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Alexandre Yersin, un médecin au service de l’Indochine, son pays d’adoption

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21 avril 2020

A l’heure où sévit la pandémie du Covid-19, NumBA, la bibliothèque numérique du Cirad en agronomie tropicale, vous propose un focus sur les travaux originaux d’un médecin bactériologiste, pastorien et agronome autodidacte, de valeur, Alexandre Yersin.

Alexandre Yersin (1863-1943) a permis de mettre un terme aux pandémies de peste qui ravageaient régulièrement des populations du monde entier. En Indochine où il s’est établi définitivement à partir de 1895, son nom reste rattaché à plusieurs découvertes scientifiques majeures et à des travaux d’agronomie, dont les plantations d’"arbres à quinquina"…

Egalement explorateur et pionnier dans de nombreux domaines, Alexandre Yersin est un savant humaniste. Les grandes étapes de son parcours de scientifique sont évoquées dans la Revue de botanique appliquée et d'agriculture tropicale, numéro 1 de 1943.

Après avoir travaillé pendant 2 ans dans la première équipe de l’Institut Pasteur à Paris, sous la direction d’Emile Roux, Alexandre Yersin part pour l’Asie du sud-est, en 1890, en qualité de médecin des Messageries Maritimes.

A Saïgon, le professeur Albert Calmette, fondateur en 1891 et directeur de l’Institut Pasteur de la ville jusqu’en 1894, lui recommande d’entamer une carrière coloniale, en intégrant le corps du Service de Santé de l’Indochine.

Alexandre Yersin va, durant quelques années, mettre entre parenthèses sa carrière de médecin, pour se consacrer à la reconnaissance géographique et ethnologique de la Cochinchine et de l’Annam.

En 1894, le gouvernement français et l'Institut Pasteur de Paris l’envoient officiellement en mission à Hong Kong pour enquêter sur les sources d’une terrible épidémie de peste qui s’y est déclenchée. Quelques mois plus tard, elle s’est étendue à la Chine continentale et a déjà fait 100 000 morts à Canton. En 3 semaines, il isole et décrit le bacille de la peste humaine qui portera son nom (Yersinia pestis). Cette découverte est à la base de la quasi-éradication de la maladie dont l’agent vecteur est le rat, ou plus exactement… les puces dont les rats sont infestés !

Cette mission a permis à l’explorateur de se repositionner dans le champ de la médecine. De ses pérégrinations en Cochinchine et au sud-Annam, il a identifié des sites où il pourra de nouveau exercer sa vocation de médecin, et surtout de chercheur.

C’est ainsi qu’il s’installe en 1895 dans un village de pêcheurs qu’il avait précédemment visité. Il y crée un laboratoire de fortune pour la mise au point d’un vaccin et d’un sérum antipesteux : Nha Trang. Ce laboratoire deviendra l’Institut Pasteur de Nha Trang. Autre site qu’il avait repéré pour ses conditions climatiques idéales : Da Lat. Il y ouvrira rapidement un sanatorium, qui sera à l’origine de la ville de Da Lat, futur lieu de villégiature privilégié des riches saïgonnais.

Outre ses travaux de bactériologiste et de médecin, Alexandre Yersin mène d’intenses activités agricoles qui le placent au rang des agronomes hors du commun de l’époque coloniale. Pour la préparation de vaccins et de sérums, il se lance dans l’élevage de chevaux, de vaches laitières… et s’intéresse à la médecine vétérinaire. Dans son Etude sur quelques épizooties de l’Indo-chine, il s’attaque notamment à la peste bovine et met encore au point un sérum antipestique.

Dans le domaine de l’agriculture, il s’inspire beaucoup de ce qui se fait à Java et en Malaisie. Il tente divers essais de cultures pour en tirer des revenus et financer ainsi ses recherches.

Parmi ses initiatives, l’hévéaculture : persuadé qu’il était possible de faire quelque chose avec "l’arbre à caoutchouc", Hevea brasiliensis , il crée en 1899 une plantation sur le domaine de Suoi Giao.  Dès 1903, la vente de ses récoltes à la société Michelin lui assure des revenus significatifs.
 

A partir de 1917, Alexandre Yersin se lance dans une nouvelle aventure agronomique : l’acclimatation en Indochine de l’arbre à quinquina, une rubiaceae du genre Cinchona. Les vertus thérapeutiques des poudres et décoctions des écorces de ces arbres, originaires du versant ouest de la Cordillère des Andes sont connues en Europe depuis le XVIIe siècle, grâce aux Jésuites. Elles ont la propriété de soulager et guérir des méfaits des fièvres récurrentes. Là encore, la finalité de son projet est médicale et thérapeutique. Depuis des siècles, la malaria sévissait durement dans de nombreuses régions du globe, comme en Indochine. En 1820, les pharmaciens P. J. Pelletier et J. B. Caventou étaient parvenus à isoler plusieurs alcaloïdes de l’écorce de quinquina, et parmi ceux-ci la quinine, aux propriétés fébrifuges. Ils vont rapidement pouvoir l’extraire industriellement et en assurer la commercialisation. Leur méthode sera bientôt utilisée en Allemagne, aux Etats-Unis au Royaume-Uni et en Hollande. La malaria va pouvoir maintenant être combattue à l’échelle mondiale.

Les Hollandais avaient introduit et parfaitement acclimaté les Cinchona à Java dès les années 1850. À la fin du XIXe siècle, ils sont devenus les premiers fournisseurs mondiaux de l’écorce de quinquina. Leurs ambitions commerciales ne vont pas s’arrêter là. En 1896, l’usine de fabrication à grande échelle de sulfate de quinine, installée à Bandoëng, a pour objectif de conquérir l’ensemble du marché asiatique.

Ne voulant plus dépendre de ce monopole programmé pour l’approvisionnement en quinine de l’Indochine, notamment pendant la Première Guerre mondiale, Alexandre Yersin prend l’initiative de doter la colonie de sa propre production d’écorces de quinquina… et de quinine.
 

Défi risqué, car les arbres à quinquina sont particulièrement exigeants ! "Enfants gâtés de la botanique", ils ont de grandes exigences : conditions climatiques idéales pour leur santé fragile, soins attentionnés à leur prodiguer durant leur jeune âge, caractéristiques de sol plutôt contraignantes pour leur développement, techniques de récolte et de préparation du produit très précises. Alexandre Yersin ouvre d’abord une station agricole au Hon-Ba, à 1500 mètres d’altitude, et réalise les premiers essais d'acclimatation. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Yersin déplace alors ses plantations à Dran, 1000 mètres d’altitude où le sol convient mieux à cette culture. Quelques centaines de pieds sont repiqués et s’adapteront à ce nouvel environnement. 
 

Son engagement au service de l’intérêt de tous au mépris de ses intérêts personnels, son esprit d’entreprise, son charisme ont valu à Alexandre Yersin une reconnaissance internationale, tout particulièrement au Viet Nam, sa deuxième patrie d’adoption. En témoignent sa tombe à Nha Trang, toujours parfaitement entretenue, des rues qui lui sont dédiées, ainsi que des établissements portant son nom, près de quatre-vingts ans après son décès.
 

En 2020, ses travaux ont une résonnance particulière avec l’actualité et avec les recherches en cours sur la Chloroquine et l’Hydroxychloroquine, deux dérivés de la… quinine.

Sylvie VAGO pour l'équipe NumBA

 

Commentaires

Soumis par José MARTIN le 04/05/2020

Comme tant d'autres collègues, j'ai été dans mes vertes années exposé au palu en Afrique, du temps des instituts d'avant le Cirad, et soigné par une injection de quinine dans un hôpital de brousse tenu par un missionnaire italien (le père Celestino à Bébedjia, Tchad). Or le palu - malaria - sévissait encore en Espagne dans les années 40, et mon père, très sévèrement atteint bénéficia in extremis d'une injection de quinine. Il en réchappa, au grand soulagement du médecin qui en catastrophe lui avait administré une dose de cheval, et qui craignait donc que son cœur d'ado ne tint pas le coup. De l'art difficile des thérapeutes, si tendu entre les risques alpha et béta. Ainsi en va-t-il pour les agronomes et agriculteurs, avec l'approche bénéfice risque versus le principe de précaution à outrance ! A bon entendeur...

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