Vêtements ecclésiastiques et publicités

Avant l’examen d’un surprenant catalogue de 1928 du Bon Marché dédié aux « articles pour ecclésiastiques », ce premier billet offre un panorama des établissements commercialisant des vêtements du quotidien pour prêtres, à travers les encarts publicitaires dans la presse de 1860 à 1930.

Les vêtements ecclésiastiques : un secteur de marché parmi d’autres

Durant la première moitié du XXème siècle, l’Eglise catholique jouit d’une influence toujours forte sur la population : la pratique religieuse reste élevée, les sacrements (baptêmes, mariages) sont pratiqués par plus de 90 % des français et les ordinations de prêtres sont encore à un haut niveau. L’habillement des ecclésiastiques constitue un marché lucratif comme un autre !

Soutanes, douillettes, rabats : une variété des points de vente

En feuilletant la presse écrite de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, on s’aperçoit de la variété des points de vente d’habits spécifiquement destinés à la clientèle des prêtres. La taille et le statut commercial de ces établissements sont très hétérogènes : des affaires commerciales classiques détenues par un ou plusieurs particuliers côtoient des coopératives sous le patronage d’un évêque ou de communautés religieuses puisant dans la fabrication d’habits ecclésiastiques une partie de leurs revenus.
Ces établissements sont répartis sur tout le territoire. Les encarts publicitaires des journaux vantent des « maisons de vente » généralement au moins implantées dans des villes sous-préfectures.

Certains de ces commerces sont dédiés uniquement aux vêtements ecclésiastiques comme celui de « Mlle Blussaud » à Besançon, de « Bardet-Battu » à Clermont-Ferrand ou encore comme la boutique sans nom située à Abbeville :

Le Petit semeur : bulletin mensuel du patronage central de Besançon, 1901

D’autres sont de simples maisons de confection et les habits ecclésiastiques y sont vendus comme tous autres types de vêtements :

Le Courrier de Saône-et-Loire, 7 septembre 1861

Une grande partie des boutiques qui font commerce des vêtements pour prêtres sont spécialisées dans les articles religieux et proposent à la vente aussi bien des soutanes que des ornements d’église :

La Croix de Tarn-et-Garonne, 29 juin 1902

Des « semaines religieuses » aux revues d’apiculture : de la réclame dans des supports écrits très divers

Beaucoup de ces petites annonces se trouvent dans des publications périodiques catholiques comme les semaines religieuses des différents diocèses et les bulletins locaux de patronage de la jeunesse.

On les rencontre aussi dans des quotidiens généralistes nationaux et régionaux non confessionnels, parfois également dans des revues spécialisées sans lien apparent avec la religion. Une petite annonce publicitaire pour des vêtements ecclésiastiques se donne ainsi à voir dans une revue d’apiculture : L’Union apicole !

L'Union apicole : revue mensuelle illustrée d'apiculture, horticulture apicole, entomologie, 1er janvier 1901

Des encarts publicitaires sont parallèlement insérés dans des ouvrages touristico-pratiques spécialement destinés aux ecclésiastiques et aux familles catholiques comme le Guide illustré du clergé et des familles dans Paris et ses environs, publié en 1867.

Guide illustré du clergé et des familles dans Paris et ses environs, 1867

Les manufactures produisant des vêtements ecclésiastiques et des ornementations d’église se partagent les pages promotionnelles du guide avec d’autres sociétés : des dépôts d’imagerie religieuse, une fabrique de beffrois brevetés « faisant sonner à la corde, par un seul homme, une Cloche de 4,000 kil. », un « photographe des Missions Etrangères » fabriquant des cartes de visites à « prix exceptionnel pour MM. les Ecclésiastiques » … 

Dans ce guide mêlant des informations pratiques (le tarif de jour et de nuit des « voitures publiques », les itinéraires des omnibus, le jour des fêtes de saints patrons dans les communes limitrophes de Paris, etc…) et du contenu culturel - principalement historique et architectural (descriptifs de toutes les églises parisiennes) -, les pages publicitaires occupent d'ailleurs plus de la moitié des pages !

Un discours publicitaire musclé : pas de miséricorde pour la concurrence

A parcourir les annonces commerciales, le lecteur d’aujourd’hui est frappé par l’agressivité du discours publicitaire, volontiers assertif et concurrentiel. Dès le milieu du XIXème siècle, tout un arsenal d’arguments est mis en avant dans ces publicités pour habits ecclésiastiques : excellence de la qualité et de la coupe, possibilité d’envoi de catalogues gratuits francs de port, prix imbattables, promesses d’alignement sur les prix de la concurrence, facilités de paiement, ancienneté et prestige de l’établissement, gamme de modèles étendue, retour gratuit des produits ne convenant pas :

L'Écho du Sacré-Cœur : organe des vocations et des œuvres, 1er janvier 1918

Certaines enseignes dénigrent même la production de leurs concurrentes, les accusant de plagiat et de tentative de récupération de clientèle. C’est le cas de l’ « Univers catholique » qui fait paraître en juin 1864 dans L'Avenir des Hautes-Pyrénées l’équivalent d’un publi-communiqué vantant l’excellence de ses produits et mettant en garde contre des maisons moins connues, avec lesquelles il y a un risque de confusion :

L'Avenir des Hautes-Pyrénées, 21 juin 1864

L’argument économique : un argument publicitaire clé pour l'habit du curé

Encore une fois, l’argument économique (« une réduction de prix inconnue à ce jour ») figure en bonne place. Cette dimension, qui pourrait paraître bien prosaïque pour des habits destinés à des ministres du culte en charge du salut des âmes, a toute son importante : l’habillement constitue un poste de dépense élevé pour les prêtres. Ce motif est constant dans les textes.
La publicité ci-dessous, campant un fringuant curé en mouvement à soutane et chapeau, est particulièrement représentative de cette préoccupation financière de certains membres du clergé :

La Croix du Nord, 12 février 1928

Paul Pottier dans un article de novembre 1899 intitulé « Les prolétaires dans le clergé français » parle d’un « prolétariat en soutane » et insiste sur le fait que les prêtres qui ne possèdent pas de fortune personnelle doivent quotidiennement regarder à la dépense.

Dans La vie au patronage : organe catholique des œuvres de jeunesse de février 1928, un poème intitulé « La Soutane » met en scène la générosité héroïque d’un vieux curé qui est rabroué par sa servante car il a préféré donné l’argent de la tirelire « avec tant de peine amassé » pour aider « une pauvre veuve, avec deux enfants sur les bras » qu’acheter une soutane neuve, objectif initial de l’épargne. Le poème se termine ainsi, sur les mots de la servante : 

« Des boutons à votre soutane ! / Dit en soupirant Marianne, / Faudrait plutôt que nous mettions / Une Soutane à vos boutons ! »

La Vie au patronage : organe catholique des œuvres de jeunesse, 1928

Le même motif du curé pauvre et généreux, accompagné d’une bonne qui se lamente sur sa soutane est déjà dans cette chanson de 1860 :

La soutane du curé / paroles de Chaumonnot ; musique de Léopold Bougnol, 1860

Le tandem servante dévouée / curé au grand cœur (et à la soutane rapiécée !) se rencontre aussi dans les romans, à l’exemple de Une fille laide de Claire de Chandeneux (1878) :

« Paula, chargée des débris vénérables que l’aumônier appelait « sa garde-robe » entretenait les deux seules soutanes du bon prêtre par des miracles d’adresse »

 

Cette préoccupation budgétaire sera le cœur de la proposition des grands magasins comme le Bon Marché : offrir de la qualité à « bon marché ». Et les soutanes feront aussi partie de la marchandise vendue sur place ou à distance, comme nous le verrons dans un prochain billet de blog.
 

Pour aller plus loin

Les habits de la foi : vêtements, costumes et religions du Moyen Âge à nos jours, sous la direction de Isabelle Brian et Stefano Simiz, Presses Universitaires de Rennes, 2022