Gaby Deslys, icône oubliée du music-hall
Nous initions aujourd'hui une série de billets de blog sur les pionnières du théâtre, du music-hall et du cinéma avec la présentation de Gaby Deslys, chanteuse française et artiste de music-hall aujourd'hui oubliée mais véritable star en son temps.
Gaby Deslys, de son vrai nom Marie-Elise-Gabrielle Caire, naît à Marseille le 5 novembre 1881 dans une famille de la bourgeoisie commerçante. Admise dans un pensionnat prisé de la bonne société marseillaise, elle développe à l'adolescence une inclination pour le théâtre et les spectacles. Lorsque son père, drapier, connaît des difficultés financières, elle étudie secrètement au Conservatoire pendant deux ans et obtient un accessit de chant. En mai 1900, à 19 ans, elle s'enfuit de Marseille pour rejoindre Paris.
Gaby et le music-hall
Gaby commence sa carrière dans le music-hall comme simple figurante. Parfaitement consciente des difficultés du métier (conditions de travail épouvantables, concurrence féroce) et des limites de ses talents artistiques mais néanmoins désireuse de réussir, elle gère avec sérieux et détermination son emploi du temps et en parallèle de ses prestations sur scène le soir, elle suit dans la journée des cours de danse, de chant et de diction.
A partir de cette année, Gaby alterne les contrats en France et à l’étranger (Londres, New-York, Vienne). Pour rester en haut de l'affiche et remplir les salles, elle sait qu’il faut attiser la curiosité du public et l'éblouir, préceptes qu'elle met en œuvre pour honorer ses contrats aux Etats-Unis. Le public américain étant habitué à la démesure, elle se crée une image de femme flamboyante tant par les bijoux que par les vêtements.
« Sa garde-robe [...] devra être la plus étourdissante que l’Amérique ait jamais vue. [...] Des plumes, elle en aura partout, sur ses chapeaux comme sur les robes de Madame Rasimi, des plumes de marabouts, de paradis, de flamants, de perroquets, même de coqs, mêlés aux dentelles et aux franges perlées de ses tuniques de harem et de ses manteaux de fourrure ».(Jean-Jacques Sirkis, Les années Deslys, Editions Jeanne Laffitte, 1990. p 89)
Il s’agit d’un effeuillage de ses vêtements qui la laisse finalement revêtue d’un collant couleur chair donnant l’illusion de sa nudité. Ce prélude au strip-tease la conforte dans son statut de star du music-hall.
En 1917, Léon Volterra et Jacques Charles rachètent le Casino de Paris et la présence de Gaby leur permet de le relancer avec succès. La revue "Laissez-les tomber" est un triomphe pour la jeune femme qui va montrer une partie de son talent en maîtrisant la descente et la montée de l'escalier. Cette revue introduit aussi en France le jazz-band et les claquettes. Un nouveau music-hall émerge, plus fastueux, plus gai et plus rythmé.
Gaby Deslys et Harry Pilcer dans "La revue de Marigny" de Michel Carré et André Barde / dessin de Yves Marevéry
Gaby actrice
Le rythme des revues est effréné, ce qui conduit Gaby Deslys à penser à une reconversion en essayant de percer au théâtre et au cinéma.
Aux Etats-Unis, en 1913, elle joue dans une comédie musicale "Honeymoon express" au Winter Garden qui mêle cinéma et théâtre : la jeune femme est la première à jouer devant ce qui est devenu au cinéma une transparence. Puis, en 1914, elle est l'héroïne du film "Her Triumph", un mélodrame écrit sur mesure pour elle.
A Londres, en 1915, elle rencontre J. M. Barrie qui lui a écrit une pièce, "Rosy Rapture", qui ne rencontre malheureusement pas le succès escompté[1].
Elle poursuit son aventure cinématographique en France en 1918 avec le rôle principal féminin dans le film "Bouclette", réalisé par Louis Mercanton et René Hervil sur un scénario de Marcel L'Herbier.
C'est un succès et Gaby tourne ensuite dans "Le dieu du hasard" en 1919, réalisé par Henri Pouctal sur un scénario de Henri Nozière. Elle signe aussi en 1919 pour tourner quatre films en 1920 avec l'Unione Cinematografica Italiana à Rome, contrat qu'elle ne pourra finalement pas honorer.
Gaby et les hommes
Travailleuse acharnée, la jeune femme entretient tout au long de sa vie des amitiés intéressées qui doivent lui permettre de vivre sa vie telle qu'elle l'entend dans le luxe et avec une certaine liberté.
Son départ de Marseille est orchestré avec Jean Samat, un jeune homme qu'elle laisse dans la capitale une fois son but atteint.
Dès son arrivée sur Paris, elle aurait rencontré Auguste Rondel, un banquier et collectionneur, passionné de spectacles. Jean-Jacques Sirkis laisse planer le doute sur la relation entretenue entre la jeune femme et le banquier dans son ouvrage "Les années Deslys". Auguste Rondel lui aurait consacré entre 1900 et 1902 quatre albums de coupure de presse, interrompus en 1902 et repris à la mort de Gaby[2]. Quoiqu'il en soit, recommandée ou protégée par M. Rondel, elle entre dans le monde du music-hall et y gravit les échelons.
De tous ses protecteurs, le plus illustre est le roi Manuel du Portugal, à qui Gaby avait été chargée de faire découvrir les dessous de la vie nocturne parisienne lors d'un voyage en 1909. Le charme de la jeune femme est tel que le roi Manuel la couvre de bijoux et l'invite au Portugal par deux fois. La vindicte populaire les oblige toutefois à mettre fin à leur liaison et à se séparer.
En septembre 1911, Gaby rencontre Harry Pilcer, un danseur américain, avec qui elle finit par se fiancer. Ils apparaîtront ensemble dans des numéros de danse toujours plus énergiques les uns que les autres et le jeune homme va l'accompagner au faîte de sa gloire.
Gaby et sa famille
Artiste très bien payée, Gaby fait montre d'un véritable sens des affaires, dont elle fait profiter les membres de sa famille. Un an après son arrivée sur Paris, elle fait venir auprès d'elle sa sœur Mathilde Garcin, malheureuse en ménage. Celle-ci quitte alors son mari et se lance à son tour dans le music-hall en prenant le pseudonyme de Jane Kerville.
Le rythme fatigant du music-hall qui impose aux meneuses de revues de refaire tous les soirs les mêmes numéros avec la rapidité des changements de costumes entre deux tableaux, mine la santé de ces artistes. Gaby Deslys n'y échappe pas. Elle tombe une première fois malade en 1910 puis en 1915, elle doit se faire opérer des cordes vocales. En 1919, Léon Volterra, qui a repris le Théâtre de Paris, l'invite à la générale de "La Vierge folle" pour qu'elle lui fasse de la publicité. Elle y vient parée de ses plus beaux bijoux dans un éblouissant décolleté, mais prend froid. Elle meurt le 11 février 1920 d'une pleurésie purulente.
Dans son testament, en plus des legs aux membres de sa famille et à Harry Pilcer, notons qu'elle lègue à Marseille la propriété qu'elle y avait achetée, la villa Maud, pour que la ville en fasse un hôpital.
Gaby Deslys nous laisse l'image d'une star oubliée, celle d'une artiste marseillaise à la renommée internationale qui a accompagné et initié certaines des évolutions du music-hall et a acquis gloire et fortune tout en restant libre.
Repères bibliographiques :
- Jean-Jacques Sirkis, Les années Deslys, Marseille : Editions Jeanne Laffitte, 1990
- Jacques Charles, De Gaby Deslys à Mistinguett, Paris : Gallimard, 1933
- Jacques Damase, Les folies du music-hall : histoire du music-hall à Paris de 1914 à nos jours, Editions Spectacles, 1960
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