L’étalage publicitaire

Ce troisième billet complète la série thématique consacrée à « L’art de la devanture en France (XIXe-XXe siècles) » en abordant, cette fois, une typologie spécifique d’étalage particulièrement développée dans l’entre-deux-guerres : l’étalage publicitaire.

Alors que les initiatives (publiques ou privées) visant à relancer la consommation se multiplient après la Première Guerre mondiale, les détaillants et les grands magasins se tournent vers la modernisation de leurs devantures et étalages qui devient une véritable stratégie publicitaire. Conscients des méthodes nouvelles de commerce que leur imposent le nouvel état d’esprit de la clientèle et le développement de la concurrence, les commerçants se doivent en effet d’investir dans le domaine qui apparaît comme l’un des moyens de publicité les plus rentables d’alors. Hirsch, un commentateur de la Revue internationale de l’étalage pour laquelle il se demande « Combien rapporte votre vitrine ? » fait d’ailleurs remarquer que : 

Hirsch, « Combien rapporte votre vitrine ? », Revue internationale de l’étalage, n°9, septembre 1933, p. 9-10

Pour le prouver, il accompagne son texte d’un graphique permettant aux commerçants d’évaluer le rendement, sur plusieurs semaines, d’un étalage bien agencé et parvient à un constat sans appel : décoration et scénographie appropriées rentabilisent une vitrine pendant au moins trois semaines. Il faudra donc faire appel régulièrement à un étalagiste pour la renouveler.

Hirsch, « Combien rapporte votre vitrine ? », Revue internationale de l’étalage, n°9, septembre 1933, p. 10

L’étalage, et par extension la devanture, apparaissent incontestablement comme des moyens publicitaires. Pour la revue Vendre en 1928, le critique d’art Louis Chéronnet compare d’ailleurs directement les caractéristiques d’une publicité traditionnelle à une devanture. Il écrit que « tout dans leur complexion actuelle les y incite : variété des matières employées, recherches des effets frappants et aussi, hélas, […] leur nature éphémère qui appelle le renouvellement. » Dix ans plus tard, l’écrivain Gaston Criel confirme encore les propos de Chéronnet : 

Gaston Criel, « Nous avons lu pour vous… Le Gérant moderne », Parade, n°133, mars 1938, p. 19

Déjà, en 1922, l’étalagiste Hippolyte Glévéo définit un « étalage-réclame » comme le relai des médias publicitaires traditionnels (journaux, catalogues, etc.). Mais la notion d’étalage-publicitaire est en fait plus complexe, et véritablement forgée entre les deux guerres. Elle est mentionnée comme un type d’étalage à part entière dès la première année de parution de Parade en octobre 1927. Le modèle présente un cuisinier assoupi dont la silhouette est découpée dans du bois. Il est placé à côté d’un réfrigérateur au-dessus duquel on peut lire le slogan « Frigidaire n’a besoin de personne ».

Vitrine publicitaire de la Compagnie Frigidaire, Parade, n°10, octobre 1927, p. 6

Les caractéristiques de l’étalage publicitaire y transparaissent. Il s’agit d’un étalage financé (au moins en partie) et conçu par le fabricant (ici, la Compagnie Frigidaire) qui le fournit à son client-commerçant pour qu’il l’installe directement en vitrine. Il doit donc comporter le nom de la firme, en rappeler l’argumentation, être facilement transportable et largement diffusable. Il doit aussi s’adapter à toutes les tailles de vitrine, être simple, de qualité et peu encombrant.

En raison de son rendement pour la marque, de son bas coût pour le commerçant et de sa capacité publicitaire, ce type d’étalage est largement observé et plébiscité par les spécialistes. Glévéo en donne une nouvelle définition en 1936 :

Hippolyte Glévéo, « La parole est à M. H. Glévéo », Parade, n°118, octobre 1936, p. 8

Forte de son succès, la typologie obtient sa propre rubrique dans Parade dès 1929. Le double étalage de la société de machines à calculer Comptometer correspond bien à cette catégorie. À gauche, l’enseigne souligne sa collaboration régulière avec les magasins Félix Potin par un étalage de bouteilles, flacons et autres boîtes alimentaires. Dans sa partie inférieure, un panneau note que « La première maison pour l’alimentation emploie naturellement… » et suspend le spectateur dont le regard se tourne vers l’étalage de droite en bas duquel se trouve la suite : « … La première machine à calculer dans tous ses services comptables. » Celui-ci expose également deux mannequins féminins qui, grâce au Comptometer, réalisent les comptes de l’enseigne.

Double étalage publicitaire du magasin Comptometer, 1929, « Un bon étalage publicitaire », Parade, n°32, août 1929, p. 9

Écrivant pour Vendre en novembre 1927, André Kaminker propose aussi une évolution de l’étalage publicitaire classique par fusion avec l’affiche. Il imagine un étalage dans lequel les éléments cartonnés seraient accompagnés directement des produits à vendre, insérés dans la composition comme s’ils étaient imprimés sur le carton. Ils constitueraient ainsi les apparitions en trois dimensions de marchandises traditionnellement dessinées ou photographiées sur un support papier devenu affiche en relief.

Kaminker, « La technique de l’affiche appliquée à l’étalage », exemple d’un étalage B. Menkel, Vendre, n°48, 1er novembre 1927, p. 436

 

Le cycle consacré à l’art de la devanture en France aux XIXe et XXe siècles vous est proposé dans le cadre d’un projet de recherche associé au département Droit, économie, politique de la BnF. Retrouvez ici l’intégralité des billets du cycle.