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C’est du propre ! La salubrité publique à Paris au XIXe siècle

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25 janvier 2014

Sous la Restauration et le règne de Louis-Philippe, Paris demeure une ville nauséabonde à peu près aussi sale et boueuse que sous l’Ancien Régime, où l’entassement des hommes participe des exhalaisons putrides et de toutes sortes de miasmes disséminés dans l’atmosphère. Extrême fragilité face aux épidémies ou maladies contagieuses et omniprésence de la mort font de la capitale une ville-tombeau pour 500 000 Parisiens.

Balayeur, par Eugène Atget, 1898-1900

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Dans sa Topographie médicale de Paris de 1822, Claude Lachaise suppose que « les émanations qui s’élèvent de rues étroites, bourbeuses et encombrées » et « l’accumulation de familles nombreuses dans la même maison, souvent dans la même pièce » sont des causes spécifiques à la ville susceptibles d’influer sur sa salubrité. Pour la première fois, on considère les cloaques à ciel ouverts que sont encore les égouts parisiens comme des problèmes sociaux et médicaux.

Progressivement, une médecine statistique s’élabore et l’hygiène publique se structure par les mathématiques. Avec Louis-René Villermé et Louis-François Benoiston de Châteauneuf, on obtient, par observations statistiques des lésions et symptômes, des paramètres quantifiés des taux de mortalité et d’espérance de vie. Pour la première fois, on établit une corrélation entre certains facteurs environnementaux et les causes de décès. Une idée nouvelle émerge alors : la mort n’est pas une fatalité. Elle ne se réduit pas à l’achèvement d’un processus biologique inexorable, elle est aussi un phénomène social qui peut être tempéré par des politiques publiques. Mais la France n’est pas un Etat fort au XIXe siècle : les régimes politiques se succèdent et aucun d’entre eux ne parvient à imposer une politique de santé publique convaincante dans la capitale.

Le Coin de la rue Jean Lantier et des Lavandières Ste Opportune, par Jules-Adolphe Chauvet, 1883
 

Cependant, l’épidémie de choléra-morbus qui se déclare à Paris en mars 1832 encourage une prise de conscience des pouvoirs publics concernant le problème des taudis. De nombreux médecins, persuadés que le choléra se propage par foyers d’infection et non par contagion, dénoncent les effets dévastateurs des îlots d’insalubrité et font porter la responsabilité de la maladie non sur le corps des pauvres mais sur des conditions de vie urbaine déplorables. L’humidité, le manque d’air, l’absence de tout-à-l’égout, la stagnation des eaux usées, le bourbier des rues et la promiscuité sont le lot commun de quartiers misérables tels que la Petite-Pologne ou de quartiers ouvriers des bords de Bièvre jouxtant les maisons de chiffonniers ou les tanneries.

Confrontée aux théories alarmantes des docteurs, la Préfecture de la Seine initie un certain nombre de politiques publiques et de recommandations en faveurs de l’hygiène. Mais, dans une grande ville congestionnée comme Paris, l’hygiénisme est vite débordé par des enjeux sanitaires complexes qui excèdent la sphère privée et appellent de grandes transformations urbaines. La première étape de la métamorphose de Paris débute en 1833 avec la nomination de Claude-Philibert Barthelot, comte de Rambuteau au poste de préfet de la Seine. Dans sa première adresse à Louis-Philippe, Rambuteau déclare : « Dans la mission que Votre Majesté m'a confiée, je n'oublierai jamais que mon premier devoir est de donner aux Parisiens de l'eau, de l'air et de l'ombre. » Convaincu que la salubrité publique réside dans la bonne circulation des éléments et qu’à l’inverse, la stagnation de ceux-ci a des répercussions fatales sur la santé des parisiens, le préfet de la Seine entreprend les premiers grands travaux d’urbanisme et de modernisation de la ville de Paris. Aux lacis de ruelles étroites, tortueuses et encombrées, Rambuteau oppose le percement d’une voie rectiligne de treize mètres de large et de près d’un kilomètre de long reliant les Halles au Marais afin d’optimiser la circulation de l’air, de la lumière et des hommes. Concernant la circulation de l’eau, Rambuteau déploie un vaste réseau de fontaines, modernise et développe le réseau des égouts tout en installant l’arbre et le square dans la cité afin de mieux drainer l’humidité des sols. Bien entendu, ces travaux d’urbanisation et d’assainissement offerts aux parisiens ont une contrepartie : l’expropriation qui profite aux spéculateurs fonciers mais relègue les pauvres plus loin dans les faubourgs ou à l’extérieur de la ville tout en modifiant la sociologie de la ville.

En 1842, alors que le million d’habitants est atteint, un médecin légiste, Henri Bayard, affine la définition de l’insalubrité et en précise les critères. Ses observations statistiques effectuées au niveau de la rue parisienne l’amènent à concevoir l’idée que l’hygiène et la densité de population sont des variables sociales explicatives des taux de mortalité relevés. Le problème de l’insalubrité renvoie désormais au logement ainsi qu’à la famille pour lesquels l’administration met en place un dispositif d’enquête dont les conclusions font l’objet de rapports. Cette attention nouvelle qui se développe à l’égard du logis privé est une constante de l’hygiénisme français à rapprocher de l’intérêt croissant que suscite la question ouvrière. C’est dans cette optique que Jules Verne compare, dans Les Cinq cent millions de la Bégum, une utopie de cité industrielle à une cité idéale régie par des règles strictes de salubrité et d’urbanisme où se matérialise un habitat de masse pensé pour assurer un mode de vie hygiénique.

1892 : calendrier souvenir, à nos abonnés : le rôle du gaz dans l'habitation moderne, maison Pellerin, 1891
 

De fait, les transformations de Paris qui se poursuivent sous le Second Empire entre 1852 et 1870 modifient tout autant l’espace public de la rue que l’espace privé du logis, ce qui est nouveau. Conduits par Napoléon III et le préfet Haussmann, ces travaux de modernisation d’ensemble de Paris sont un bouleversement majeur pour l’ensemble des Parisiens. L’hygiène devient gouvernement de la ville en inculquant ses principes à de nouveaux modèles d’urbanisme. Par éventration de quartiers entiers du vieux Paris, de nouvelles artères sont percées et un nouveau type d’édifice s’aligne le long de la chaussée : l’immeuble haussmannien et ses promesses novatrices d’eau et gaz à tous les étages. Aéré, lumineux, spacieux et raccordé au tout-à-l’égout ce nouveau type d’habitation répond aux normes de salubrité voulues des hygiénistes. Il est cependant utile de rappeler que sous les toits de ces belles bâtisses de pierre, confort et hygiène sont toujours absents et que les conditions de vie demeurent très difficiles pour les domestiques qu’Octave Mirbeau met en scène dans le Journal d’une femme de chambre.  Aussi, si l’hygiène et la salubrité publique se structurent désormais en lois et règlements visant à protéger la santé et le confort des parisiens, les plus pauvres, souvent victimes des expropriations massives, se concentrent dans des baraquements  misérables et insalubres à la périphérie de Paris ou en proche banlieue, anticipant la dure réalité des bidonvilles du siècle suivant.

Pour cette raison, et parce que la Révolution industrielle en marche attire vers Paris une main d’œuvre qu’il faut bien loger, Napoléon III s’inspire du familistère pour créer les premières cités ouvrières. Chaque famille dispose d’un appartement suffisamment grand, salubre, chauffé et clair. Dans le même temps, les cheminées d’usines qui bordent la capitale enveloppent Paris d’une nouvelle menace : la pollution atmosphérique, nouveau défi pour les acteurs de la salubrité publique.

Céline Raux - département Droit, économie, politique

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