À propos de l'œuvre
Longtemps passés au crible de la critique historique, les Mémoires de Saint-Simon ont désormais place parmi les monuments de la littérature française. Transcendant largement la période couverte (1691-1723), soit les années de la vie publique de leur auteur, et les déroulements chronologiques implacables des annales, ce n'est pas là seulement la vision déformante des événements et de la vie de cour au prisme des espoirs ou des ambitions déçus, comme ont souvent dit les détracteurs depuis Marmontel. C'est la fabrique d'un écrivain à la culture immense, à l'écriture d'une infinie richesse, qui mêle au fil de la plume d'innombrables sources canalisées par la vigueur du récit, la réflexion sur l'histoire, l'empreinte de la personnalité.
Saint-Simon a près de soixante-cinq ans lorsqu'il entreprend ses Mémoires, achevés dix ans plus tard, avec une interruption de six mois en 1743, après la mort de sa femme, marquée dans le manuscrit par une ligne de croix et de larmes. Il le complétera en 1749 par les manchettes marginales portant les nombreux titres des passages et les millésimes, et par un volume d'index. Ces deux mille huit cent cinquante-quatre pages, reliées dans les onze célèbres portefeuilles en veau écaille timbrés aux armes et au chiffre de l'auteur, en constitueraient l'unique rédaction. Selon les vœux de Saint-Simon, qui ne souhaitait « laisser paraître l'ouvrage que lorsque le temps l'aurait mis à l'abri des ressentiments », les manuscrits, paraphés par le notaire, furent confiés à celui-ci puis, en 1760, par lettre de cachet, transférés et séquestrés au dépôt des Affaires étrangères. Les extraits manuscrits que Choiseul, alors ministre, fit faire par l'abbé de Voisemon, furent à l'origine de nombreuses copies et de sept éditions partielles et tronquées, de 1781 à 1819, date de la restitution officielle des manuscrits à la famille, qui permit enfin la publication en vingt-sept volumes des Mémoires en 1828-1829 chez l'éditeur Sautelet.