À propos de l’auteurMonika Próchniewicz
Lautréamont, de son vrai nom Isidore Ducasse, est né le 4 avril 1846 à Montevideo (Uruguay) où ses parents sont arrivés, chacun de son côté, quelques années auparavant, avec le flux des migrants du sud-ouest de la France à la recherche d’un avenir meilleur. Sa mère est morte trois semaines après la naissance de son fils, dans des circonstances mystérieuses (certains chercheurs avancent la thèse du suicide). Son père, chancelier à la légation de France, jouissait d’une situation matérielle confortable.
Durant l’enfance d’Isidore Ducasse, s’abattent sur Montevideo une guerre civile, un siège et le choléra. Le futur auteur des Chants de Maldoror aura passé la moitié de sa vie dans cette capitale sud-américaine où le français se mélangeait chaque jour à l’espagnol : environnement auquel il doit son probable bilinguisme.
À treize ans, il traverse l’Atlantique pour faire ses études au lycée de Tarbes : il y fait connaissance de George Dazet, évoqué plus tard sous son vrai nom dans la première version du Chant I (« le poulpe au regard de soie ») et associé à des scènes à connotation sexuelle explicite qui ont suscité des réactions indignées de la famille du jeune homme. La nature de la relation des deux condisciples reste néanmoins un secret.
Isidore Ducasse change de lycée en 1863 pour achever ses études à Pau. Sa scolarité se passe sans éclat particulier : il entre en classe de mathématiques élémentaires, ce que pourrait expliquer la passion pour les sciences qu’on voit dans Les Chants. Quelques remarques dans son œuvre témoignent de l’ennui qu’il aurait éprouvé pendant ces années. Il revient brièvement à Montevideo en 1867 avant de se rendre à Paris dans les mois qui suivent. Il y arrive avec le rêve de devenir écrivain et s’installe dans le quartier de la Bourse, l’un des plus confortables de la capitale. Sa seule ressource matérielle est la pension que lui verse son père depuis l’Uruguay.
C’est grâce à elle qu’il pourra publier ses travaux. Le Chant premier paraît en 1868 à compte d’auteur (et de manière anonyme), avant d’être republié en 1869 à Bordeaux dans un recueil de poésie Les Parfums de l’âme, dirigé par Évariste Carrance. L’auteur doit se démener beaucoup pour faire lire son œuvre. Il l’envoie notamment à Victor Hugo, dont il reçoit la réponse encourageante mais passe-partout que le vieux poète avait l’habitude d’envoyer à tous ses correspondants (Lautréamont s’en vengera en éreintant Hugo, « le Funèbre-Échalas-Vert », dans ses Poésies deux ans plus tard). À la grande déception du jeune écrivain, la publication de la première partie de son œuvre passe pratiquement inaperçue.
L’ensemble des Chants paraît en 1869 chez Lacroix, l’un des éditeurs les plus célèbres du Paris de l’époque, sous le nom du comte de Lautréamont. Ce pseudonyme a suscité de nombreuses hypothèses. En 1927, Philippe Soupault formule l’une des plus probables : Isidore Ducasse l’aurait emprunté, après l’avoir légèrement modifié, au personnage éponyme du roman d’Eugène Sue, Latréaumont, paru en 1838. Le goût pour le roman noir, bien attesté dans les Chants, va dans le sens de cette piste. Une autre interprétation évoque un jeu de mots sur « L’autre est à mont ». Cet autre serait le père du poète, resté à Montevideo, qui finance à nouveau la publication et à qui l’auteur aurait voulu éviter la lecture d’un texte capable de le bouleverser.
Prendre un pseudonyme aurait pu être aussi le moyen d’éviter des poursuites : l’œuvre est en effet scandaleuse et son éditeur, effrayé par ses audaces, en bloque la diffusion. L’auteur s’adresse alors à Poulet-Malassis : cet éditeur français résidant alors à Bruxelles (où la justice de Napoléon III ne pouvait pas le poursuivre) et qui a notamment publié Baudelaire, est une grande figure des lettres libres du XIXe siècle. Il accepte la demande de Lautréamont et publie plusieurs annonces vantant la qualité de ses Chants, mais ses éloges restent inutiles puisqu’ils se heurtent à l’interdiction de vente émise par l’éditeur aussi bien en France qu’en Belgique et en Suisse. Le texte complet ne parvient donc jamais au public, du moins du vivant de l’auteur.
Après l’échec des Chants, Ducasse publie encore deux fascicules en prose, intitulés Poésies (1870) qu’il signe de son vrai nom et dans lesquels il prétend suivre une inspiration opposée à celle des Chants ; plus tard, les surréalistes y puiseront certaines de leurs maximes favorites (« La poésie doit être faite par tous », « Les chefs-d’œuvre de la langue française sont les discours de distribution pour les lycées »). La guerre qui éclate juste à ce moment-là explique sans doute que la réception soit de nouveau très faible. Lautréamont n’a pas le temps d’attendre qu’elle s’améliore : il meurt le 24 novembre 1870 dans Paris assiégé, probablement des suites d’une fièvre.