Le grotesque

Préface de Cromwell

 

Ce paragraphe est emprunté aux développements sur le grotesque, « type nouveau introduit dans la poésie » qui permet de distinguer « la littérature romantique » (alias « l’art moderne ») de la littérature classique » (alias « l’art antique »).
 
Il y aurait, à notre avis, un livre bien nouveau à faire sur l’emploi du grotesque dans les arts. On pourrait montrer quels puissants effets les modernes ont tirés de ce type fécond sur lequel une critique étroite s’acharne encore de nos jours. Nous serons peut-être tout à l’heure amené par notre sujet à signaler en passant quelques traits de ce vaste tableau. Nous dirons seulement ici que, comme objectif auprès du sublime, comme moyen de contraste, le grotesque est, selon nous, la plus riche source que la nature puisse ouvrir à l’art. Rubens le comprenait sans doute ainsi, lorsqu’il se plaisait à mêler à des déroulements de pompes royales, à des couronnements, à d’éclatantes cérémonies, quelque hideuse figure de nain de cour. Cette beauté universelle que l’antiquité répandait solennellement sur tout n’était pas sans monotonie ; la même impression, toujours répétée, peut fatiguer à la longue. Le sublime sur le sublime produit malaisément un contraste, et l’on a besoin de se reposer de tout, même du beau. Il semble, au contraire, que le grotesque soit un temps d’arrêt, un terme de comparaison, un point de départ d’où l’on s’élève vers le beau, avec une perception plus fraîche et plus excitée. La salamandre fait ressortir l’ondine ; le gnome embellit le sylphe.
 
Victor Hugo, Cromwell, 1827.
> Texte intégral : Paris, Albin Michel, 1880-1926