Un présent utile en 1909 : une paire de support-chaussettes
Article incontournable des catalogues d’habillement pour hommes mais aussi lot de tombola et cadeau facile, le support-chaussettes assure une présence discrète dans Gallica. Au-delà de son histoire commerciale, cet accessoire oublié nous permettra d’exhumer du passé quelques curieuses anecdotes.
Quoi de commun entre :
- une revue naturiste de 1934 publiant un article moqueur sur les « pudimanes » (entendons « les textiles » pour le lecteur d’aujourd’hui !)
- Maryse Choisy, autrice en 1928 d’Un mois chez les hommes (comprenons « un mois chez les moines orthodoxes »)
- la Maille d’Or, boutique installée à Lourdes au 35 rue de la Grotte, spécialisée dans les chaussettes, faisant de la réclame dans l’hebdomadaire Le Bon sens pyrénéen de 1924
- et enfin un nom qui sonne bien américain : « La Boston Garter » ?
Eh bien... le support-chaussettes ! Examiner dans Gallica les apparitions de cet accessoire oublié du vestiaire masculin, croisé inopinément dans un catalogue du Bon Marché de 1928 au détour d’une recherche sur le commerce des vêtements ecclésiastiques, a rapidement fait émerger plusieurs histoires à la fois fabuleuses, banales et loufoques. Du mollet au merveilleux, nous tenions notre objet !
Dès la fin du XIXème siècle, on trouve mention de cet accessoire à pinces ou anneaux qui se fixe au-dessous du genou pour maintenir en place les chaussettes sur chevilles et mollets. Plusieurs appellations génériques « fixe-chaussettes », « supporte-chaussettes » (au féminin), « attache-chaussettes », jarretelles hommes, ou noms commerciaux : « Boston Garter », « Fixator », « Lavasouple », « Ajourex » servent à le désigner.
Sur cette image, extraite d’une page de catalogue, les support-chaussettes sont portés sur un « vêtement du dessous », un caleçon long en coton ou en toile, destiné à accueillir un « vêtement du dessus », un pantalon. Ils ne sont jamais destinés à être apparents.
Chaussette émancipée = jarretelle homme au grenier
Eléments courants de l’habillement dans la première moitié du XXème siècle, les support-chaussettes seront abandonnés à partir des années 1930 quand de nouvelles matières et techniques entreront dans la confection des chaussettes, leur permettant de tenir seules sur le mollet. Cette relégation sera très progressive et prendra une vingtaine d’années durant lesquelles cohabiteront chaussettes avec supports et chaussettes « autofixantes ».
Quelques publicités anciennes font état avec malice de cette émancipation de la chaussette. C’est le cas de celle du fabriquant de la « selfix », « la chaussette qui se rit du support-chaussette » :
L’année précédant cette réclame, l’agence de presse Planet News, rendant compte de l’exposition du costume masculin à Londres en 1933, fait un véritable événement de l’invention d’un « Nouveau modèle de chaussette pour hommes éliminant le fixe-chaussette » :
Les quelques lignes qui accompagnent ci-dessous les chaussettes, vendues dans le catalogue du Bon Marché de 1938, font un argument publicitaire de la technologie des modèles à « bords filés Lastex supprimant le fixe-chaussettes » :
Avant que ce dernier type de chaussette ne s’impose pleinement et ne rende caduques les dispositifs de maintien, différents modèles de support-chaussettes sont mis en avant dans les catalogues de vente, dans la presse généraliste et dans la presse professionnelle spécialisée dans l’habillement masculin.
Supports techniques … et publicités énergiques
C’est généralement la technicité du support-chaussette qui est vantée : « pince à coussinet de caoutchouc souple », souplesse et élasticité extrême, « support en X » pour éviter les varices, lavabilité et respirabilité du tissu…
Bretelles et jarretelles : couple idyllique (et élastique) des catalogues de vente
Les supports-chaussettes sont souvent fabriqués par des entreprises qui commercialisent aussi des bretelles. On retrouve assez régulièrement ces deux accessoires côte à côte dans les catalogues ou publicités :
Le couple bretelle/fixe-chaussette inspire même le joyeux canular ci-dessous à un contributeur de L’Epatant de 1937, un journal humoristique pour enfants, dirigé par Louis Forton, dessinateur de Bibi Fricotin et des Pieds Nickelés :
Un accessoire très genré
Le support-chaussettes ou fixe-chaussettes est réservé aux hommes et « garçonnets », c’est-à-dire aux porteurs de pantalons et de chaussettes. L’accessoire n’est mixte que dans un cadre très délimité : la pratique sportive et notamment celle de la bicyclette, pratique qui se démocratise et s’ouvre au genre féminin à la fin du XIXème siècle. Prenant la licence de porter des pantalons pour faire du vélo, les femmes cyclistes adoptent aussi, par là même, chaussettes et supports-chaussettes.
C’est ce caractère très genré de l’accessoire pour les tenues de ville qui incite un lecteur de la revue Algérie Nouvelle, admirateur de la journaliste Maryse Choisy, à envoyer à cette dernière une paire de support-chaussettes pour peaufiner son travestissement en homme. Cette initiative est relatée dans la rubrique « Echos et Nouvelles » d’un numéro de la revue daté du 1er décembre 1929 :
Cette adepte des enquêtes immersives, qui un an auparavant avait plongé dans l’univers des maisons closes pour satisfaire la curiosité du lectorat de la fin des années 1920, avait cette fois résolu de faire un reportage chez les moines orthodoxes, à qui elle fit croire qu’elle appartenait à l’autre sexe pour pouvoir pénétrer au Mont Athos, un sanctuaire religieux interdit aux femmes.
Un accessoire parfois gaillardement moqué
Ce petit objet fait aussi quelques années plus tard, en 1934, les bonnes affaires de naturistes à l’humour taquin avec ceux qu’ils dénomment les « pudimanes ». Ils publient ainsi dans leur revue Naturisme : le grand magazine de culture humaine (qui a cessé de paraître en 1939, au début de la guerre) une photo d’un homme entre deux âges moqué parce qu’il se baigne dans la Loire fort peu dévêtu :
"Voici le sujet affrontant l’eau, dans la matinée, en casquette, caleçon de ville, chaussettes et support-chaussettes [...]"
Nos lectrices et lecteurs à l’esprit malicieux trouveront beaucoup d’agrément à lire en entier l’article au ton très sarcastique et qui se plaît à imaginer qu’en 2934 les membres de l’Académie françaises se seront tous convertis au naturisme !
Un cadeau pourtant idéal
En tant qu’objet du quotidien, il n’est pas rare que le support-chaussettes soit proposé comme lot de tombolas caritatives. Les heureux gagnants de la « tombola du sou » de Saint-Andéol-de-Clarguemort qui a lieu en août 1933 sont ainsi attributaires d’un coq, d’une bouteille de champagne d’un porte-pelote ou encore d’un support-chaussette :
Le fixe-chaussettes peut être aussi un cadeau bonus pour les gros acheteurs de chaussettes. On apprend ainsi dans le Bon sens pyrénéen qu’il est offert par la boutique La Maille d’Or en 1924 à ses clients à partir de 15 francs d’achats :
Certains fabricants soignent particulièrement l’emballage de commercialisation de cet accessoire. Le porte-chaussette est ainsi vendu en coquet coffret, en cartonnage de luxe, bien souvent pour le destiner à être une idée de cadeau à offrir. Il est régulièrement présenté en kit et couplé à une paire de bretelles :
La société Filver pousse le raffinement jusqu'à concevoir et proposer à la vente une parure (support-chaussettes et bretelles) dans un cartonnage affectant la forme d’un livre relié :
La Bibliothèque nationale de France conserve-t-elle ce type de livre ? Pas à notre connaissance !
Pour aller plus loin :
L’histoire des sous-vêtements masculins de Shaun COLE, Parkstone international, 2010
Quelques lignes sur le support-chaussettes à retrouver dans la partie consacrée aux chaussettes.
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