprégnés d'une sorte de mélancolie.
Malgré la relative importance quantitative de cette série d'albums, il y a peu de temps, la biographie d'Henriette Delalain était encore pratiquement inconnue.
Son activité au profit de l'édition semble s'interrompre en 1929, après la parution d'un récit de voyage à New-York dont l'auteur, François Debat, médecin et amateur d'art, lui avait confié l'illustration. Les vues de la métropole américaine paraissent avoir été réalisées d'après des photographies plutôt qu'in situ. Toutefois, la revue L'Archer en souligne la qualité en 1931, louant les "excellents dessins" de l'artiste.
Henriette Delalain a par ailleurs participé à quelques salons et notamment au Salon des indépendants. Le Salon de 1931 rapporte qu'elle a été élève de Marcel Baschet et Henri Royer, ce qui permet d'en déduire qu'elle a étudié au sein de l'atelier féminin de l'Académie Julian. Paris médical, dans son compte rendu du Salon des artistes français de 1935, souligne la qualité de ses nus et rapproche son style de celui de Maurice Denis.
Les rares mentions dans les revues n'apportent cependant que peu de renseignements. Il faut mener quelques recherches généalogiques pour mieux comprendre l'univers d'Henriette Delalain.
Elle est la deuxième de quatre filles. Un portrait de sa main, récemment passé en vente, représente probablement cette sororie. On y voit Berthe, la plus âgée, née en 1884, derrière les trois plus jeunes. Henriette pourrait être sur la gauche, très pâle. À droite, en bleu, tenant un livre, se trouve Jeanne, de deux ans sa cadette, née en 1888. La benjamine, au premier plan, est Marguerite, née en 1891.
Les soeurs Delalain ont toutes vu le jour à Paris, dans le 14e arrondissement. Au début des années 30, Berthe est installée dans le 16e où elle exerce comme institutrice au cours Saint Didier. Elle paraît être le pilier de la famille. Elle a épousé un industriel danois, Niels Klinge. D'après les tables de recensement, Henriette vit avec le couple. L'aînée héberge également son père devenu veuf, et prend soin de lui jusqu'à la fin de sa vie. Jeanne, elle, s'est également mariée et vit dans l'immédiate proximité de la capitale.
De son côté, la plus jeune des soeurs, Marguerite, est devenue religieuse. Sa correspondance, conservée dans les archives de la Congrégation des Filles de la Sagesse nous livre quelques informations complémentaires. Lorsqu'elle écrit à Henriette, elle se contente de lui raconter son quotidien, elle lui demande de transmettre des salutations, en particulier à Monseigneur Chaptal (1861-1943), dont elle est proche.
En revanche, quand elle s'adresse à Berthe, elle évoque leur soeur dans des termes qui ne peuvent qu'interroger. Ainsi, en 1930, à l'approche de la période estivale elle s'inquiète : " Je suppose qu'Henriette ne va pas rester à Paris trop longtemps, les mois d'été sont si chauds. Il est vrai qu'on a la paix à Paris à cette époque là. J'espère aussi qu'elle te retrouvera bien vite parce que... toute seule... sans sa famille... Je ne vois pas trop comment elle pourrait y tenir ". En 1937, elle note que, quand elle écrit à Henriette, les nouvelles ne doivent guère parvenir à Berthe. Elle mentionne également les courriers qu'Henriette lui envoie selon " un système de correspondance un peu bizarre " lui imposant de renvoyer les lettres à l'expéditrice après les avoir lues. Et elle ajoute : " oh, ça m'est égal, si ça peut l'occuper un peu ". Elle décrit enfin la photographie d'une Vierge de Noël, datée de 1936 et dessinée par Henriette. Elle apprécie : " C'est ravissant de pureté de ligne " avant de regretter " mais cela me rend plus triste encore de songer à tant de talents sans but, sans utilité ! ". Elle conclut la lettre en promettant un petit paquet de chocolat pour Henriette.
Henriette Delalain décède en 1945, à l'âge de 59 ans. Elle est inhumée à Garches auprès de deux de ses soeurs et de sa mère.
Les lettres de Marguerite permettent de mieux comprendre son univers sensible, un brin nostalgique, où le lien familial a beaucoup d'importance. Elles révèlent une personnalité fragile, même s'il n'est pas possible de connaître la nature exacte des difficultés de l'artiste.
Si peu de ses pastels sont connus, les dessins de l'illustratrice, au charme suranné, conservent et transmettent le souvenir d'un imaginaire centré sur l'enfance dans une famille parisienne au début du XXème siècle.
Voir aussi
La sélection "Littérature pour la jeunesse" de Gallica et particulièrement les rubriques "Coloriages" et "Jouets à découper"
Pour en savoir plus
Achives de la Congrégation des Filles de la Sagesse sur le site des archives départementales de la Vendée
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