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Bouvard et Pécuchet : les historiens du XIXe siècle bousculés

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18 octobre 2017

Tricoté de main de maître, Bouvard et Pécuchet, le réquisitoire humoristique que la mort de Flaubert a laissé inachevé, prend toute sa saveur si l’on consulte au fur et à mesure de sa lecture les livres cités, ce que nous permet Gallica !

Plusieurs lectures de Bouvard et Pécuchet (édité en 1881) sont possibles. Les amoureux du style flaubertien, les amateurs de peintures sociales féroces et jouissives, s’ennuieront peut-être au chapitre IV, consacré à l’histoire. Il faut en effet connaître l’historiographie du XIXe siècle pour réaliser combien Flaubert s’est amusé. Par le truchement de deux vieux garçons un peu naïfs, Flaubert chahute les savants et hommes de lettres qui n’ont pas su comprendre la liberté fictionnelle de Salammbô et lui en ont fait l’amer reproche. À l’instar des autres chapitres, celui consacré à l’histoire a nécessité des dizaines de lectures qu’on peut identifier dans les carnets manuscrits de Flaubert. Le romancier nous convie à une "promenade dans le labyrinthe infini de l'érudition avec un fil dans la main; ce fil est la grande ironie d'un merveilleux penseur qui constate sans cesse, en tout, l'éternelle et universelle bêtise" (Maupassant).

Retirés à la campagne, deux copistes parisiens, Bouvard et Pécuchet, tentent de comprendre le monde qui les entoure par des lectures boulimiques et désorganisées conduisant à des expériences malheureuses. Amateurs de poncifs, rétifs au raisonnement, ils se lassent rapidement et passent d’un sujet à l’autre. Ils abandonnent donc l’archéologie pour l’histoire, et déchantent, le premier auteur rencontré, Anquetil, étant prolixe et moralisateur comme peuvent l’être les historiens vers 1800 :

L'ouvrage d'Anquetil se trouvait dans leur bibliothèque ; mais la suite des rois fainéants les amusa fort peu. La scélératesse des maires du palais ne les indigna point – et ils lâchèrent Anquetil, rebutés par l'ineptie de ses réflexions.

Ils se tournent alors vers un ami qui leur conseille deux historiens aux visions radicalement opposées, Genoude et Augustin Thierry. Pécuchet trouve habile la méthode de Genoude qui consiste à  "faire se rejoindre les deux bouts de l'histoire de France, si bien que le milieu est du remplissage", puis se rallie à la "rigueur scientifique du second" : "il se serait cru déshonoré s'il avait dit, Charlemagne et non Karl le Grand, Clovis au lieu de Clodowig". Sensibles aux effets de style et aux histoires plus qu’à l’Histoire, Bouvard et Pécuchet dévorent la Réfutation de l'histoire de France de l'abbé de Montgaillard, des ouvrages de Léonard Gallois ou de Lacretelle. Mais une dernière exagération de Prudhomme, la "Loire, rouge de sang depuis Saumur jusqu'à Nantes", les amène à prendre "en méfiance les historiens". Néanmoins, touchés par "le goût de l’histoire", "le besoin de la vérité pour elle-même", ils optent pour les méthodes d’Augustin Thierry et privilégient les sources. Désireux de retenir les dates des événements portés à leur connaissance, ils succombent bientôt à la mode de la mnémotechnie appliquée à l’histoire : "chiffres en figures" d’Allevy, "rébus" de Pâris ("un fauteuil garni de clous à vis donnera : Clou, vis – Clovis ; et comme le bruit de la friture fait "ric, ric" des merlans dans une poêle rappelleront Chilpéric"), etc., et sont encore plus perdus. Ils découvrent que même la datation des évènements est incertaine…

Déroutés par une histoire "qui change tous les jours", par les recommandations critiques de Daunou, ils en viennent à penser que "jamais l’histoire ne sera fixée". Ils décident alors de rédiger une histoire du duc d’Angoulême tenant compte des critères appris dans leurs nombreuses lectures. Le trouble leur est apporté par un bibliothécaire qui propose des brochures racontant les événements de manière contradictoire et des gravures représentant le duc sous des allures différentes. Désormais convaincus que "sans l'imagination, l'histoire est défectueuse", nos deux héros décident de se plonger dans la lecture des "romans historiques" à la mode (chapitre V), permettant ainsi à Flaubert d’ausculter un autre univers.

Pour en savoir plus sur Flaubert et la mnémotechnie, rendez-vous sur le blog "L’histoire à la BnF"
Retrouvez tous les billets de la semaine "Flaubert dans tous ses états"

Commentaires

Soumis par Stéphanie Dord-... le 18/10/2017

Les Gallicanautes intéressés par les lectures de Bouvard et Pécuchet (et donc par celles que Flaubert a préalablement faites pour rédiger son roman) peuvent se reporter à la "Bibliothèque" du site d'édition des "dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet": http://www.dossiers-flaubert.fr/bibliotheque.php?view=auteurs1.
En utilisant les notes de lecture (site http://www.dossiers-flaubert.fr/) et les brouillons du roman (http://flaubert.univ-rouen.fr/bouvard_et_pecuchet/index.php), ils pourront suivre la circulation de ces textes jusqu'à la version dite définitive du roman, voire - parfois - jusqu'aux pages préparées pour son "second volume" (http://www.dossiers-flaubert.fr/folios.php?classement_typologique=47&acc...).
Bonne navigation !

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