Portia
« Les amants regardaient, sous les rayons tremblants
De la lampe déjà par l'aurore obscurcie,
Ce vieillard d'une nuit, cette tête blanchie,
Avec ses longs cheveux plus pâles que son front.
« Portia, dit-il, d'un ton de voix lent et profond,
Quand ton père, en mourant, joignit nos mains, la mienne
Resta pourtant ouverte, en retirer la tienne
Était aisé. Pourquoi l'as-tu donc fait si tard ? »
Mais le jeune Dalti s'était levé. « Vieillard,
Ne perdons pas de temps. Vous voulez cette femme?
En garde ! Qu'un de nous la rende avec son âme.
— Je le veux, » dit le comte ; et deux lames déjà
Brillaient en se heurtant. — Vainement la Portia
Se traînait à leurs pieds, tremblante, échevelée.
Qui peut sous le soleil tromper sa destinée ?
Quand des jours et des nuits qu'on nous compte ici-bas
Le terme est arrivé, la terre sous nos pas
S'entr'ouvrirait plutôt : que sert qu'on s'en défende ?
Lorsque la fosse attend, il faut qu'on y descende.
Le comte ne poussa qu'un soupir, et tomba.
Dalti n'hésita pas. « Viens, dit-il à Portia,
Sortons. » Mais elle était sans parole, et mourante.
Il prit donc d'une main le cadavre, l'amante
De l'autre, et s'éloigna. La nuit ne permit pas
De voir de quel côté se dirigeaient ses pas. »
Alfred de Musset, Contes d'Espagne et d'Italie, 1829
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