Jean Douchet, le cinéma à la télévision
Jean Douchet est depuis plus de cinquante ans un incomparable "passeur de cinéma". Ses interventions orales, fondées sur une connaissance approfondie des films mais jamais doctes, ont marqué des générations de spectateurs de ciné-clubs, de cinémathèques et de salles de répertoire. Alors qu’un film sort en salles pour rendre hommage à ce maître toujours actif aujourd’hui (Jean Douchet, l’enfant agité), Gallica fait retour sur l’éducation au cinéma à la télévision, dont Jean Douchet fut l’acteur majeur à la fin des années 1960.
Responsable de la télévision scolaire à l’Institut Pédagogique national, Georges Gaudu (1) est un ancien de l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques). Il fait travailler de jeunes cinéastes et critiques parmi lesquels figurent notamment l’ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, Eric Rohmer, et son adjoint Jean Douchet. Jean Douchet réalise ainsi pas moins d’une trentaine d’émissions sur des sujets variés, notamment sur la littérature française du XIXe siècle, entre 1968 et 1970.
"Apprendre à lire le cinéma"
Chaque émission de la série sur le cinéma se compose d’un grand film classique : Tabou de Murnau et Flaherty (1931), L’Atalante de Vigo (1934), My Darling Clementine de John Ford (1946), L'Intendant Sanshô de Mizoguchi (1954), Partie de campagne de Renoir (1936-1946)… suivi d’une postface originale.
Dans le Bulletin de la radio-télévision scolaire de novembre 1968, Jean Douchet dresse le bilan de la première année et affirme une exigence : "Tous les arts visuels ont été jusqu’ici négligés dans l’enseignement, le cinéma en particulier, alors qu’il est peut-être l’art majeur du XXe". On voit qu'il ne s'agit pas d'agrémenter la grille de programmes de fin d'après-midi avec des films distrayants, mais bien de faire droit à l'art du cinéma à l'école, de leur apporter par le film leur "première ou seconde expérience culturelle véritable que la lecture ne leur fournit pas toujours d'emblée ou pas suffisamment". La RTS a ainsi vingt ans d'avance sur les directives officielles et les programmes scolaires.
Ces émissions poursuivent aux yeux de Jean Douchet trois buts : apprendre aux enfants à voir ; leur enseigner à lire un film, la manière dont il est construit ; leur permettre avec le cinéma d'enrichir leur regard sur le monde.
"Ni exégèse des œuvres, ni critique", les postfaces aux films poursuivent un but pédagogique qui leur est spécifique, affirme Douchet. Reste à en définir les moyens. Jean Douchet oppose à juste titre la démarche adoptée par Rohmer à la sienne propre. Eric Rohmer est allé s'entretenir avec Jean Renoir, François Truffaut, Henri Langlois. La parole concentrée de ceux-ci synthétise une pensée du cinéma dans sa nouveauté radicale comme art. Jean Douchet, à l'opposé, a pris le parti de discussions à bâtons rompus, sans préparation, avec des élèves.
"Postface à l’impératrice rouge", écrit et réalisé par Jean Douchet (1969)
Dans "Postface à l’impératrice rouge", Jean Douchet et Claude Chabrol se livrent à une analyse du film de Joseph Sternberg. Différents thèmes sont abordés dont la maîtrise de la lumière et la psychologie des personnages.
Pour aller plus loin dans son projet d’initier les plus jeunes à l’image, Jean Douchet réalise en 1968 un programme en trois parties intitulé : "Initiation au cinéma : 1. Aller au cinéma, 2. Voir le film, 3. Connaître l’histoire du cinéma", avec le concours d’élèves de plusieurs classes de transition. L’objectif est de poser les premiers éléments d’une éducation du jeune spectateur. La fiche pédagogique(2) de l’époque, rédigée par Jean-Paul Török, annonce les questions auxquelles les émissions vont tenter de répondre : "Quel rôle joue le cinéma dans la vie d’un adolescent ? Comment va-t-il au cinéma, et pour quelles raisons ? " Le langage filmique n’est pas traité en tant que tel : l’enjeu réside principalement dans le fait d’acquérir une forme de liberté en tant que spectateur afin de se forger sa propre idée du cinéma et trouver du plaisir à choisir et voir un film. On voit bien ici se dessiner la maïeutique de Jean Douchet, qui entend encourager l'enfant à réfléchir plutôt que de lui prodiguer un enseignement.
A l’occasion d’un entretien réalisé en 2014, pour les besoins de l’exposition qui s’est tenue au musée national de l’éducation à Rouen, "50 ans de pédagogie par les petits écrans", Jean Douchet est revenu sur cette période de la télévision scolaire, en précisant qu’il s’agissait d’un travail indispensable et novateur et c’est pourquoi il était nécessaire de le sauvegarder et de le faire connaître. En effet, selon lui, il faut que "le passé soit montré, exposé, c’est sa fonction pour ouvrir vers le futur, il n’y a pas d’avancée s'il n’y a pas de connaissance de ce qui s’est fait, c’est une nécessité absolue".
Pour aller plus loin :
Retrouvez Jean Douchet en 10 vidéos sur Gallica, notamment : "En répétant Molière", Jean Douchet (1969, IPN), "Chopin, Delacroix, Georges Sand", Jean Douchet (1969, IPN), "Romantisme et libéralisme" (1969, IPN)…
(1) Regards croisés – Georges Gaudu, responsable de la télévision scolaire 1963 - 1969 – module diffusé à l’occasion de l’exposition "50 ans de pédagogie par les petits écrans", 2014 – Réseau Canopé, Musée national de l’éducation.
(2) Média-Scéren – Résultat de recherche pour Jean Douchet, extrait du programme Initiation au cinéma 1 : Initiation au cinéma, 1. Aller au cinéma (1968), fiche pédagogique.
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