Les carrosses à cinq sols Rémi Mathis
Avec le duc de Roannez, Pascal mène à bien un projet, connu sous le nom de « carrosses à cinq sols ». Alors qu’au XVIIe siècle se développent les transports entre les principales villes du Royaume, reliées par des coches depuis le règne de Louis XIII, rien de semblable n’existe à l’intérieur des villes. La plupart des citadins marchent ; seules quelques riches personnes peuvent se permettre d’emprunter un carrosse. Car posséder un carrosse signifie l’avoir acheté, l’entretenir, le remiser et posséder quatre à six chevaux, tout cela dans une grande ville où l’espace est cher. Aussi, dès le début du siècle, l’idée apparaît-elle de louer de tels véhicules : ce sont les fameux « fiacres », louables à la demi-journée, à la journée ou même, après contrat notarié, pour un certain nombre de journées par an. L’idée des « carrosses à cinq sols » est en revanche entièrement nouvelle et révolutionne les transports urbains. Il s’agit de tracer des routes que suivront régulièrement des carrosses publics. N’importe qui peut les emprunter pour effectuer une partie de leur parcours en s’acquittant d’un prix modique. Il s’agit là du premier réseau de transport public urbain, comparable en tout point à nos autobus. C’est vraisemblablement en 1658 ou 1659 que l’idée germe dans les esprits de Pascal et du duc. Les deux hommes intègrent dans l’entreprise quelques proches qui désirent y placer de l’argent tels Simon Arnauld de Pomponne et Pierre de Perrien, marquis de Crenan. Membre de la famille janséniste des Arnauld – il est le fils d’Arnauld d’Andilly et donc le neveu du Grand Arnauld –, Pomponne est paroissien de Saint-Merri et fréquente les salons précieux : son réseau social (les Barrillon, les Du Plessis-Guénégaud, l’évêque de Comminges, Gilbert de Choiseul…) recoupe donc très largement celui des deux entrepreneurs. Une convention sous seing privé passée à Fontainebleau, le 29 octobre 1661, partage la société en six parts. Trois appartiennent au duc de Roannez, une à Pascal, une au marquis de Crenan et, enfin, une à Pomponne. Pascal y a investi presque toute sa fortune. Le 25 novembre, un placet demandant un privilège parvient au Conseil : la requête est examinée le 19 janvier 1662 et le privilège accordé, sans doute grâce à l’intervention du marquis de Sourches. Sitôt après que le privilège est enregistré à l’Hôtel de Ville, les carrosses commencent à rouler.
La première route mène de la rue Saint-Antoine au Luxembourg en desservant le Châtelet, l’île de la Cité et la foire Saint-Germain : on s’adresse clairement aux bourgeois et à la petite robe…
et on remarquera aussi que l’itinéraire relie la maison de Pascal à l’hôtel de Roannez en passant par l’hôtel Arnauld. Une deuxième puis une troisième route sont bientôt ouvertes : on doit même changer de priorité après que le roi a demandé s’il aurait lui aussi sa route, passant par le Louvre. Le public se rue sur les carrosses et il est fréquent d’en voir passer plusieurs sans pouvoir y prendre place. On tente alors de profiter de cet afflux de chalands : « Les marchands de la rue Saint-Denis demandent une route avecques tant d’instance qu’ils parloyent mesme d’en presenter requeste. » Enfin, afin de relier entre elles les routes et de permettre des liaisons avec l’ensemble de la ville, la quatrième route, ouverte le 24 juin 1662, est circulaire.
Mais l’ouverture de nouvelles voies n’a pas pour effet d’élargir le nombre des usagers. Au contraire, ces derniers ont tendance à diminuer, mettant en danger la rentabilité de l’entreprise. On renonce à ouvrir les nouvelles lignes pourtant prévues durant l’été 1662, alors que Pascal, malade, vit ses derniers mois. Des quatre routes supplémentaires projetées par Crenan, une seule fut créée en juin 1662, cinquième et dernière « route des carrosses publics ».
Sauval, historien de Paris, affirme que « chacun après tout, deux ans durant, trouva ces carrosses si commodes que des auditeurs et maîtres des comptes, des conseillers au Châtelet et de la cour ne faisoient aucune difficulté de s’en servir pour venir au Châtelet et au Palais »… et le roi lui-même fit venir un carrosse à Saint-Germain pour avoir le plaisir de l’emprunter ! Gilberte Périer écrit elle aussi à Pomponne que le seul défaut de l’entreprise est d’avoir prévu trop peu de carrosses et qu’elle en a laissé passer cinq sans pouvoir monter. On a le projet d’appliquer le même système aux villes de Lyon et d’Amsterdam, grâce à l’intermédiaire de Huygens. L’aventure est pourtant hasardeuse : il faut s’attendre aux plaintes des loueurs de carrosses ; on ignore si l’on parviendra à contrecarrer l’habitude du cheval et de la marche ; qui sait si l’on acceptera de se mélanger socialement dans les voitures ? et l’incrédulité est donc de mise au début, avant que l’affaire paraisse bonne. Jean Mesnard estime que le sixième touché par Pascal procurait les premières années un revenu de 6 500 livres. Pascal ne put toutefois en profiter, car il mourut le
19 août 1662.