Le merveilleux-scientifique : une Atlantide littéraire
La Bibliothèque nationale de France met à l'honneur, jusqu'au 25 août 2019, une école littéraire méconnue du nom de « merveilleux-scientifique » à travers une exposition qui déroule la genèse et la fortune du modèle entre 1900 et 1930. La redécouverte de ces textes, couvertures, illustrations et récits sous images nous révèle qu'ils contiennent en germe certains thèmes-phares de la science-fiction telle qu'on la connaît aujourd'hui : invasion extraterrestre, homme augmenté, cataclysme, savant fou, xénogreffe et être artificiel.
C'est en 1909, dans un article à valeur de manifeste publié dans le journal Le Spectateur, « Du roman merveilleux-scientifique et de son action sur l'intelligence du progrès », que l'écrivain et maître à penser Maurice Renard, entend rassembler une nouvelle école littéraire. Auteur du Docteur Lerne, sous-dieu, qui met en scène un échange de cerveaux, ainsi que du Péril bleu, récit d'enlèvement extraterrestre, Maurice Renard propose de distinguer le récit merveilleux-scientifique du roman d'aventures vernien, didactique et peu imaginatif scientifiquement. Il se préfère comme homologues Edgar Allan Poe, Auguste de Villiers de l'Isle-Adam, J.-H. Rosny aîné ou encore H. G. Wells. Il suppose que son « conte à structure savante » n'a pas pour but d'imaginer l'avenir, comme le propose Albert Robida, ou d'enseigner des rudiments scientifiques sur fond d'aventures, comme le font à la même époque André Laurie ou Paul d'Ivoi, mais plutôt de regarder le présent de manière légèrement décalée, afin de donner matière à penser à son lecteur.
Le merveilleux-scientifique, aussi, rencontre d'autres modèles littéraires, avec qui il partage cette appellation ambiguë. Victor Segalen nomme ainsi péjorativement le roman expérimental d'Émile Zola, pas assez scientifique à son goût. Maurice Renard et ses pairs s'en inspirent à deux titres : ils utilisent leurs romans comme un laboratoire à expériences, afin d'étudier les effets d'un milieu nouveau sur leurs héros ; ils entendent aussi mettre au jour les rouages secrets de l'homme, de manière littérale à présent, sous la forme de lecture des pensées ou d'un voyage intérieur.
L'expression « merveilleux scientifique » (c'est Renard qui empruntera celle-ci à Marcel Réja et lui ajoute un tiret pour en faire un genre) est aussi utilisée au même moment par le physiologiste Joseph-Pierre Durand de Gros pour désigner la conversion scientifique de pratiques autrefois merveilleuses ou surnaturelles et leur étude par des savants reconnus (Charles Richet, Marie et Pierre Curie, Camille Flammarion, Jean-Martin Charcot). Les mystères des sommeils prolongés des fakirs ou « anabiose » déchaînent les passions et l'imaginaire romanesque, tandis que d'autres s'intéressent au sixième sens permis par la « vision paroptique ». Et si derrière le surnaturel se cachait simplement une science non encore comprise ? Influencé par les sciences et pseudo-sciences, fasciné par la découverte des rayons X par Röntgen, le récit merveilleux-scientifique se présente donc aussi, selon les termes de Maurice Renard, comme une histoire « parascientifique ».
Il faut attendre les années 1970, avec les travaux de Pierre Versins et de la revue Fiction, pour que le champ merveilleux-scientifique soit redécouvert par des spécialistes de la littérature de l'imaginaire. L'oubli de la critique s'explique par plusieurs facteurs, touchant autant à la difficulté de Maurice Renard à faire reconnaître son modèle littéraire - dont il ne cessera de changer l'appellation entre 1909 et 1931, pour séduire un lectorat plus large - qu'à l'arrivée en France de la science-fiction américaine dans les années 1950. Ainsi, le genre merveilleux-scientifique, en plus d'attester de l'existence de motifs romanesques avant leur développement dans la plus tardive science-fiction américaine, est intéressant à redécouvrir car il témoigne d'une mutation dans le roman scientifique, favorisée par une époque passionnée par les mystères des parasciences. Relire le merveilleux-scientifique aujourd'hui, c'est aussi comprendre comment le passage du siècle, riche en vulgarisation scientifique, a vu naître de nombreux écrits d'imagination, inventant des sciences nouvelles.
L'exposition Le merveilleux-scientifique. Une science-fiction à la française propose à la fois de redécouvrir ce genre méconnu, récemment réédité par la collection de la BnF « Les Orpailleurs » (Le maître de la lumière de Maurice Renard ou encore Trois ombres sur Paris d'H.-J. Magog), mais aussi d'en identifier certains auteurs majeurs (Maurice Leblanc, Guy de Téramond, J.-H. Rosny aîné, Maurice Renard, Jean de La Hire, Octave Béliard, Léon Groc, Gustave le Rouge, Jacques Spitz). Leurs histoires, pleines d'inventions, d'images fascinantes et au diapason des découvertes scientifiques les plus récentes et de leur devenir, nous montrent combien l'imagination des auteurs français était en ce temps fertile.
Val, "La TSF interstellaire" dans Les Belles Images, 6 novembre 1930
Pour aller plus loin
Le merveilleux-scientifique. Une science-fiction à la française est une exposition gratuite visible sur le site François-Mitterrand du 23 avril au 25 août 2019, aux horaires d'ouverture de la BnF.
Pour lire des récits merveilleux-scientifiques dans les fonds Gallica, une carte aux trésors, sous la forme d'une bibliographie en ligne.
Pour se promener dans la richesse visuelle et iconographique du mouvement, un compte Instagram.
Commentaires
Octave Béliard ,parrain de ma mère,et frère de mon grand père ..
Tout ce qui est écrit sur lui m'intéresse et ,provinciale,j'irai voir cette exposition avec enthousiasme.
Cordialement
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