Qui est la femme de l’Apocalypse ? (1/2)

Une femme vêtue de soleil. C’est ainsi qu’est décrit ce personnage mystérieux dans l’Apocalypse de Jean au chapitre 12. Peut-on imaginer apparition plus poétique ? Mais comment interpréter ce personnage qui n’a pas de nom ? Que symbolise cette femme dans les œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance ?

Cette vision surgit après une série de catastrophes et de cataclysmes comme une révélation lumineuse, la promesse d’un avenir meilleur. Mais cette pause est vite interrompue par un nouveau combat, celui contre le dragon. Comment interpréter cet épisode et en particulier le personnage de la femme ? Comment est-elle représentée dans les enluminures et les gravures ? 

Revenons au texte : voici ce que dit d’elle Jean de Patmos dans la traduction de la Sainte Bible selon la Vulgate, (Tome 2, traduction de Pierre Janvier et illustrations de Gustave Doré, chez Alfred Mame et fils, 1866). 

 

« Et un grand signe parut dans le ciel : une femme revêtue du soleil, ayant la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles. Elle portait un enfant dans son sein, et elle criait dans sa douleur, et elle ressentait toutes les angoisses de l'enfantement. Un autre signe parut ensuite dans le ciel : un grand dragon roux, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses sept têtes sept diadèmes. Et sa queue entraînait la troisième partie des étoiles du ciel, et il les fit tomber sur la terre. Et le dragon s'arrêta devant la femme qui devait enfanter, afin de dévorer son fils aussitôt qu'elle serait délivrée.Elle mit au monde un enfant mâle, qui devait gouverner toutes les nations avec une verge de fer, et son fils fut enlevé vers Dieu et vers son trône. Et la femme s'enfuit dans le désert, où elle avait une retraite que Dieu lui avait préparée pour y être nourrie mille deux cent soixante jours. Alors il y eut un grand combat dans le ciel. Michel et ses anges combattaient le dragon, et le dragon combattait avec ses anges. »

 La note mentionne ceci : 

"Cette femme représente l'Église, revêtue du soleil, c'est-à-dire de la lumière de Jésus-Christ ; elle a la lune, c'est-à-dire les choses changeantes de ce monde, sous les pieds. Les douze étoiles dont elle est environnée sont les douze apôtres. Elle est dans le travail et dans les peines de l'enfantement tandis qu'elle met au monde ses enfants spirituels, au milieu des afflictions et des persécutions. Beaucoup d'auteurs savants et pieux font aussi l'application de cette vision à l'auguste mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la Vierge Marie."

Ce commentaire réunit sobrement les deux grandes interprétations de cette figure belle et mystérieuse, à la fois incarnation de l’Église et figure mariale. Mais cette symbolique déjà très riche n’épuise pas toutes les facettes de ce personnage complexe que nous vous proposons d’explorer à travers les manuscrits et les gravures du Moyen Âge et de la Renaissance numérisés sur Gallica. 

La place de la femme dans le récit de l’Apocalypse 

L’œuvre de Jean de Patmos est le récit d’un combat entre deux principes antagonistes. Les personnages se répartissent ainsi entre les deux camps : d’un côté le dragon, la bête et la grande prostituée, de l’autre saint Michel, l’agneau et la femme. À la fin du récit, l’allégorie de la Jérusalem nouvelle, vêtue comme une mariée parée pour son époux rappelle la femme qui accouchait. C’est l’épisode des noces de l’agneau : Dieu habite désormais parmi les hommes. Tout est résolu. La femme se confond avec la nouvelle Jérusalem. Nous sommes donc en présence de deux archétypes féminins opposés : la figure maternelle, l’épouse qui incarne l’Église, qui conduit l’humanité au salut, et la prostituée, la femme corrompue, sexualisée, idolâtre, qui incarne le mal. 

Au centre du récit, une femme qui accouche 

Le deuxième verset de l’épisode présente la femme de l’Apocalypse comme une femme enceinte en train d’accoucher. Or, sur aucun des manuscrits consultés, cette femme n’est peinte avec un ventre proéminent (ce que l’on trouve pourtant dans les scènes de Visitation) ou dans les douleurs de l’accouchement. 

La femme alitée face au dragon tend l'enfant à l'ange.
Accouchement de la femme de l'Apocalypse. L'enfant est sauvé du dragon et enlevé au ciel, vers le trône de Dieu, par un ange. 1220-1270. Bibliothèque de Toulouse. Ms 815

 

Ce manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Toulouse présente cependant une scène de naissance. La femme encore alitée tend le nourrisson déjà emmailloté à un ange. La métaphore de l’accouchement se trouve déjà dans Matthieu, 24,13 : « Or tout cela n’est que le commencement des douleurs de l’enfantement. » Les douleurs de l’enfantement désignent en l’occurrence les malheurs qui s’abattent sur l’humanité, famines, guerres et tremblements de terre et peuvent donc annoncer les multiples fléaux mentionnés dans l’Apocalypse. Mais la métaphore de l’accouchement a aussi été employée par l’évangéliste Jean pour parler de la Passion du Christ avant la joie de la résurrection. Dans l’Apocalypse, l’accouchement est donc l’image de l’avènement de la Jérusalem céleste au terme d’un travail douloureux. L’épisode de la femme de l’Apocalypse peut donc être lu comme une mise en abyme de l’ensemble de l’œuvre. 

La victoire de la nouvelle Ève  

La naissance de cet enfant se déroule sous la menace d’un dragon terrifiant. Or ce dragon est interprété comme une résurgence du serpent de la Genèse. L’épisode de la femme de l’Apocalypse constitue en effet le second acte du combat entre la femme, mère de l’humanité, et le mal, incarné par le serpent dragon. Il a gagné une première fois, il est vaincu lors de son second combat. Le récit de la Genèse (Gn 3, 15) annonçait déjà que la postérité de la femme remporterait la victoire sur le serpent. 

Dans les deux cas, la femme apparaît comme une mère dans les douleurs de l’enfantement, douleurs issues de la condamnation d’Ève mais aussi douleurs rédemptrices qui rachètent le péché. La maternité est indissociable de cette figure féminine. 

En haut de l'enluminure, la femme trône avec l'enfant face au dragon, en bas, Saint Michel terrasse le dragon.
Lambert de Saint-Omer, Liber floridus.  France (Nord). XIIIe siècle (3e quart). Latin 8865.

 

Cette miniature du Liber floridus (Livre fleuri), encyclopédie médiévale qui compile différents écrits est particulièrement originale. Le croissant de lune est devenu un siège sous la femme. La légende précise que la lune est à ses pieds, ce qui rappelle l’analogie entre le croissant de lune et le serpent de la Genèse. La femme est bien ici la nouvelle Ève qui a enfin vaincu le dragon. La femme de l’Apocalypse apparaît à la fin des temps en référence à la femme du commencement, dans le dernier acte du combat cosmique qui oppose Dieu et Satan. En accouchant d’un fils, elle apporte l’espérance aux chrétiens soumis aux persécutions dans l’attente du Royaume de Dieu. Comment ne pas reconnaître en effet le Messie dans ce fils qui doit gouverner les nations ?