Drôles de repas dans la littérature anglaise (1/2)
Des pèlerins parient un dîner sur le chemin de Canterbury, un naufragé festoie sur une île déserte, une jeune fille prend le thé avec un lièvre et un chapelier, un orphelin devient pickpocket pour un bol de gruau… des classiques anglais à dévorer dans Gallica.
Où tout commence par un repas…
Tout le monde connaît le chef-d’œuvre médiéval de la langue anglaise, Les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer. Mais saviez-vous que le point de départ de ces récits racontés par des pèlerins se trouve à la table d’une auberge ?
“L'histoire la plus belle ou le plus gentil conte,
Aura droit à souper, et sans payer de compte”
Dans le prologue aux contes, l’aubergiste de la Tabard Inn propose à ses convives un défi gourmand : celui d’entre eux qui racontera la meilleure histoire sur le chemin de Canterbury se verra offrir le souper à leur retour.
Chaucer ne dévoile rien du repas à gagner, mais on trouvera dans la Bibliographie gastronomique de Georges Vicaire des descriptions d’ouvrages de cuisine médiévale anglaise, comme Ancient Cookery, 1381 ou The Forme of Cury, dont un manuscrit suggère qu’il a été composé par les maîtres queux du roi Richard II d’Angleterre. Le Viandier de Taillevent, rédigé en France à la même époque, permet également de se faire une idée des plats servis par l’aubergiste.
Chaucer décède malheureusement avant d’avoir achevé son œuvre, laissant le pari ouvert entre les vingt-quatre premiers contes. Mais le repas comme catalyseur d’une action dramatique et d’une peinture sociale connaîtra une postérité remarquable : les plus grands écrivains anglais en livreront chacun une nouvelle recette.
L’utopie nourricière de Daniel Defoe
L’action des Aventures de Robinson Crusoé, inspirées du naufrage du marin Alexander Selkirk (1676-1721), démarre véritablement quand celui-ci échoue sur une île déserte. Seul et sans ressources, le constat de Robinson est amer :
“Je n'avais rien à manger ni à boire pour reprendre des forces, et mon unique perspective était de mourir de faim ou d'être dévoré par les bêtes sauvages.”
Sa foi en la Providence et son instinct de survie le poussent à tirer parti de l’épave et à exploiter au mieux les provisions dont il dispose. Il chasse, pêche à la corde, se fabrique une table pour manger, apprend à pâtisser « différents gâteaux et des poudings de riz », plante une vigne, élève du bétail, atteignant une abondance capable de rivaliser avec celle de la civilisation anglaise.
“La nourriture ne me manquait point, et de très-bonne nourriture, notamment des chèvres, des pigeons et des tortues. En joignant à ces viandes mes raisins secs, le marché de Leadenhall n’aurait pu mieux fournir une table, surtout pour un seul homme; [...] loin d’être réduit à la privation d'aliments, j’en avais au contraire de très-abondants et même de très-friands.”
Parmi les plats évoqués dans le récit de Robinson, beaucoup sont des classiques de la cuisine anglaise de l’époque. Ainsi, on trouve dans Le Cuisinier anglais la recette des pigeons rôtis, celle du pudding au riz et surtout, la soupe façon à la tortue.
Curieuse histoire que celle de cette soupe… C’est que le nom évoque deux recettes bien distinctes. La soupe de tortue est un plat très en vogue en Angleterre et en Amérique au XVIIIe siècle. Préparée avec de la tortue de mer, c’est une recette onéreuse très appréciée par l’aristocratie. Destinée à un public plus modeste, la soupe de fausse tortue, ou soupe façon à la tortue, est en fait réalisée avec… de la tête de veau ! C’est cette version que livre Le Cuisinier anglais. Pour apprécier la version luxueuse de Robinson, il faut consulter La Cuisine de tous les pays d’Urbain Dubois, dans laquelle on trouve la soupe de tortue à l'américaine.
“Fausse-tortue”... avec une tête de veau… Vous la reconnaissez ?
Au menu du prochain épisode : Les Aventures d’Alice au pays des merveilles et encore bien d’autres drôles de repas…
Pour aller plus loin :
On trouvera les ouvrages de cuisine médiévale The Forme of Curry et Ancient Cooking, 1391 dans les Antiquitates Culinariae, or Curious Tracts relating to the Culinary affairs of the Old English, consultables sur Internet Archive.
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