Claude Vignon, sculptrice et critique d’art
Oubliée jusqu’à la publication en 2010 de l’anthologie La Promenade du critique influent par les éditions Hazan, Marie-Noémi Cadiot (1828-1888) fut une femme aux multiples talents : sculptrice, critique d'art, journaliste, romancière et féministe.
Marie-Noémi Cadiot est née le 12 décembre 1828 à Paris et morte le 10 avril 1888. Collégienne en rupture de pensionnat, elle épouse à l’âge de 18 ans un prêtre défroqué, Alphonse-Louis Constant.
Sous le pseudonyme de Claude Vignon, emprunté au roman Béatrix de Balzac, elle écrit des feuilletons littéraires pour le Tintamarre et le Moniteur du soir. Elle se forme à la sculpture auprès de James Pradier et participe aux travaux sur les bas-reliefs de la fontaine Saint-Michel à Paris, de même qu’à la décoration du Louvre et des Tuileries. Pour l’église Saint-Denis-du-saint-sacrement, elle réalise les quatre figures du haut-relief du porche : la Force, la Justice, la Prudence et la Tempérance.
À partir de 1849, elle développe une activité de critique d’art pour le Journal des femmes, avant de publier sous forme de livres chez Garnier et chez Dentu des essais plus longs pour le salon de 1851, puis pour ceux de 1852 et 1853 ; elle écrit également à l’occasion de l’exposition universelle de 1855. Dans ses contributions pour les salons, elle va jusqu’à faire la promotion de ses propres œuvres et partage avec d’autres femmes des stratégies pour être lue du grand public, notamment en utilisant un pseudonyme masculin ou en empruntant un ton docte et assuré de savant.
Claude Vignon témoigne dans cet extrait d’une vision élitiste du métier de critique d’art, chargé de l’éducation du public et des artistes eux-mêmes. Elle fait également preuve d’un goût assez conventionnel, estimant par exemple que la statue de son maître Pradier, La Toilette d’Atalante, est la plus aboutie du salon.
Malgré les nombreux obstacles qu’elle eut à affronter, Vignon obtint un succès certain dans le domaine littéraire et économique, parvenant à vivre de ses écrits, à une époque où il s’agissait d’un pari difficile, entre autres pour les hommes. Elle contribuait à différents journaux et revues, et fut même pendant une vingtaine d’années la correspondante en France de L'Indépendance belge. Elle publia une douzaine d’ouvrages de son vivant et épousa en secondes noces Maurice Rouvier, représentant à la Chambre des députés et politicien en vue sous la IIIe République.
Dans son roman Un Naufrage parisien (Michel Lévy, 1869) qui se déroule pendant la Monarchie de juillet, elle évoque ainsi le destin des femmes et leur dépendance :
Ainsi donc elle était esclave! et cette menteuse royauté que le monde lui laissait n'était qu'un leurre, une illusion qui devait durer ce que M. d'Ormessant lui permettrait de vivre, et pas davantage!
Cet homme était son maître ! et non son humble serviteur, comme elle l'avait cru jusqu'alors. Il pourait commander ; et, si elle résistait, il pouvait punir !
Entre les mains maritales, la loi avait tout mis : et son honneur et sa fortune, bien qu'elle fût mariée sous le régime dotal, parce qu'elle avait une fille dont le père était le tuteur légal — et son prestige de femme du monde, et ses joies maternelles... tout ! tout !! (p. 32)
La Révolution de 1848 apparaît à plusieurs reprises dans son oeuvre, révélant sa déception face à l’échec de la mise en place d’une justice sociale et d’une égalité entre les sexes.
On peut aussi lire dans Gallica une critique de Une parisienne, dans Le Passant (13 juillet 1882), par Camille Delaville, qui a aussi évoqué la critique d'art dans Mes Contemporaines (1887) ; et plusieurs portraits de Claude Vignon par ses contemporains, par exemple Jean d’Alesson dans La Gazette des femmes, le 25 mars 1882, ou ce portrait / nécrologie dans Le Monde illustré du le 21 avril 1888 :
« Claude Vignon (Mme Maurice Rouvier), sculpteur, romancier et publiciste, est née à Paris en 1833. « À l'âge où la plupart des jeunes filles ont avec leur miroir leurs plus chers entretiens, dit un de ses biographes, elle maniait déjà la plume et l'ébauchoir. » Elle débuta par des articles de critique sur le Salon dans le Moniteur du Soir, en 1851. Élève de Pradier, elle menait de front des travaux littéraires et artistisques. [...]
Mme Claude Vignon est le seul statuaire de son sexe dont une œuvre ait été admise dans le choix des sculptures françaises exposées dans le jardin central de l'Exposition universelle de 1867. Sa statue en marbre, représentant la Nymphe Daphné, est aujourd'hui au musée de Marseille. […]
Les romans de Claude Vignon resteront certainement plus longtemps que ses critiques ou ses lettres politiques. Elle a publié chez Hetzel les Récits de la vie réelle, volume de nouvelles, Jeanne de Mauguet, les Complices ; puis chez Calmann Lévy, Château Gaillard, les Drames ignorés, volume de nouvelles ; Élisabeth Verdier, Une Femme romanesque, le Mariage d'un sous-préjet, un Naufrage parisien, Une Parisienne, Révoltée !, Une étrangère ; chez Monnier, une plaquette illustrée : Vingt jours en Espagne. Ces romans avaient tous été publiés dans divers journaux de Paris, parmi lesquels le Figaro, le Temps, la République française.
On le voit, peu de femmes se sont créés dans les arts et dans la littérature une place aussi importante que Mme Claude Vignon. Il nous appartenait de rendre hommage. »
Pour aller plus loin
- Claude Vignon à la BnF
- Claude Vignon. Exposition universelle de 1855. Beaux-arts, Paris : A. Fontaine, 1855
- La Promenade du critique influent : anthologie de la critique d'art en France 1850-1900 (Hazan, 2010)
- Juliette M. Rogers. « La critique en portraits : Camille Delaville et ses contemporaines ». Sociétés & Représentations, 2015/2, n° 40, p. 95 à 110
- Juliette M. Rogers. « La fortune sourit aux audacieuses. Féminisme et audace dans Un naufrage parisien (1869) de Claude Vignon ». La Littérature en bas-bleus, II. Romancières en France de 1848 à 1870, p. 111-123
- Femmes de lettres
- Femmes artistes
- Les autres billets sur les critiques d’art
- Les femmes dans les collections de la BnF
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