L’île des Faisans, un théâtre frontalier sur la Bidassoa
À la frontière franco-espagnole, entre Hendaye et Fontarabie, survit un espace politique baroque : l’embouchure de la Bidassoa et son île des Faisans, dépôt d’alluvions de 200 m de long à mi-chemin des deux rives, théâtre et symbole du dialogue des souverainetés.
Prélude en 1463 : la France vient de s’emparer de la province basque du Labourd alors que la Castille avait déjà dépossédé la Navarre du Guipuzcoa. Louis XI et Henri IV de Castille, qui ont à régler des affaires catalanes, choisissent alors l’embouchure de la Bidassoa aux confins de leurs suzerainetés mal assurées pour leurs pourparlers. Le décor est planté dans cette marge lointaine qui dès lors ne cesse plus de voir les monarques circuler.
Car un demi-siècle plus tard la rivalité franco-espagnole devient intense, c’est le choc d’un empire mondial et d’une puissance nationale. La limite des deux provinces basques devient frontière européenne pour la plus grande fortune du petit fleuve. Sur ses deux rives s’étend l’espace que les monarchies s’efforcent de contrôler, d’homogénéiser. La Bidassoa et son île (« des Faisans » ou « de l’Hospital »), interstices aqueux entre les souverainetés, deviennent d’autant propices à toutes les transmutations. Hétérogènes, elles ouvrent une ère d’alchimies royales.
Le premier acte sur cette scène frontalière est un tour de passe-passe : François 1er, prisonnier de Charles Quint depuis Pavie est échangé, le 15 mars 1526, contre ses deux fils aînés, le dauphin François de France et Henri de France (futur Henri II). De chaque côté de la rivière, des barques s’avancent et se rejoignent au milieu du cours d’eau où un ponton a été préparé à proximité de l’île.
Quatre ans plus tard selon le même cérémonial et après des jours d’atermoiements diplomatiques, le même spectacle se reproduit. Les enfants de France, accompagnés d’Éléonore de Habsbourg, future épouse de François 1er, sont changés en or. Le ballet exécute la paix de Cambrai avec sa rançon de deux millions d’écus dans une chorégraphie parfaitement réglée à l’avance, où chaque mètre d’eau parcouru compte, autant que le poids des barques utilisées.
À près d’un siècle d’intervalle, en 1615, une nouvelle cérémonie d’exogamie entre les deux lignées intervient sur le fleuve pour sceller l’alliance franco-espagnole. Anne d’Autriche, infante d’Espagne, doit épouser Louis XIII dont la sœur, Elisabeth de France, est destinée à l’infant Philippe.
La véritable consécration de la Bidassoa comme théâtre du pouvoir vient avec la négociation du traité des Pyrénées en 1659. L’aménagement durable de l’île des Faisans qui obtient à cette occasion son second nom « d’île de la conférence », fait de la Bidassoa l’antichambre où les deux royaumes prennent langue. Les discussions qui ont débuté à Madrid se poursuivent sur l’île pendant trois mois, entre Mazarin et Mendez de Haro, au cours de vingt-quatre rencontres, pour que l’accord s’accompagne du mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse d'Autriche, fille du roi d’Espagne. Louis XIV et Philippe IV se rencontrent dans l’île les 5 et 6 juin 1660 pour confirmer le traité, avant que le mariage ne soit célébré à Saint-Jean-de-Luz.
L’économie de l’espace dans l’île est tout aussi fine qu’elle l’était sur l’eau. Le terrain est également divisé dans toute sa longueur entre une partie française et une partie espagnole cloisonnées qui ne se rejoignent qu’à la salle des conférences où sont menés les pourparlers. Elle-même est à exacte proportion comprise dans les zones dévolues aux deux royaumes.
L’évènement est répercuté par des gravures qui le documentent auprès du grand public. La négociation du traité dans l’île se voit intégrée à la geste monarchique et ses temps forts immortalisés : entrées royales, fêtes, spectacles, funérailles, mariages…
L’île ainsi intronisée par la conférence devient ensuite la plaque tournante du florissant import-export de princesses nubiles qui s’établit entre les deux pays. En 1722 les deux royaumes bourbons s’y échangent Louise Élisabeth, fille du régent Philippe d’Orléans destinée au fils de Philippe V et l’infante Marie-Anne-Victoire que devait épouser Louis XV. Puis en 1723 c’est Philippine-Élisabeth d'Orléans, la fiancée âgée de huit ans de l’infant Charles (sept ans) qui est escortée dans l’île. Enfin en 1745 l’île est à nouveau spécialement aménagée pour constituer le sas d’entrée de Marie-Thérèse d’Espagne, fille de Philippe V et future Dauphine de France.
Le traité des Pyrénées négocié dans l’île se contente de définir la chaîne de montagne comme limite entre les deux pays mais ne règle en rien le statut de l’île comme il laisse inchangés tous les droits coutumiers qui préexistaient et les frontières, notamment ecclésiastiques, traditionnelles. Ainsi l’évêché de Bayonne continuait de s’étendre au-delà de la Bidassoa.
Il faut attendre le traité de Bayonne en 1860, qui fixe précisément la frontière, pour que le régime territorial de l’île soit défini avec une solution fidèle aux transformations souveraines qui ont été siennes. Elle devient un condominium : chaque année l’Espagne y exerce la totalité des fonctions étatiques du premier février au 31 juillet et la France du premier août au 31 janvier. L’autorité est confiée alternativement à deux vice-rois, les commandants des bases navales de Fontarabie et d’Hendaye. En cette qualité, Pierre Loti, deux fois entre 1891 et 1898, exerça sa vice-royauté sur l’île qui a cessé de voir passer d’autres monarques.
Pour aller plus loin :
- Retrouvez dans la sélection Gallica « la France en cartes », les cartes numérisées du département des Pyrénées-Atlantiques.
Ajouter un commentaire