Naissance de l'imprimerie à caractères mobiles

  • 1455, Mayence : berceau de l’imprimerie européenne

    Johann Gutenberg (Mayence, vers 1399 – Mayence, 1468) est reconnu comme l’inventeur de l’imprimerie européenne. C’est au terme de longues années de recherche dans les citées rhénanes de Strasbourg et de Mayence, et au prix de l’engloutissement de capitaux considérables, qu’il parvint à mettre au point dans les années 1450 la technique de la typographie à caractères mobiles.  [collapse collapsed]

    La Bible est le premier livre d’envergure à avoir été produit au moyen de ce procédé mécanique. Elle a nécessité la collaboration de trois hommes : Gutenberg, l’inventeur et à ce titre, le plus renommé des trois associés ; Peter Schöffer, l’homme de l’art, un calligraphe devenu le fondateur d’une dynastie de typographes mayençais ; et Johann Fust, le financier de l’opération.

    La Bible de Gutenberg, première grande œuvre typographique européenne, est aussi l’une des plus abouties que l’Occident médiéval ait engendrées. Sa beauté, sa célébrité et la diffusion rapide de sa technique de production, en ont fait le livre le plus emblématique de la culture occidentale.

    Une petite cinquantaine d'exemplaires sont aujourd’hui conservés dans le monde, dont quatre en France. La BnF en possède deux : le plus luxueux est imprimé sur parchemin, l'autre sur papier.  [/collapse collapsed]

  • 1465-1467, de Subiaco à Rome : l'Italie, second foyer de l’imprimerie en Europe

    Environ dix ans après l'invention de Gutenberg à Mayence, l’installation de Konrad Sweynheym et Arnold Pannartz au monastère de Subiaco en 1465, puis à Rome en 1467, fait de l’Italie le deuxième pays, à accueillir cette technique novatrice de reproduction des textes qu’est l’imprimerie à caractères mobiles. [collapse collapsed]

    Sweynheym et Pannartz sont d’origine germanique. Comme eux, nombre de typographes allemands seront les artisans de la dissémination européenne de l’imprimerie. Au contact de l’humanisme italien, l’effort de Sweynheym et Pannartz en faveur de la culture antique se traduit par la publication de textes classiques, dont ils fournissent les premières éditions imprimées.

    À Subiaco, Sweynheym et Pannartz emploient une typographie qui s’éloigne de la traditionnelle lettre gothique et à Rome, adoptent la lettre romaine. Celle-ci s’inspire de l’écriture calligraphique carolingienne, réputée sa lisibilité et remise à l’honneur par les humanistes italiens. La typographie romaine individualise davantage les lettres et abandonne le tracé épais et fracturé de la gothique. L’adopter manifeste une rupture consciente avec l’héritage médiéval. En effet, si la typographie gothique reste au XVe siècle privilégiée pour l’impression de textes inscrits dans la tradition médiévale, y compris chez des imprimeurs disposant également d’une fonte romaine, le choix d’une typographie romaine traduit à l’inverse un parti-pris d'Humanisme. [/collapse collapsed]

  • 1468, Venise : cité marchande

    Au XVe  siècle, Venise est une ville marchande prospère et un haut lieu du commerce européen. Jean de Spire, le premier imprimeur de la cité (à partir de 1468), ouvre la voie à des typographes de talent. Certains, parmi eux, contribuent à faire évoluer la forme du livre européen. [collapse collapsed]

    Le champenois Nicolas Jenson  (Sommevoire, 1420 – Venise, 1480/1481), ancien ouvrier de Fust et Schöffer à Mayence, publie son premier imprimé à Venise en 1470. Il est considéré comme le véritable inventeur de la typographie dite romaine, celui qui lui a donné ses caractéristiques propres. Ses nouveaux caractères romains renforcent les traits de modernité de la typographie humaniste. Leur influence durable se ressent jusqu'à la typographie d'aujourd'hui.

    Erhard Ratdholt (vers 1447- vers 1527), d'abort actif à Augsbourg, sa ville natale, apparaît à Venise en 1476. Cette année-là, il publie, avec le Kalendarium du mathématicien allemand Regiomontanus, le premier livre doté d’un frontispice portant explicitement le titre de l’œuvre, le nom de son auteur, le lieu et l’année de publication et les noms des imprimeurs. C’est le prototype de la page de titre moderne. Avec les Eléments de géométrie, édition princeps de l’œuvre d’Euclide, Ratdholt est le premier à insérer des figures de géométrie dans une composition typographique.

    Alde Manuce (1450 - 1515), enfin, est sans doute le plus célèbre des imprimeurs humanistes. Helléniste, il a publié de nombreux ouvrages en grec, dans un contexte de diaspora des lettrés byzantins fuyant l’avancée des Turcs en Méditerranée. Il est l’inventeur en 1501 des caractères italiques, imitant l’écriture humanistique cursive. Alde Manuce systématise également l’emploi d’un format réduit, peu habituel au Moyen Âge. [/collapse collapsed]

  • 1470, Paris : foyer universitaire

    En 1469, une quinzaine d’années après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, moins de vingt ateliers typographiques sont en activité en Europe, tous localisés en territoire germanique ou en Italie. La France est le deuxième pays, après l’Italie, à importer l’imprimerie, dans un contexte très spécifique. Deux théologiens prirent en effet l’initiative d’implanter en 1470 un atelier à Paris, à proximité du collège de Sorbonne, afin de répondre à des enjeux pédagogiques. [collapse collapsed]

    Guillaume Fichet, savoyard, et Jean Heynlin, originaire de la région rhénane, suivent à Paris, au milieu du XVe siècle, le cursus de l’Université. Ils y deviendront professeurs à la Faculté de théologie, en exerçant aussi des responsabilités au collège de Sorbonne. C'est dans ce contexte universitaire qu'ils ont pressenti l'intérêt de la reproduction typographique des textes, qui permet de disposer de copies en plus grand nombre, à moindre coût et en diminuant les risques d'erreur propres à la pratique de la copie manuscrite.

    C’est probablement lors d’une période d’enseignement, de 1464 à 1467, à l’Université de Bâle, que Jean Heynlin fait la connaissance de ceux qui deviendront les premiers typographes parisiens : Ulrich Gering, Michæl Friburger et Martin Crantz. A l’initiative de Fichet et de Heynlin, et avec l’autorisation de Louis XI, Gering, Friburger et Crantz installent la première presse à imprimer française dans une dépendance du collège de Sorbonne. En moins de trois ans, les trois typographes produisent vingt-deux livres lié à l'enseignement, imprégné d’humanisme, des deux théologiens. [/collapse collapsed]

  • 1473, Lyon : carrefour marchand

    Les débuts de l’imprimerie parisienne ont été soutenus de manière volontariste par des professeurs de Sorbonne imprégnés d’humanisme. Le contexte du deuxième foyer d’imprimerie française, Lyon, est différent. Dans la seconde moitié du XVe siècle, Lyon est une ville marchande à la croisée des grandes routes commerciales de l’Europe du Nord et de l’Italie. Ville de foires, elle accueille des négociants français et étrangers, et leurs marchandises – dont naturellement, des livres. [collapse collapsed]

    Barthélémy Buyer (actif de 1473 à 1482), introducteur de l’imprimerie à Lyon, est lui-même un fils de marchand, qui a fréquenté l’Université de Paris. Buyer et ses confrères ne peuvent pas compter, à Lyon sur une clientèle de théologiens (Lyon n'abrite aucune université), mais ils peuvent en revanche viser la clientèle habituelle des professionnels de la culture savante : clercs réguliers et séculiers, juristes, médecins. Et c’est au clergé que s’adresse le premier imprimé lyonnais daté : Le Compendium breve, que Buyer (qui n'est pas imprimeur) fait imprimer en 1473 par Guillaume Le Roy, est une compilation textes religieux, pour la plupart extraits d’œuvres du pape Innocent III.

    Le commerce du livre peut en revanche y être stimulé par une clientèle aisée de grands négociants, lisant en français plutôt que dans le latin des scolastiques et des humanistes. Le livre imprimé à Lyon va donc partir à la conquête de ce second cercle de lettrés, celui des élites marchandes, qui utilisent l'écrit quotidiennement sans pour autant posséder des livres de manière significative. Dans la décennie 1470, on publie à Lyon des textes moins savants qu'à Paris, puisant dans les succès de la littérature profane des XIVe et XVe siècles ainsi que dans le vaste fonds des œuvres médiévales moralisantes. Les premiers imprimés en français sont lyonnais, de même que les premiers livres français illustrés. [/collapse collapsed]

  • 1476, Bruges : Colard Mansion

    Colard Mansion (actif de 1457 à 1484) fut un entrepreneur et producteur de livres installé en la ville de Bruges, qui relevait alors des Pays-Bas bourguignons. Traducteur et copiste, Mansion devint, sans cesser de produire de luxueux manuscrits, l’un des premiers imprimeurs brugeois. La technique typographique lui permit de tester d’élargir son offre commerciale. Colard Mansion a imprimé, essentiellement en français, des classiques de la littérature politique, morale et poétique relevant de la sphère culturelle bourguignonne. Il a également livré des œuvres plus techniques ou des textes liés à une actualité ponctuelle, visant ainsi un public diversifié et représentatif d’un assez large éventail socio-culturel : de la noblesse lettrée à la bourgeoisie urbaine, sans omettre le public, traditionnel et stable, des savants. [collapse collapsed]

    Au XVe siècle, la plupart des imprimés étaient publiés sans mention de date, ni de lieu, ni d’imprimeur. Mansion ne fait pas totalement exception à cette règle. Il a pourtant pris soin de signer le livre qui est reconnu comme le premier qu’il ait imprimé en son seul nom, dans un colophon qui affirme son accession à la technique typographique en indiquant qu'il s'agit du "premier ouvrage imprimé par Colard Mansion" (" Primum opus impressum per Colardum Mansion "). [/collapse collapsed]

  • 1473-1476, des Pays-Bas Bourguignons à Westminster : William Caxton

    William Caxton (1421-1491) a une longue carrière derrière lui lorsqu’il devient l’introducteur de l’imprimerie dans les Îles Britanniques. Marchand, il est actif à Bruges dès les années 1440, où il représente les intérêts commerciaux de la Nation Anglaise. Il se familiarise avec le savoir-faire typographique à Cologne et décide d’en faire fructifier, en terre flamande, le potentiel commercial. Il a sans doute été à l'origine de l'intérêt pour la typographie de deux des plus grands copistes et libraires de manuscrits bourguignons : David Aubert à Gand et Colard Mansion à Bruges - le second seul s’engageant réellement sur les voies de la nouvelle technique. [collapse collapsed]

    En 1476, Caxton établit à l’abbaye de Westminster le premier atelier d'imprimerie d'Angleterre. Il publie de nombreux textes en langue anglaise, souvent dans des traductions du français établies par ses soins. Caxton importe également des imprimés venus de France, dont des livres de liturgie spécialement conçus pour l’île, en particulier à l’usage de Salisbury. Son œuvre est révélatrice de l’absence de contours nets qui caractérise le métier d’imprimeur au XVe siècle : homme de lettres, il est son propre traducteur ; homme d’affaires complet, il a également une activité de libraire et diffuse en terre anglaise d’autres livres que ceux sortis de sa propre presse. [/collapse collapsed]

Les premiers imprimés adoptent l’esthétique et les principes de mise en page des manuscrits du XVe siècle. Le recours, fréquent, à une disposition du texte sur deux colonnes, l’importance des lettres capitales dans la structuration matérielle et intellectuelle du texte, la présence de marges généreuses dévolues, suivant les cas, à l’annotation ou à l’ornementation, sont autant d’habitudes héritées sans modification du livre manuscrit.

Trois grandes familles d’écritures calligraphiques coexistent à la fin du Moyen Âge. Le choix de l’une ou de l’autre faisait entrer le texte manuscrit dans un genre et en catégorisait l’usage. La calligraphie gothique était alors la lettre par excellence des manuscrits liturgiques ; la large "bâtarde", favorite des ducs de Bourgogne, servait à la copie de textes littéraires de langue française, tandis qu’en Italie, les premiers humanistes avaient inventé une graphie nouvelle, ronde et bien détachée, supposée favoriser la clarté de l’écrit autant que celle de la pensée. Les premiers typographes ont adopté sans la remettre en cause cette répartition symbolique en trois champs : la typographie gothique était prioritairement associée aux usages religieux, la romaine à l’héritage classique et, dans l’aire francophone, la bâtarde restait la lettre des œuvres littéraires de langue française.

Au XVe siècle, la page imprimée est souvent parachevée à la main, tant dans le texte même (capitales initiales, séparateurs de paragraphes, éventuelle insertion de notations musicales ou de mots en alphabets non latins, tels que le grec), qu’en ses franges (peinture des marges, enluminures). Les premiers imprimés mêlent fréquemment et intimement des procédés de production mécaniques et manuscrits.

Enfin, les premiers imprimés sont bien souvent édités sans page de titre, sans date ni nom d’imprimeur - là encore à l’image de la plupart des manuscrits. Nombre d’entre eux sont édités dans la langue des savants, le latin ; les textes en langue vulgaire représentent, dans les premières années du développement de l’imprimerie, une part mineure de la production. 

Pour aller plus loin