La Logique de Condillac
Cas exemplaire des échanges intellectuels entre la France et la Pologne, la Logique de Condillac, où le philosophe reformule et résume de manière limpide sa théorie de la connaissance, n’existerait pas sans une commande de la Commission polonaise de l’éducation nationale.
Le dernier ouvrage publié par Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780) de son vivant est sa Logique, dont on trouve sur Gallica l’édition princeps, et une autre de 1789. Le catalogue général de la BnF témoigne du succès de l’ouvrage, qui servit de manuel dans plusieurs institutions françaises (comme le Prytanée militaire). Par "logique", il faut entendre ici une épistémologie (une théorie de la connaissance), comme le laisse entendre le titre complet de l’ouvrage : La Logique, ou les premiers développements de l’art de penser ; ouvrage élémentaire, que le Conseil préposé aux écoles palatines avait demandé, et qu’il a honoré de son approbation.
Les palatinats en question sont des divisions administratives de l’ancienne Pologne (les województwa). Sous le règne de son dernier roi, Stanislas-Auguste Poniatowski (1732-1798), la situation de la Pologne offre des contrastes saisissants. Sur les plans diplomatique et politique, elle est extrêmement affaiblie, à l’intérieur par des dissensions entre le roi et la noblesse, à l’extérieur par les vues de ses ambitieux voisins : la Prusse, l’Empire et la Russie. Ce contexte extrêmement défavorable aboutira, au terme des trois Partages de 1772, 1793 et 1795, à la disparition totale du pays jusqu’en 1918. Mais sur le plan de la vie littéraire et intellectuelle, la Pologne de Stanislas-Auguste connaît une activité intense, en lien étroit avec les Lumières d’Europe occidentale. L’une des entreprises les plus abouties de l’époque stanislavienne est le projet de réforme de l’éducation mené par le premier véritable ministère de l’éducation nationale en Europe, la Commission de l’éducation nationale, fondée en 1773. Cette Commission se dota en 1775 d’un Comité pour les livres élémentaires (Towarzystwo do Ksiąg Elementarnych), chargé de commander des manuels à des savants polonais ou européens.
Le philosophe, âgé de 63 ans, se dit très honoré de cette commande et accepta le prix proposé ; en juin 1778, la logique était rédigée. Condillac affirme, dans la lettre qui accompagne son manuscrit, que cet ouvrage n’est pas une simple redite de son système, mais que "[s]a méthode y est simplifiée et par conséquent perfectionnée, et l’ouvrage, neuf pour le fond, l’est à bien des égards pour les détails". Après la lecture du texte par le Comité polonais, il répondit de manière circonstanciée aux objections des commissaires, relayées par Potocki, dans une lettre de janvier 1779, en post-scriptum de laquelle figurait la demande suivante : "y aurait-il de l’indiscrétion à vous demander si le Conseil trouve bon que je fasse imprimer ma Logique, et que je mette au frontispice qu’il m’a fait l’honneur de me la demander, et qu’il l’a approuvée ?". La réponse dut être positive, puisque l’année suivante paraissait à Paris la Logique disponible dans Gallica.
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