Le vibromasseur : un cadeau courant en 1926

Le vibromasseur, une idée de cadeau pour Étrennes dans les années 1920 ? C’est possible ! Gallica vous le prouve ! Des pages de catalogues de vente par correspondance, aux livres de médecine et aux magazines d’arts ménagers, l’objet est massivement présent !

J’ai toujours cru, Henry, que vous étiez un gentleman. On n’impose pas à une femme dont on connaît la santé fragile, ces conversations pénibles. Vous avez réussi à me donner une migraine : il faudra maintenant que je fasse du vibro-massage pendant trois quarts d’heure !

Qui ne serait pas étonné aujourd’hui par cette réplique de Lady Alice, un des personnages du Reportage de Pol Pic, roman policier paraissant en feuilleton dans le journal hebdomadaire Marianne en 1935 ?

Parler au XXIème siècle à son interlocuteur de « vibro-massage » pour lui signifier que son verbiage nous fatigue risque fort de ne pas avoir les effets escomptés... Dans les années 1930, prendre rendez-vous en institut pour un « vibro-massage » ou parler de son vibro-masseur n’a absolument rien d’inconvenant et n’offre absolument aucune prise à des sous-entendus.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de trouver en 1926 un modèle de vibro-masseur proposé à la vente dans un catalogue d’accessoires d’hygiène et de beauté du Bon Marché :

Catalogue du Bon Marché « Parfumerie, gants, dentelles, fleurs, plumes, bas de soie : jeudi 18 février et jours suivants », 1926

 

Au départ, l'objet du docteur

 

Cause retraite : bonne occasion. 1. Vibro-masseur, marchant sur 110 V. courant continu, état de neuf, fonctionnement parfait, a coûté 100 francs cédé pour 70 francs.

Cette annonce de 1916, publiée dans une revue professionnelle, La Médecine internationale, émane d’une certain Docteur Badetti de Marseille.
Avant d’être un objet qui a essaimé massivement dans les foyers, puis dans les salons de massage et d’esthétique, le vibro-masseur ou masseur électrique est un objet cantonné au cabinet médical ou à la mallette du médecin.
Ce petit appareil qui a la forme d’un pistolet ou d’un sèche-cheveux est en effet d’abord conçu par et pour les médecins. Il sert à masser toutes les parties du corps et ses visées sont initialement thérapeutiques. Il est particulièrement utilisé pour soigner les névralgies. Compact et portatif, permettant au praticien de l’emmener facilement quand il fait ses visites à domicile, il remplace les lourds appareils de massage à manivelle ou avec moteur à pied fixés à une table qui ne pouvaient être utilisés qu’en cabinet et que l’on rencontre par exemple dans Technique du massage du docteur allemand Isidor Zabludowski, traduit en français en 1904 :

Technique du massage par le Professeur Isidor Zabludowski, 1904

Le premier appareil généralement cité est le percuteur du médecin anglais Mortimer-Granville inventé pour calmer les douleurs musculaires, et non pas, comme on le lit beaucoup depuis 1999 (date de la parution du livre de l’historienne américaine Rachel Maines sur l’histoire de cet objet), pour soigner les hystériques à renfort d’orgasmes provoqués par des stimulations répétées des parties génitales. Cet appareil décrit dans un article de 1882 du British Medical Journal, largement commenté par les médecins français, est rapproché d’inventions qui lui sont contemporaines, comme le diapason de Vigouroux réadapté par Boudet, et plus tard du tabouret vibrant de Charcot et du casque vibrant de Gilles de la Tourette. La fin du XIXème siècle est marquée par un engouement pour le « massage vibratoire », rebaptisé ensuite « sismothérapie ». Des traités entiers sont écrits sur le sujet. On croit aux vertus des vibrations pour traiter toutes sortes de pathologies : aussi bien des maladies de la sphère ORL, que des contractures musculaires ou des troubles de l’humeur. Dans ces derniers cas qui peuvent inclure la neurasthénie ou l’hystérie, les massages sont opérés sur des parties du corps comme le bras ou le dos. Ils ont simplement vocation à redonner de l’énergie aux patients ou à anesthésier les douleurs inexpliquées.  Existent bien des embouts à adapter aux appareils pour masser l’utérus mais ils sont utilisés dans le cadre de maladies gynécologiques très concrètes comme des fibromes utérins ou des métrorragies :

Sismothérapie, appareils et excitateurs divers, Gaiffe et Cie. A. Gaiffe, 1900

Courant sinusoïdaux, Ozone, bains lumineux et vibro-massage : la physiothérapie s’en mêle

Le développement de ce type d’appareil électrique de massage est contemporain de la vogue pour l’électrothérapie (l’emploi de l’électricité dans un but thérapeutique), la mécanothérapie (la thérapie par des exercices sur des appareils spéciaux) et l’hydrothérapie (le soin médical par l’eau). Il n’est donc pas étonnant que ces appareils de massage vibratoire fassent leur apparition dans de curieux centres de remise en forme, à la mode dans les années 1900, destinés à une clientèle aisée et mêlant ces différentes disciplines, comme celui du Docteur Félix Allard installé dans un hôtel particulier du 9ème arrondissement ou celui du Docteur Joseph Rivière, proche de la gare Saint-Lazare. Les publicités pour ces instituts de physiothérapie peuvent laisser le lecteur d'aujourd'hui quelque peu songeur …

Publicité insérée dans la Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, 1901
Encart publicitaire dans le Guide Rosenwald de 1902

 

Beauté électrique, salons de coiffure et d’esthétique : luxe et … modernité !

Certains médecins, comme le docteur allemand Karl Lange, à la fin du XIXème siècle avaient déjà laissé entrevoir des applications possibles du massage vibratoire avec appareils électriques dans le domaine esthétique. Cette utilisation n’est pleinement exploitée que quelques années plus tard quand salons de coiffure et instituts de beauté commencent à s’équiper de ces instruments, présentés comme aptes à densifier le cuir chevelu et lisser les rides. Ces objets sont vendus aux professionnels de ces deux secteurs dans des boutiques spécialisés.

Dans La Coiffure de Paris, une revue pour coiffeurs, l’« Académie scientifique de beauté » d’Alexandre Lamotte se targue de commercialiser rue Saint-Honoré, en même temps que des mentonnières anti-âge en caoutchouc, l’ « Electro-Vibrateur LE RÊVE » :

Encart publicitaire dans la revue professionnelle La Coiffure de Paris, novembre 1910

Tandis que le fournisseur pour coiffeurs Latouche propose à ses clients un modèle tout aussi peu sobrement nommé : « L’Euréka Vibrator » :

Encart publicitaire dans la revue professionnelle La Coiffure de Paris, septembre 1910

Posséder dans sa boutique un de ces petits appareils qui ne s’appelle pas encore vibro-masseur et en faire bénéficier ses clients est gage de luxe et de modernité.

« Santé, force et beauté par l’électricité », publicité de l’ingénieur M. Mahéo, réparateur de « tous systèmes d’appareils de massages », insérée dans Le Capilartiste : organe hebdomadaire de la Corporation des coiffeurs et des spécialités connexes, 1er janvier 1912

 

Objet banal et merveilleux des arts ménagers : quand le vibro-masseur entre dans les foyers français

A partir de la première décennie du XXème siècle, il entre dans les foyers et la publicité de l’époque en fait un des « Objets indispensables », au même titre que la bouilloire, le sèche-cheveux et le fer à repasser :

Encart publicitaire dans le journal La Liberté, 30 août 1913

Encart publicitaire dans le journal La Liberté, 30 août 1913

Dès 1911, Paz et Silva, entreprise spécialisée au départ, à la toute fin du XIXème siècle dans les annonces et enseignes lumineuses, fait la promotion de son petit appareil en forme de pistolet et multiplie les campagnes énergiques de publicité dans la presse, contribuant à populariser et à démocratiser l’objet. Et aussi à fixer son appellation : « Autovibrateur », « automasseur vibratoire », « electro-vibrateur », « vibrator » s’éclipsent au profit de « vibro-masseur », un mot dont nous avons trouvé la première occurrence dans une annonce des établissements « New America » pour recruter des représentants de commerce en 1909.

A partir de ce moment, le vibro-masseur devient à la fois banal et merveilleux, comme tous les autres objets électriques du quotidien. La publicité en fait un appareil polyvalent « pour tous massages, général, facial, rénal, abdominale, capillaire, etc. » mais aussi un produit miracle capable de prévenir les maladies, de guérir les rhumatismes et l’arthrite, de soulager la constipation et de lisser les traits du visage.

Il appartient à la catégorie des « petits serviteurs de la maison » que René Brocard passe en revue dans son ouvrage didactique à destination des ménages L’électricité au foyer en 1923.

Henri de Graffigny dans son livre Le Trésor ménager de 1928 incite même ses lecteurs à équiper électriquement la coiffeuse du « cabinet de toilettes » ou de la « chambre de bains » afin de pouvoir utiliser un « masso-vibrateur » (appelé « vibro-masseur » la page suivante) :

Henry de Graffigny, Le trésor du foyer : l'électricité ménagère…, 1928

C’est donc sans surprise que le « vibro-masseur » figure dans les tableaux comparatifs de consommation électrique des appareils ménagers, entre la « machine à coudre » et l’« aspirateur » :

Revue hebdomadaire Science et monde, 2 juillet 1931

Objet autant désirable que respectable, il fait régulièrement partie des lots de tombola ou de concours. Le journal L’Echo d’Alger organise ainsi en 1914 un grand concours à destination de ses lecteurs et lectrices. Alors que le « premier prix Hommes » est une automobile « bébé-Peugeot », que le « premier prix Dames » est un « superbe trousseau de 4 247 francs », « deux vibromasseurs en écrins » sont offerts parmi « les autres prix », non-genrés :

L'Écho d'Alger : journal républicain du matin, 25 janvier 1914

En 1934, c’est le 3ème prix d’un concours que l’hebdomadaire illustré la Vie parisienne propose à ses lecteurs. Assurément un modèle de luxe, car il est talonné par un ensemble lit et chevet en acajou !

La Vie parisienne : mœurs élégantes, choses du jour, fantaisies, voyages, théâtres, musique, modes, 13 janvier 1934

Fréquemment désigné comme idée de cadeau à offrir, il concurrence bien souvent avec panache le grille-pain ou la bouilloire !

L'Art ménager : revue officielle du Salon des arts ménagers, 1er décembre 1929

Objet présenté parmi d’autres sur le Salon des Arts ménagers de 1929, le vibro-masseur est ici une suggestion de présent pour demoiselles :

Près de la jeune fille coquette, soucieuse de sa beauté, un petit appareil, tel que le fer à friser, le sèche-cheveux, le vibro-masseur même, sera bien accueilli [...] le vibro-masseur lui conservera sa jeunesse. A 20 ans, on songe difficilement que les rides viendront un jour, par contre, l’obésité effraie toujours un peu, on veut rester mince et svelte, et que ne ferait-on pas pour faire disparaître le léger embonpoint qui témoigne d’un appétit robuste.

Progressivement, en même temps que les injonctions sur le corps des femmes se font plus pressantes, sous les assauts conjugués de la publicité et de la presse féminine, l’objet - de mixte au départ - devient le seul apanage du féminin.

Une vingtaine d’années plus tard, c’est cette fois la mère de famille qui est ciblée dans une page d’idées cadeaux. Dans sa rubrique « 200 cadeaux rêvés de 500 à 5000 francs » dans un numéro de décembre 1950, le magazine Elle recommande dans les cadeaux à offrir « Pour votre mère » : un « bouquet de violettes pour tailleur », des « chaussures d’appartement en verni noir doublées fourrure » ou encore « un Vibrion », vibro-masseur électrique vendu dans les « grandes pharmacies » :

Elle, l’hebdomadaire de la femme, 11 décembre 1950

Aujourd’hui qui envisagerait de déposer, pour Noël, au pied du sapin familial un « vibromasseur » ?

Le mot a perdu son sens initial générique au profit d’un sens exclusivement érotique. Son dernier voyage l’a mené du cabinet de toilette à la table de chevet - et éventuellement des Étrennes à la Saint-Valentin.

Textes et images présentés plus haut sont extraits de Gallica, donc ne vont pas beaucoup au-delà des années 1950, période durant laquelle la dimension sexuelle de l’objet n’existe pas (ou est passé sous silence). Il est fort à parier que l’érotisation dans le langage commun du terme « vibromasseur » ait eu lieu dans la décennie suivante.

Poursuivre les recherches dans des documents postérieurs, non encore numérisés car encore sous droits d’auteur, nous donne quelques indices de datation. C’est en dépouillant des dictionnaires spécialisés - et en boudant les timides dictionnaires de langue française - que l’on parvient à quelques résultats : en 1967, le Docteur Georges Valensin dans son Dictionnaire de la sexualité utilise ainsi le mot pour désigner des « objets sexuels spécifiques importés aux USA du Japon ». Ce n’est que dans les années 1990 que les dictionnaires classiques ajouteront à la définition usuelle (« appareil électrique qui produit des massages vibratoires ») une définition spécifique renvoyant à un usage sexuel : en 1993 pour le Petit Robert, en 1994 pour le Trésor de la Langue Française et seulement en 2001 pour le Grand Robert !

Et pour finir, si tous les détails sur cet objet de désirs plutôt sages dans nos sources vous ont donné mal au crâne, nous nous garderons bien, pour préserver les convenances, de vous conseiller la méthode anti-migraine de Lady Alice !