À propos de l’œuvreCharles-Éloi Vial

 

Roman le plus célèbre de Stendhal, La Chartreuse de Parme mélange des événements historiques réels avec une Italie fantasmée. De Waterloo à Parme, Stendhal dépeint les aventures du jeune Fabrice del Dongo, héros romantique pris dans la trame des grands événements historiques puis prisonnier de son amour pour Clélia Conti, qui le pousse à se retirer dans une chartreuse où il finira par mourir, en proie à de terribles remords. Cette histoire dramatique où presque tous les personnages disparaissent après avoir connu un destin tragique est aussi un livre politique, visant aussi bien la société française que la politique italienne de l’époque.

 
Piazza del Duomo, Milan
Vue de la place d'Armes
Fabrice à la guerre
La bataille de Waterloo

Durant cette première partie du roman, Fabrice, plongé dans l’univers militaire dont il ignore tout, est confronté à un événement dont la portée historique le dépasse, la bataille de Waterloo. Il ne s’en sort que grâce à la complicité des militaires qui l’accueillent brièvement parmi eux, et surtout grâce à la pitié des femmes, principalement celles plus âgées que lui, qui le prennent sous leur aile, attendries par sa candeur juvénile et attirées par son physique : l’épouse du gardien de prison, la cantinière, la femme de l’aubergiste et ses filles. De retour en Italie, Fabrice est à nouveau protégé par deux femmes, sa mère et sa tante, qui parviennent à détourner de lui l’attention de la police autrichienne en le convainquant de se faire oublier à la campagne. Avant de quitter Milan, il fait la connaissance de Clélia, fille du général Conti, chambellan du duc de Parme, dont il tombe amoureux, sans encore s’en rendre compte.

 
Le comte Mosca
La Sanseverina, la tante de Fabrice
Vénus, Satyre et Cupidon
 

En son absence, la comtesse Pietranera, belle veuve désargentée, se rend compte confusément qu’elle est amoureuse de son jeune neveu Fabrice, ce qui ne l’empêche pas d’accepter les avances du comte Mosca, principal ministre d’Ernest-Ranuce IV, duc de Parme, qui est marié. Pour l’aimer sans créer de scandale, elle épouse le vieux duc de Sanseverina-Taxis, prend place à la cour de Parme où Fabrice la rejoint. Il se décide à entrer dans les ordres, part étudier au séminaire à Naples, puis s’installe chez sa tante où il s’apprête à devenir coadjuteur de l’évêque de Parme, tout en courtisant une jeune actrice, Marietta. Il finit par se battre avec Giletti, l’amant de celle-ci, et se voit forcé de le tuer en se défendant. Considéré comme un meurtrier, il prend la fuite. Tout Parme est plongé dans la stupeur. Persuadé d’être gracié grâce à la protection du comte Mosca, Fabrice décide de revenir chez sa tante où il est finalement arrêté. Son procès est en réalité instrumentalisé par les ennemis politiques du comte, qui veulent le pousser à la démission.

La tour Farnèse

Fabrice, emprisonné au sommet de la tour Farnèse, dans la pire prison du duché, est soumis à une surveillance constante, mais ses conditions de vie atroce le laissent indifférent, car il retrouve là Clélia Conti, la fille du gouverneur de la forteresse. Les deux jeunes gens échangent des regards, puis réussissent à s’envoyer des messages. Fabrice étant menacé d’être empoisonné par les ennemis de Mosca, elle lui fait secrètement parvenir de la nourriture. La Sanseverina organise pendant ce temps son évasion, à laquelle Clélia participe en acceptant d’administrer du laudanum à son père. L’évasion réussit, mais le général Conti manque d’en mourir. En proie au remords, Clélia se jure de ne jamais plus le revoir, et de se conformer aux désirs de son père en épousant le marquis de Crescenzi. Au même moment, le prince de Parme meurt, empoisonné par le révolutionnaire Ferrante Palla, qui y a été encouragé par la Sanseverina. Tandis que Fabrice accepte de retourner en prison pour retrouver Clélia, le nouveau prince, jeune et immature, s’éprend de la Sanseverina et accepte de faire grâce à Fabrice en échange de ses faveurs. Acquitté, Fabrice est profondément malheureux de n’avoir plus revu Clélia.
Il se jette à corps perdu dans son sacerdoce et devient un prédicateur célèbre, que tout Parme va voir. Vivant en odeur de sainteté, retiré du monde, il évite la cour, où il ne paraît que par obligation sociale, en tant que coadjuteur de l’évêque. Il finit par y croiser Clélia lors d’une fête. Tous deux échangent des regards, et elle finit par lui offrir son éventail. Fabrice renonce à sa résolution de vivre dans la retraite, à la grande fureur de la Sanseverina, en proie à la jalousie, qui est prête à tout pour empêcher Fabrice de revoir Clélia. Elle finit par refuser l'offre du prince de Parme, qui lui propose de l’épouser, puis quitte Parme avec Mosca qui démissionne de son poste de premier ministre. La duchesse et Mosca finissent par se marier, tandis que Parme est en proie à une politique réactionnaire, le général Conti étant devenu premier ministre à son tour : les prisons se remplissent et la Cour n'est plus fréquentée que par des nobles.

 
Fabrice del Dongo
Célia Conti à sa fenêtre
Les retrouvailles de Fabrice et Clélia
 

En proie à de nouveaux remords, Clélia refuse de revoir Fabrice pendant plus d'un an. Celui-ci se morfond à la cour, tout en continuant à prêcher. Entre alors en scène Anetta Marini, fille d’un riche marchand drapier de Parme, qui refuse d'épouser le fils du ministre Rassi par amour pour Fabrice, dont elle ne manque aucun sermon. En proie à la jalousie, Clélia, au bout de quatorze mois, assiste enfin à un sermon prononcé par Fabrice, puis accepte de passer la nuit avec lui, mais en restant dans le noir : son serment de ne plus revoir Fabrice est ainsi respecté. En une ligne, Stendhal fait s’écouler plus de trois années : le comte Mosca a été rappelé à Parme comme premier ministre, Fabrice est devenu archevêque et héritier de toute la fortune de sa famille, tandis Clélia a accouché d'un fils de Fabrice, que ce dernier projette d'enlever pour le faire élever dans sa maison de campagne. L’enfant meurt pourtant au bout de quelques mois, suivi peu de temps après par Clélia, en proie au remords d'avoir bafoué son serment en ayant revu Fabrice à la lumière du jour. Il démissionne de son évêché, fait don de toute sa fortune et se retire dans une Chartreuse où il meurt au bout d'un an. La Sanseverina disparaît peu de temps après lui. De tous les personnages principaux, seuls restent encore le comte Mosca et le prince de Parme.

Plan de Parme

« To the happy few »

La Chartreuse de Parme est une histoire qui ne pourrait arriver que dans la haute aristocratie. Tous les personnages ont les qualités, et aussi les défauts, de leur position sociale, jusqu'à verser dans la caricature : la pureté angélique de Clélia, l'esprit de courtisanerie politique du comte Mosca, l'exaltation de caractère de Fabrice, à la fois romantique et chevaleresque. C'est un roman de classe mais aussi de cohabitation sociale : les relations entre maîtres et domestiques, et l'amour que ces derniers portent aux seigneurs qui les emploient sont des éléments centraux dans l’intrigue. Il s’agit également d’un roman d'histoire où flottent les souvenirs de Napoléon, mais aussi ceux des Farnèse, d’un ouvrage comique, où les piques lancées par les personnages à l'encontre des Français doivent faire sourire le lecteur, mais aussi d’une tragédie où meurent les personnages principaux.

La Duchesse

La Chartreuse de Parme est enfin un roman politique – caricaturant la déchirure séparant toute l'Europe balançant entre les valeurs de la Révolution française et celle de l'Ancien Régime. De 1816 à 1847, le duché de Parme a en réalité été gouverné par l’ex-impératrice Marie-Louise d’Autriche, dont le caractère rappelle celui de la duchesse douairière de Parme dans le roman. Le comte Mosca en revanche évoque par son énergie et sa capacité à se libérer des intrigues de cour certains des grands ministres de Marie-Louise à la même époque : le comte Alfred de Neipperg, le comte Vincenzo Mistrali, et enfin le comte Charles de Bombelles. De nombreux personnages présentés par Stendhal comme Milanais ou Parmesans sont en fait des décalques de caractères illustrant la France de la Restauration et de la monarchie de Juillet. Par son évocation de la vie politique en Italie, La Chartreuse de Parme est aussi une critique virulente de la mainmise de l’Autriche sur l’Italie du Nord, alors divisée en un royaume de Piémont-Sardaigne théoriquement indépendant, un royaume Lombardie (dirigé par un vice-roi autrichien), un grand-duché de Toscane (aux mains d’un archiduc), et en plusieurs petites principautés comme Parme et Modène, sous influence directe de l’Autriche. Le mouvement favorable à l’indépendance et à l’unification italienne, le carbonarisme, nostalgique du royaume d’Italie institué par Napoléon Ier en 1805, est illustré par Stendhal, fin connaisseur de la langue, de la culture et de la politique de la péninsule. À ce titre, Fabrice del Dongo est une incarnation parfaite de la jeunesse italienne enflammée par l’idée d’unifier l’Italie et de renverser l’Autriche.
Si le duché de Parme de Fabrice del Dongo est gouverné par un Farnèse, le monde parallèle que dépeint Stendhal est en réalité extrêmement proche de la situation géopolitique et sociale de l’Italie des années 1820, dont Parme représente l'archétype : un pays endormi, un souverain riche et absolu, des ministres intrigants, une cour trop somptueuse pour un pays si minuscule, une omniprésence politique, policière et militaire de l'Autriche, une méfiance de la France, un mépris souverain affiché par les classes supérieures pour le souvenir de la Révolution et de l'Empire, un respect des convenances sociales et une religiosité de façade partagés par tous les nobles. Cependant, la caricature est double, puisque Stendhal, au travers de l’Italie, vise aussi la France de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, où s'affrontent libéralisme et réaction. À cette critique acerbe d’une société repliée et cloisonnée répond en revanche une mise en scène attendrie de l'Italie, où Stendhal avait si longtemps vécu : goût pour la musique, le théâtre, la fête, la passion amoureuse pouvant aller jusqu'à la violence, l'exaltation du caractère italien déjà chanté par Mme de Staël.