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Les avions terrestres s’offrent le ciel de l’Atlantique Nord

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3 juillet 2020

Après un premier volet sur les hydravions, le blog de Gallica et le Musée Air France vous expliquent dans ce second épisode comment l’avion terrestre, construit durant et pour les hostilités puis sur le marché civil à des prix compétitifs, s’est définitivement inscrit dans l’Histoire.

A la surprise générale le quadrimoteur FW-200 Condor D-ACON de la Deutsh Luft Hansa, compagnie aérienne allemande franchit sans escale la distance Berlin-Staaken – New-York via l’Irlande et Terre Neuve.

L’appareil, piloté par Von Moreau a quitté Berlin le 10 août 1938 à 19h53 et s’est posé à New-York le 11 à 13h ; il restait encore près de 1000 litres d’essence à bord. Les 6 500 km du parcours ont été franchis en 24h54 de vol à la vitesse moyenne de 258 km/h (pour mémoire, le Latécoère 522 "Ville de St pierre" affichait une vitesse de croisière de 200 km/h par vent nul). Le retour bénéficiant des vents favorables s’effectue en 19h58 à la vitesse de 320 km/h le 13 août 1938.

Cette performance survient au moment où aux Etats-Unis l’on travaille sur un Douglas DC-4, quadrimoteur Pratt & Whitney de 1400 ch. qui ne retient pas l’attention des compagnies aériennes.

Cet appareil construit à une seule unité, grâce à l’aide financière des compagnies aériennes s’est révélé trop peu économique. Une refonte importante de la cellule en a fait un avion de transport militaire C-54 qui s’est imposé, après les hostilités, sur le marché civil.

A la fin de la guerre, nombre de C-54 se sont trouvés, comme surplus, mis à la disposition des compagnies civiles comme C-54. Le véritable DC-4 construit après-guerre a été fourni aux compagnies cherchant un avion neuf, dont Air France : les dix premiers sont arrivés dans la flotte dès 1946.
Sa version améliorée nait au moment où les démocraties ont passé commande de milliers d’avions militaires à l’industrie américaine, les clients payant même l’édification de nouvelles halles de montage (Douglas à Santa-Monica, Boeing à Seattle, Lockheed à Burbank). Boeing saturé de commandes n’est plus dans la course mais Lockheed travaille sur un quadrimoteur portant le nom de Constellation. La guerre en Europe amène l’aviation américaine à hâter la construction de bases : PAA a construit l’aérodrome de Cayenne-Rochambeau, et en Afrique ceux d’Accra, de Khartoum, de Roberts Field (Uberca), de Lagos, de Maiduguri, d’El Fasher, en Amérique du Sud ceux de Barreiras (Brésil), en Alaska celui de Fairbanks et d’Anchorage, ainsi qu’aux Bermudes en échange de la livraison de contre-torpilleurs aux britanniques, au Groenland (2 bases dont Thulé) avec autorisation danoise. Ces bases vont servir d’escale lors de convoyages pour la livraison des appareils commandés, puis pour la protection des convois.
Les britanniques ont misé sur l’hydravion (Short Classe Empire et dérivés) et leurs constructeurs, durant les hostilités, ont fort à fabriquer des bombardiers quadrimoteurs (Lancaster, Stirling, …) dont des dérivés hâtivement aménagés vont participer en 1945 aux voyages long courrier de leurs compagnies. Ils avaient aussi porté de grands espoirs sur le De Havilland DH-91 Albatros pour 22 passagers qui s’est révélé trop fragile aux essais.

L’Allemagne nazie ayant perdu la guerre, la compagnie Deutsh Luft Hansa est dissoute et ses avions saisis. La France, occupée à relever les ruines, ne donne pas suite au projet de Farman transatlantique dont les trois exemplaires construits avant 1940 ("Camille Flammarion", "Le Verrier", "Jules Verne") n’ont pas eu l’heur de traverser l’Atlantique, bien qu’ayant servi sous les cocardes.

Reste en lice l’industrie nord-américaine qui a réussi à fabriquer en grande série le Douglas C-54 (4x1450 ch.) offert aux clients internationaux au titre des avions en surplus. De son côté Lockheed, fait voler un quadrimoteur L-049 réussi dont les variantes ultérieures (L-749 à 4 Wright de 2 500 ch., 1049 à 4 Wright de 3 250 ch., 1649 à 4 Wright de 3 400 ch.) vont connaître un grand succès international.

Les puissances affichées et la fiabilité de moteurs montrent à quel point l’industrie nord-américaine a progressé, laissant loin derrière elle les motoristes européens, les allemands étant hors course et les britanniques misant sur le turboréacteur, nouvelle source d’énergie propulsive.

Si les Américains sont dominants dans cette compétition nord Atlantique, il n’en reste pas moins que trois améliorations essentielles – et toujours mises en lumière par le Musée Air France – sont le fait des européens :  l’implantation au milieu de l’Atlantique d’un navire servant d’observatoire météo et de station de radionavigation, le "Carimaré" de la Compagnie Générale Transatlantique de France et deux innovations britanniques dont l’une a fait école (ravitaillement en vol), l’autre étant l’aide au décollage par un hydravion porteur (Short Maia et Mercury ; voir le billet précédent "Des hydravions sur l'Atlantique Nord").

Le règne de l’hydravion faisant la nique au paquebot pour le transport du courrier, bien réel en 1939, devient rapidement éphémère avec l’entrée en compétition des quadrimoteurs terrestres issus des hostilités. Comme le nombre des aérodromes bétonnés a lui aussi considérablement augmenté, l’hydravion perd de son utilité et se trouve rapidement remplacé. Le progrès aidant l’avion terrestre va s’adapter au transport d’un plus grand nombre de passagers puis se transformer pour suppléer le navire-cargo dans le transport des charges volumineuses comme les fusées.
Toutefois les plus grands progrès sont invisibles. La sécurité du transport aérien s’est renforcée par l’installation d’aides radioélectriques facilitant la navigation, notamment le Loran pour la navigation au long cours, les radiophares, radiobalises, les systèmes d’atterrissage par visibilité médiocre (I. L. S. – Instrument Landing System) et la surveillance du ciel (Radar) et par des technologies de surveillance et de contrôle renforçant la solidité des avions tout en facilitant leur allègement, par l’étendue du réseau d’observations météorologiques et de radiocommunications et par l’homogénéité des méthodes de formation des équipages et de contrôle des qualifications. L’immense et surprenant progrès réalisé de 1909 à 1939 est encore comparable, toutes proportions gardées, à celui de la période 1939 / 2019, sur beaucoup de points. Seul le vieil atavisme ou la hantise, "la peur que le ciel tombe sur la tête" ou encore "la nature a horreur du vide", restent vivaces malgré les multiples avantages apportés par le transport aérien.

Vital Ferry
 
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Pour aller plus loin …

  • Vital Ferry

    (1925-…) Pilote des corps techniques de l’État. Il rejoint la Direction de l’Aviation Civile en 1946 où il fut successivement Ingénieur en chef, puis en charge des hélicoptères, et enfin expert à la Direction Internationale pour les problèmes d’environnement.
    Il est l’auteur d’une vingtaine de livres dont : Aviation populaire, ou aviation prolétaire, 2007 ; Croix de Lorraine et croix du Sud, 1940-1942, 2005 ; Ciel impériaux africains, 1911-1940, 2005 ; Des formations aéronautiques : de l’instruction à la formation aéronautique 1911-1960, 2008 ; …
    À la retraite il publie des rubriques aéronautiques.
    Il est aujourd’hui l’un des meilleurs spécialistes de l’aviation civile.
     

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