L’harmonie

Lettre LIX. Du château de Chupru, 22 mai, VIII

 

Dans le canton de Fribourg, Senancour organise un goûter champêtre composé de fraises cueillies dans les bois. Cet épisode est l’occasion d’une réflexion sur le plaisir et la jouissance.

« Pour moi, je me mis à rêver au lieu d’avoir du plaisir. Cependant il me faut peu de chose ; mais j’ai besoin que ce peu soit d’accord : les biens les plus séduisants ne sauraient m’attacher si j’y découvre de la discordance, et la plus faible jouissance que rien ne flétrit suffit à tous mes désirs. C’est ce qui me rend la simplicité nécessaire ; elle seule est harmonique. Aujourd’hui le site était trop beau. Notre salle pittoresque, notre foyer rustique, un goûter de fruits et de crème, notre intimité momentanée, le chant de quelques oiseaux, et le vent qui à tout moment jetait dans nos tasses des feuilles de sapin, c’était assez ; mais le torrent dans l’ombre, et les bruits éloignés de la montagne, c’était beaucoup trop : j’étais le seul qui entendît. »
 
Senancour, Oberman, lettre LIX, 1804.
Texte intégral dans Gallica : Paris, Cérioux, 1804