À propos de l’auteurMarie Galvez
Senancour a longtemps fait figure d’auteur malchanceux, encensé malgré lui par la génération de 1830 puis tombé dans l’oubli. Son œuvre est révélateur d’une époque de transition, entre le XVIIIe et le XIXe siècles. Nourri de la philosophie des Lumières, Senancour jette cependant dans ses écrits les bases de nombreux thèmes romantiques.
Étienne Pivert de Senancour est né à Paris le 5 ou 6 novembre 1770. Fils d’un contrôleur des rentes, il reçoit de sa mère une éducation janséniste. Son enfance, triste et terne, est marquée par la découverte de la nature lorsque ses parents décident de le mettre en pension près d’Ermenonville, chez un curé de campagne. Le souvenir de Rousseau est encore très vif dans la région et Senancour découvre avec passion les œuvres du philosophe qu’il médite lors de ses promenades dans la campagne. Sa mélancolie déjà ancienne et son besoin de solitude y trouvent une justification esthétique qui ne le quittera pas. De manière générale, la connaissance et le questionnement de la philosophie des Lumières sont une constante de son œuvre qui se retrouve dans tous ses écrits. En 1785, ses parents le ramènent à Paris où il termine ses études au collège de La Marche. Il y subit les persécutions de ses camarades, ce qui accentue encore son goût pour la solitude. Son père, avec lequel il ne s’est jamais entendu, souhaite le voir entrer au séminaire de Saint-Sulpice. Afin d’y échapper, Senancour, soutenu par sa mère, devance les émigrés de la Révolution française et s’enfuit en Suisse le 14 août 1789. Il réside quelques temps au hameau de Charrière dans le Valais, avant de s’installer à Fribourg. Il y fréquente une jeune fille, Marie-Françoise Daguet, qui le persuade de l’épouser en 1790.
Le mariage se révèle vite un échec tandis que Senancour commence à souffrir d’une infirmité précoce, résultat de sa chute dans un torrent glacé lors de l’une de ses ascensions en montagne. Déçu, amer et de plus en plus mélancolique, il écrit un court récit, Aldomen ou le Bonheur dans l’obscurité. Afin d’en surveiller l’impression, il s’installe près de Senlis, en 1795, où il vit d’autant plus retiré que, porté à tort sur la liste des émigrés, il risque l’emprisonnement. Il publie en 1799 les Rêveries sur la nature primitive de l’homme. En 1802, après un bref séjour en Suisse, il se sépare de sa femme et rentre à Paris. S’ouvre alors pour l’écrivain une période de crise existentielle de laquelle naît Oberman. De plus en plus pauvre et malade, Senancour vit de travaux de librairie, collaborant à plusieurs journaux et à la Bibliographie universelle des contemporains de Rabbe. Il continue d’écrire en parallèle : De l’amour (1805) qui est un plaidoyer pour le divorce ; Valombré (1807) ; Lettres d’un habitant des Vosges et Simples observations soumises au congrès de Vienne (1814) ; De Napoléon (1815) ; Simples méditations d’un solitaire inconnu (1819) ; Résumé de l’histoire des traditions morales et religieuses chez tous les peuples (1825) où le fait d’avoir qualifié le Christ de « jeune sage » lui vaut un procès et une amende dont le dispense finalement la Cour royale. La gloire et le succès arrivent enfin grâce aux préfaces de Sainte-Beuve et de George Sand aux éditions d’Oberman en 1833 et 1840. Senancour, vieilli, refuse cependant de sortir de son isolement pour se ranger aux côtés des romantiques dont l’esthétique diffère de la sienne. Admirateur de Bernardin de Saint-Pierre et peut-être « dernier disciple de Rousseau » (Zvi Levy, 1979), Senancour, malgré l’influence de ses écrits sur la génération de 1830, ne se ralliera jamais au romantisme. Son œuvre original se situe à la croisée de deux siècles et contribue à faire de lui l’une des grandes figures du préromantisme français.