Rêverie

Les Orientales, XXXVI

 

Avec cette rêverie dont l’épigraphe sort de L’Enfer (« Le jour s’en allait et l’air assombri soulageait de leurs peines les âmes qui sont sur terre ») s’amorce la fin du voyage oriental et le retour nostalgique au Paris contemporain.


La giorno se n’andava, e l’aer bruno
Toglieva gli animai che sono ‘n terra,
 Dalle fatiche loro.
DANTE

 
Oh ! laissez-moi ! c’est l’heure où l’horizon qui fume
Cache un front inégal sous un cercle de brume,
L’heure où l’astre géant rougit et disparaît.
Le grand bois jaunissant dore seul la colline.
On dirait qu’en ces jours où l’automne décline,
Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt.
 
Oh ! qui fera surgir soudain, qui fera naître,
Là-bas, – tandis que seul je rêve à la fenêtre
Et que l’ombre s’amasse au fond du corridor, –
Quelque ville mauresque, éclatante, inouïe,
Qui, comme la fusée en gerbe épanouie,
Déchire ce brouillard avec ses flèches d’or !
 
Qu’elle vienne inspirer, ranimer, ô génies,
Mes chansons, comme un ciel d’automne rembrunies,
Et jeter dans mes yeux son magique reflet,
Et longtemps, s’éteignant en rumeurs étouffées,
Avec les mille tours de ses palais de fées,
Brumeuse, denteler l’horizon violet !
 
5 septembre 1828.
 
Victor Hugo, Les Orientales, 1829.
> Texte intégral : Paris, J. Hetzel et A. Quantin, 1880-1926.