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Casque d'Or et les Apaches

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8 janvier 2018

Connaissez-vous la véritable histoire de Casque d’Or ? Les deux terribles chefs de bandes Apaches qui s’entretuèrent pour elle et firent trembler la capitale, le procès qui enflamma l’opinion et la presse de la Belle époque, son rôle de vedette au théâtre, son oubli et sa résurrection dans le film de Jacques Becker ? En voici relatés quelques épisodes.
 
Les Apaches du préfet, projet de vitrail par Adolphe Willette (1900-1920)

 

Paris Apache, une Belle époque dangereuse

Dans le journal Le Matin du 12 décembre 1900 Henry Fouquier qualifie l’Apache en ces termes : « Nous avons à Paris, une tribu d’Apaches dont les hauteurs de Ménilmontant sont les montagnes rocheuses… Ils vous tuent leur homme comme les plus authentiques sauvages, à ceci près que leurs victimes ne sont pas des étrangers envahisseurs, mais leurs concitoyens français. » Le Gaulois du 13 septembre 1907 ajoute : « Dans le Paris moderne rôde un individu qu'Eugène Sue et Balzac n'ont pas connu mais qu'ils auraient décrit avec minutie, un coquin que Vidocq a ignoré mais contre lequel il eut aimé déployer sa force et sa ruse : l'Apache… Sous ce vocable dont on l’a affublé, on a réuni l’escroc, l’escarpe, le rodeur de barrière, le cambrioleur, le faquin à poignard clandestin, l’homme qui vit en marge de la société, prêt à toutes les sales besognes pour ne pas accomplir un labeur régulier, le misérable qui crochète une porte, ou éventre un passant, parfois pour rien, parfois pour le plaisir… »
 


"L'Apache est la plaie de Paris", Le Petit journal, 20 octobre 1907
 

Les journaux de l’époque ouvrent régulièrement des rubriques « Paris Apache » pour impressionner les lecteurs et augmenter leurs tirages. Les Apaches font trembler la société comme l’avaient fait quelques années auparavant les anarchistes et comme le fera plus tard la bande à Bonnot. La presse se focalise sur ces bandes de jeunes de 18 à 23 ans. Les grands quotidiens comme Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Journal et Le Matin qui tirent chacun à près d’un million d’exemplaires, en font souvent leurs unes.
 

Topographie Apache

Les bandes ont leurs quartiers à Belleville, Charonne, La Goutte d’or, Sébastopol, Ménilmontant et les fortifications.
C’est au cabaret de L’Ange Gabriel que se rencontraient les deux chefs Manda et Leca, accompagnés de leur « muse » Amélie Hélie, dite Casque d’or. Ils y dansent et couvrent les tables de graffitis. Sur une photographie du marbre de la table habituelle du trio, on peut voir de nombreuses inscriptions gravées et le portrait de Casque d’or.
 

Le cabaret de l'Ange Gabriel et la table du trio, dans Ce soir, 13 octobre 1937

 

Le Guide secret des plaisirs parisiens (1906) de Victor Leca, publié en version trilingue français-anglais-allemand, indique les lieux parisiens où il est bon de venir s’encanailler que l’on soit français ou étrangers. L’auteur récidive en publiant sous le pseudonyme de Vevic-Torca un Paris-noceur (1910).
 

Leurs signes distinctifs, leur langage, leurs chants

Le journal Le Matin du 30 septembre 1907 dresse le portrait des Apaches, facilement reconnaissables à leur tenue. Ils portent toujours une casquette, une « deffe ». Leurs cheveux coupés en ligne droite au-dessus du cou, soigneusement lissés et pommadés, sont ramenés en accroche cœur, ou « guiches ». Presque tous portent au-dessous de l’œil gauche un point bleu tatoué à l’encre de Chine. Le Figaro du 8 avril 1902 parle de ce tatouage tribal : « Toute la Police le sait : cinq points en croix tatoués sur la main gauche, c’est le signe distinctif des Apaches ! » Le Matin du 19 août 1902 accorde une interview à Médéric Chanut, le tatoueur des Apaches.

Portant beau avec casquettes, pantalons « pattes d'ef », foulards, vestes cintrées et pompes rutilantes, les apaches de Ménilmuche, de la Mouffe, de la Bastoche, dévident le jars, jaspinent le verlan, le javanais ou le louchebem.

En 1902, au cabaret du Bruyant Alexandre, boulevard Saint Martin, Casque d’or chante la Chanson vraie. Aristide Bruant composera Chants d’Apaches, J.-M.-G. Antourville, Les Apaches, Jost et L. Gordovi Patrouille d'Apaches, etc. Casque d'Or, nouvelle vedette des Bouffes du Nord débute dans la revue : « Casque d'Or et les Apaches », mais le préfet Lépine, par peur du scandale, fait interrompre la pièce et interdit l’exposition de son portrait par Dupré au Salon.
 


Chant d'Apaches. Paroles et musique de Aristide Bruant, 1911
 

Les Apaches ont leur reine, Casque d’or, une jeune prostituée

Amélie Elie (1878-1933), dite Casque d’Or, ou encore La Belle de Charonne, raconte son histoire dans les « Mémoires de Casque d'or » publiées par la revue littéraire d’Henri Frémont Fin de Siècle en 18 livraisons du 5 juin au 3 août 1902.

En 1898, elle rencontre Joseph Pleigneur, dit Manda, chef de la bande des Orteaux. Elle le quitte en 1902 pour Dominique Leca, un Corse, caïd de la bande de Popincourt. Les deux chefs de bandes rivales s’affrontent en plein cœur de Paris pour cette belle gigolette blonde. Le fait divers commence début janvier, Manda et sa bande d’Apaches des Orteaux poignardent dans un fiacre Leca, l’amant de Casque d’Or.
 


"La Reine des Apaches", dans Paris-soir, 18 décembre 1930
 

La presse suit l’affaire de jour en jour. Le Petit Parisien du 11 janvier 1902 titre : « Assassiné en voiture », Le Petit Parisien du 10 février 1902 : « Poignardé en voiture », La Lanterne du 14 janvier 1902 : « Une vendetta à Charonne », le Matin du 13 février 1902 relate que Manda nie l’agression chez le juge d’instruction. A son tour, au mois d’avril, Leca est arrêté. Le Parisien du 31 mai 1902 retrace le procès de Manda et sa bande d’Apaches. Manda est condamné au bagne à perpétuité (Le Figaro du 31 mai). Le Petit Parisien du 22 octobre 1902 annonce l’arrivée de nouveaux Apaches au Palais de justice. Leca est condamné à huit années de travaux forcés et rejoint Manda au bagne. Le Matin du 19 janvier 1908 raconte l’enfer que vivent les Apaches à Cayenne.

 


L'Assiette au beurre du 26 octobre 1907

 

A partir des années 1907, la presse se déchaîne et la Police se mobilise

Faut-il fouetter les Apaches ?, titre la presse populaire. Les opinions sont contradictoires. « Pas de pitié » dit le commissaire de police du faubourg Montmartre, monsieur Rieux. « Ce serait un scandale » clame Maître Coulon. Dans Le Matin du 26 septembre 1910, monsieur Brieux de l’Académie française s’y oppose tandis que dans l’Ouest Eclair du 4 novembre 1910, le chef de la première division de la préfecture de police, monsieur Honnorat, est pour la flagellation, il exige « Le fouet aux apaches ».

 


Le Rire, 24 septembre 1910
 

L’Apache est devenu la plaie de Paris, plus de 30 000 rôdeurs contre seulement 8000 policiers. L’Assiette au beurre affiche les complices. Le Matin déclare la guerre aux Apaches : « il faut épurer Paris : Comment ? » Le Journal du Dimanche prône l’auto- défense. La police va créer les célèbres « brigades du tigre ». Le préfet Lépine décide d’employer des chiens pour la chasse aux Apaches. Les premières brigades canines de la police à Paris sont dressées contre les Apaches. Le titre de presse L’Œil de la police n’oublie pas les « Apaches en Jupons » adeptes elles aussi du fameux coup du père François.
 


Les Faits-divers illustrés du 17 octobre 1907

 

Les Apaches disparaissent avec la première Guerre mondiale

La guerre de 14-18 qui décime la population masculine scelle la fin des Apaches et de Casque d’Or. Ecoutons la une dernière fois, tête haute et poings sur les hanches, chanter fièrement son histoire des bas-fonds de Paris en 1900, sa Chanson vraie : « Je suis la gigolette, / La marchande d’amour. / Pour gagner la galette, / J’aime la nuit et le jour. / Tout le monde me connait à Belleville. / Mon homme est l’plus bath et l’plus fort. / C’est la terreur des sergents de ville. / J’suis la Môm’Casque d’Or. ».

Le 27 janvier 1917, Casque d’Or refait sa vie. Elle épouse un ébéniste, se range et meurt en 1933 dans l’anonymat… mais ressuscitera sous les traits de Simone Signoret en 1952 dans le film réalisé par Jacques Becker.
 

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Soumis par Hélène RAYMOND le 29/03/2018

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