Le combat des Provinciales
« La volonté humaine n’atteint pas la grâce par la liberté, mais plutôt la liberté par la grâce », déclarait saint Augustin au début du Ve siècle dans La Correction et la Grâce. De même, dans le traité Du libre arbitre : « Notre liberté consiste en ce que nous soyons soumis à la vérité. » Après la corruption de sa nature par le péché originel, l’homme peut-il encore incliner librement sa volonté au bien et la tourner vers son créateur, ou, captif du mal qui l’enferme dans l’amour de soi et la concupiscence, ne le peut-il plus, comme le pensait saint Augustin, que mu par la grâce de Dieu ? Sa liberté n’a-t-elle dès lors d’autre exercice que d’acquiescer à cette motion divine – se décider à être décidé ? Questions cruciales, car il en va de la conduite que l’homme doit tenir pour son salut éternel : « L’immortalité de l’âme est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu’il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l’indifférence de savoir ce qui en est », écrira Pascal dans les Pensées.
À ce débat lancinant de la liberté humaine et de la grâce divine, si ancien et capital qu’il se confondait presque avec l’histoire de l’Église, l’humanisme de la Renaissance et la Réforme avaient donné une nouvelle actualité, dont témoignent exemplairement le livre Du libre arbitre d’Érasme en 1524 et la réplique que lui opposa Luther en 1526 par son Serf arbitre. Le concile de Trente (1545-1563) y accorda une attention particulière en condamnant la radicalité des positions protestantes, sans néanmoins mettre un terme aux débats internes à l’Église catholique : en 1640, la parution de l’Augustinus du théologien flamand Jansénius les rouvrit avec plus de virulence que jamais.
C’est de cette question doctrinale qui engage toute l’existence du chrétien, question théologique de ce qu’il doit croire et question morale de ce qu’il doit faire, que se saisit Pascal en 1656 en entreprenant la rédaction des Provinciales : œuvre de combat où le maître de la démonstration scientifique se mue en maître de la persuasion rhétorique, dans un admirable usage de la raison tourné tout entier vers l’appel à sa soumission. Car, dira dans les Pensées l’un des fragments de la liasse « Soumission et usage de la raison », « la conduite de Dieu est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons et dans le cœur par la grâce ».