Perrault et la mode des contes de féesGhislaine Chagrot
A partir de 1685, les contes sont à la mode dans les salons littéraires et mondains. C’est le grand divertissement de la bonne société de raconter des contes, et si possible, des contes « naïfs », c'est-à-dire populaires. Dans l’entourage de Perrault et de sa nièce Melle L’Héritier, on se relaie pour dire des contes, parfois même les improvise. Ce ne sont pas seulement les contes de fées qui font fureur, c’est la féerie en général. La parution en 1697 des Histoires ou conte du temps passé n’est donc pas un phénomène unique.
La plupart des contes de cette époque, ceux de Perrault mis à part, sont des contes savants, composés par des dames de la grande société, qui multiplient les péripéties féeriques, participent au goût pour le spectaculaire, l’extravagance visuelle et les mises en scène à grand spectacle qui marquent les fêtes de Versailles. Les contes de fées des contemporains de Perrault constituent une littérature romanesque. Leurs auteurs écrivent avant tout des romans historiques et y incorporent leurs contes.
Dans ce contexte littéraire immédiat, Perrault a une place très originale. Il fait ici exception et prend bien soin de préciser que ses récits sont des contes qui se réfèrent aux contes de tradition orale et non à une tradition littéraire romanesque. Les thèmes des contes s’inspirent du folklore, l’auteur cherche à donner aux textes le style de l’oralité : didascalies, formulettes, formules toutes faites diminutifs, onomatopées, etc. A l’époque, les contes sont véhiculés par les conteurs ou conteuses qui, engagées comme domestiques, servantes ou mies, ont pu les raconter en présence de Charles Perrault.
Mais Perrault n’a pas fait que transcrire les contes qu’il a pu entendre. Cette simplicité naïve est en fait la marque d’une élaboration littéraire. Le génie de Perrault tient dans sa capacité à restituer par des effets de style et de vocabulaire la simplicité et la justesse du ton populaire pour nous donner l’impression d’écouter le conteur populaire.
Dans le manuscrit de 1695, est ajoutée une note en marge du texte : « on prononce ces mots d’une voix forte pour faire peur à l’enfant, comme si le loup l’allait manger ». Les formulettes, connues de tous aujourd’hui, sont des inventions de Perrault : « Tire la chevillette et la bobinette cherra », « Vous serez hachés menus comme chair à pâtés », etc. Le recueil contient un certain nombre de mots déjà désuets et archaïques pour l’époque. Dans la célèbre réplique de Sœur Anne : « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie », poudroyer et verdoyer ne sont plus d’usage au XVIIe siècle. De même, ouïr, haleiner, chaperon, escabelle, etc.
Les contes de Perrault sont d’une remarquable brièveté en regard de la production de son époque. On y décèle de l’ironie, un humour grinçant, parfois grivois. Par exemple, le Petit Poucet, grâce aux bottes de l’ogre, exerce le métier de courrier et gagne bien sa vie grâce aux liaisons des dames de la cour qui voulaient avoir des nouvelles de leurs amants. C’est par la ruse, la tromperie, les mensonges et les menaces que le Chat botté fait la fortune de son maître. Les contiennent une, voire deux moralités, où l’ironie et le second degré sont marqués. Le Chat botté se conclut ainsi :
« …L’industrie et le savoir faire
Valent mieux que les biens acquis. »
Enfin, dans les contes de Perrault, le merveilleux tient une place relativement modeste en regard des contes de l’époque qui font surenchère de féerie. Cette mise à distance du merveilleux s’opère par un ancrage dans la vraisemblance. Les chevaux du carrosse de Cendrillon conservent la couleur grise des souris. Le Chat botté, effrayé par la métamorphose de l’ogre en lion « gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril à cause des bottes qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles ».