Développement du Sport dans les catalogues du Bon Marché
« Cathédrale du commerce moderne » (Zola, Au Bonheur des Dames), le Bon Marché est l’une des enseignes historiques des grands magasins parisiens.
Diversification et amplification
Un quart de siècle plus tard, les pratiques sportives ont commencé à s’ancrer dans les mœurs des français, et la classe sociale intermédiaire directement ciblée par les publicitaires du Bon Marché, tient un rôle primordial dans la structuration de l’environnement sportif. Les catalogues des années 1920 montrent quant à eux un double mouvement, d’une part une évolution des pratiques sportives qui s’inscrivent dans cet art de vivre élitiste fantasmé, et de l’autre une ouverture progressive à des sports considérés comme plus populaires.
D’abord, aux désormais classiques tennis et natation, s’ajoutent de nouvelles activités sportives dont le dénominateur commun est d’être des pratiques à fort capital distinctif pour les élites. Ainsi, les costumes de sport pour dames du catalogue hiver de 1926 sont dédiés à la pratique du golf, à l’équitation, ainsi qu’à la chasse à tir.

Plus loin dans le catalogue, l’on peut même trouver des références de clubs et de balles de golf, de même que des articles de sellerie et d’harnachement. Si la chasse à tir est dans cette entre-deux guerres de plus en plus pratiquée par une classe intermédiaire de professions intellectuelles, de commerçants, de fonctionnaires et d’employés, le golf et l’équitation sont quant à eux très prisés des élites. Importé par la noblesse anglaise au gré des villégiatures sur les côtes du Sud-Ouest, le golf se diffuse plus lentement en France, et du fait du nombre limité de « link » et de clubs, reste une pratique réservée aux hautes classes sociales. Enfin l’équitation est plus traditionnellement rattachée à la vènerie pratiquée quasiment exclusivement par les élites du fait du coût des équipages, ainsi qu’aux cercles hippiques constitués et dirigés par des membres de la haute-bourgeoisie
Quant aux costumes de sports pour hommes, ils s’inscrivent pleinement dans une représentation iconographique du sportsman mondain, toujours élégant, pratiquant certains sports pour leurs vertus physiques et en aucun cas dans l’attente d’un gain économique ou social.

Plus en marge au sein de ces catalogues, les articles dédiés à des sports pratiqués par d’autres catégories sociales trouvent progressivement une place. Ici bien sûr, il n’est pas question de leur réserver une iconographie complexe. À l’inverse des articles dédiés aux sports plus élitistes, souvent mis en scènes au centre de scènes de vie mondaine, les articles de sports plus populaires sont présentés le plus souvent sans apparat, accompagnés d’un court texte mettant en avant leurs spécificités et leur qualité. L’on trouve ainsi dès 1925 des articles de gymnastique, de boxe et de football.

Ces différents articles attestent d’une récupération commerciale de l’ouverture, qui a eu lieu au début du siècle, de « l’espace social du sport » au-delà des classes aristocratiques et bourgeoises. L’augmentation du niveau de vie et les avancées sociales créent un terreau favorable au développement du sport dans les catégories sociales intermédiaire et ouvrière. Dans ces années 1920, le sport populaire par excellence, objet de création de nombreux clubs dans l’ensemble de la France, reste la vélocipédie. Le progrès technique a d’abord permis la diffusion de bicyclettes à plus faibles coûts, ce qui a ensuite conduit à une pratique de plus en plus massive du vélo. En 1920, l’on compte en France environ 105 000 licenciés à des clubs de vélocipédie, et 127 000 en 1929. L’importance sociale de ce sport, illustrée notamment par la dense couverture médiatique qui suit les courses les plus en vues (le Tour de France est crée en 1903 et s’impose rapidement comme l’une des compétitions majeures), se dessine progressivement dans les catalogues dédiés au sports et aux loisirs du Bon Marché. Ainsi, dès 1925 plusieurs bicyclettes accompagnées d’outils et de pièces garantissant leur entretien apparaissent à la vente.
L’une d’entre elles, disposant d’une page entière pour sa présentation et celle de son équipement, est affublée d’une appellation « Tour de France ». Fabriquée directement par l’enseigne, cette bicyclette est ainsi l’objet d’une stratégie publicitaire qui la lie directement à l’imaginaire de la « Grande Boucle », attestant donc de l’imprégnation des sports plus populaires dans différentes strates de la société, jusque dans les pages des catalogues du Bon Marché.

Modernisation publicitaire et sociale
Les catalogues des années 1930 montrent quant à eux quelques évolutions. Passons rapidement sur l’introduction des photographies d’articles et de mannequins dans les catalogues, puisqu’elles ne remplacent que peu les illustrations, et qu’elles ne provoquent pas de modifications de la mise en scène des produits. En revanche, un des mouvements amorcés surtout à partir de 1934, témoigne d’une volonté de privilégier, au sein des catalogues, les articles de mode liés aux loisirs, au détriment des articles de sports. Les premières pages sont donc toutes consacrées à la présentation des nouvelles collections de mode, et l’on y trouve avant tout les toilettes d’été, les robes ainsi que divers autres accessoires.

La dernière partie des catalogues est quant à elle dédiée à la mode masculine, dans le cadre bien sûr, des vacances et du temps de loisir. Un des corolaires de ces nouveaux choix éditoriaux et la perte partielle de cet aspect fourre-tout des premiers catalogues, dans lesquels on pouvait trouver en plus des articles de mode et de sport, un ensemble hétéroclite et important de produits dédiés plus ou moins au divertissement (articles de pêche, canoës, « patinette » pour enfants, cheval de bois, mais aussi vaisselle d’extérieur etc.). Ainsi, à partir de 1931, en comparaison des catalogues précédents, la place consacrée à la pratique du sport à proprement parler se réduit à portion congrue, et présente seulement quelques articles phares (raquettes de tennis, bicyclettes, ballon de football) mélangés aux produits de divertissements (modélisme de bateaux, jouets pour enfants etc., page 14 catalogue 1931).
D’un autre côté, à cheval entre l’article de mode et le vêtement nécessaire à la pratique sportive, le maillot de bain pour femmes reste l’un des produits-phares des catalogues de sport et loisirs du Bon Marché. Dans les années 1930, cette présence va même s’affirmer, et cela se comprend notamment dans le cadre d’une demande sociale croissante de loisirs, concomitante à une baisse tendancielle du temps de travail. Les pratiques balnéaires s’ouvrent avant 1936, aux classes sociales intermédiaires, et les catalogues « Loisirs, vacances et sports » d’été du Bon Marché – qui dès 1934, prennent comme titre « Vacances !.. » - se font le reflet de cette évolution.

A cet accroissement d’importance que prend le maillot de bain au sein des catalogues, s’ajoute une profonde transformation du produit. Si, comme on a pu l’apercevoir précédemment, le maillot féminin de la fin du XIXe siècle était peu ou prou une version raccourcie des robes de l’époque, les maillots des années 1910 attestent d’une évolution des mœurs permettant plus de confort, aboutissant dans les 1930 à la production de maillots incarnant une modernité vestimentaire et sociale. Les pages de ces catalogues font ainsi la part belle à des maillots « une pièce », en laine colorée, laissant nues les bras, les jambes, ainsi qu’une partie du dos.

De même, l’on trouve de plus en plus d’ensembles deux pièces, composés dans la majorité des cas, d’un haut (maillot ou débardeur) se glissant dans une culotte de laine. Exception notoire, l’on trouve un maillot deux pièces fait d’une culotte et d’un soutien-gorge.

Ainsi, les maillots de bain féminins – et dans une moindre mesure les maillots masculins - deviennent de véritables accessoires de mode renouvelés au gré des nouveaux catalogues.
Les catalogues été « Loisirs, vacances et sports » des années 1930 concentrent donc ces différentes évolutions. Cependant, exception au sein de ce corpus, le catalogue consacré aux sports d’hiver de 1937 donne à nouveau une place importante aux véritables articles de sports, tout en introduisant certaines innovations commerciales et publicitaires. Si jusqu’à présent, le ski et ses dérivés n’occupaient que quelques pages dans certains catalogues, ces pratiques bénéficient ici d’un numéro à part entière. Il est probable que cela soit le fruit d’une réponse commerciale à l’engouement important des élites pour les sports d’hivers, faisant passer le nombre d’adhérents aux écoles de ski d’environ 12 000 en 1931 à quasi 50 000 à l’aube de la guerre . Ce numéro spécial montre, avant tout, le contrôle du Bon Marché sur l’ensemble de la chaîne commerciale. Producteur et vendeur d’une partie importante des articles proposés, l’enseigne propose aussi par le biais de son « bureau des voyages » la vente d’excursions et de vacances au départ de Paris, dans les Alpes et les Pyrénées. En outre, ce catalogue « sports d’hiver de 1937 »fait aussi figure d’innovation d’un point de vue publicitaire. En effet, afin d’incarner les produits et leur donner une légitimité sportive, le Bon Marché fait appel à Émile Allais (1912-2012), champion français de ski. En plus de poser fièrement en Une, Émile Allais distille au fil du catalogue 100 conseils aux skieurs, pour mieux descendre les pistes et résister au froid. « Faire du ski est bien, le bien faire est mieux ».

Afin d’accompagner ce marché en voie d’expansion, le Bon Marché s’offre ainsi une figure sportive de marque. Champion du monde en 1935, Allais participe un an avant l’édition de ce catalogue, aux Jeux Olympiques nazis de 1936. Répétition d’envergure avant l’édition d’été, les JO d’hiver de Garmisch et Partenkirchen en Bavière servent de démonstration de force pour le régime nazi. Malgré les appels au boycott, le CIO par l’intermédiaire de son président H. de Baillet-Latour, conforte le choix de la Bavière – berceau du NSDAP- comme région organisatrice. Comme prévu, les JO d’hiver s’avèrent être effectivement, un moment de promotion de l’Allemagne nazie, et de son chancelier. S’il gagne pourtant la seule médaille de la France de toutes les Olympiades (médaille de Bronze au combiné), Allais se refuse à effectuer le « HitlerGruß » sur le podium. Unique français médaillé, Émile Allais est donc le skieur le plus connu du grand public, ce qui explique que, quelques mois après les Olympiades, il soit la figure publicitaire du Bon Marché au sein des catalogues.
Pour conclure cette réflexion, il nous faut nous pencher sur le dernier opus de notre collection. En effet, le catalogue de 1939 contraste fortement avec les éditions postérieures, puisqu’à partir de 1940, la production est fortement ralentie par l’occupation allemande. Si la vente de produits est toujours d’actualité, l’offre est réduite à l’essentielle et l’importante pénurie de papier oblige à compresser le maximum d’articles en un nombre très limité de pages. L’époque laisse ainsi peu de place aux loisirs, et l’on ne trouve plus que quelques articles de sports chez l’enseigne parisienne. Enfin, un encart central au sein de ces catalogues d’occupation rappelle que les différents produits (peu renouvelés du fait des problèmes de stock) peuvent être payés avec des tickets de rationnement « textile ».


Bibliographie
DEFRANCE Jacques, « Le sport français dans l’entre-deux-guerres », in : TÉTART Philippe (sous la dir. de), Histoire du Sport : du Second Empire au régime de Vichy, Vuibert, Paris, 2007, pp. 79