À propos de l'auteurBruno Blasselle
Enfant précoce, Charles Nodier se fait remarquer, alors que son père est juge au tribunal révolutionnaire de Besançon, par ses discours devant la Société des Amis de la Constitution. Une ode satirique (« La Napoléone » en 1802) lui vaut un séjour en prison. Il est ensuite bibliothécaire à l’École centrale de Besançon, secrétaire d’un érudit, professeur de littérature à Dôle, de nouveau bibliothécaire à Laybach (aujourd’hui Ljubljana) en Illyrie. Ses premiers écrits attestent déjà de la diversité de ses intérêts, pour l’entomologie (Dissertation sur l’usage des antennes chez les insectes en 1798, Bibliographie entomologique en 1801), la linguistique (Dictionnaire des onomatopées, 1808) ou la critique littéraire (Questions de littérature légale, 1812). Il publie parallèlement ses premières œuvres poétiques (Essais d’un jeune barde, 1804, Les Tristes ou mélanges tirés des tablettes d'un suicidé, 1806) et des romans (Stella ou les Proscrits, 1802, Le Peintre de Salzbourg, journal des émotions d’un cœur souffrant, 1803) où se révèle l’influence de littératures étrangères.
Ces premières œuvres lui confèrent une place remarquée dans le monde littéraire. Fixé à Paris à partir de 1813, rallié au royalisme, Nodier y collabore à plusieurs journaux (Journal des Débats, La Quotidienne) et publie une Histoire des sociétés secrètes dans l’armée (1815). C’est alors que paraissent plusieurs de ses œuvres littéraires parmi les plus importantes, telles Jean Sbogar (1818), Thérèse Aubert (1819), ou Adèle (1820).
Il publie également plusieurs contes d’une veine fantastique (La Fée aux miettes en 1832), héritière des romans noirs de la fin du siècle précédent (Smarra ou les démons de la nuit en 1821, Trilby ou le lutin d'Argail en 1822. Il est aussi critique littéraire (Mélanges de littérature et de critique, 1820).
Le bibliothécaire de l’Arsenal
Nommé en janvier 1824 à la tête de la bibliothèque de Monsieur (qui prendra ensuite le nom de bibliothèque de l’Arsenal) Nodier ouvrira largement les portes de son salon, qui devient un des hauts lieux de la littérature parisienne. Avec sa fille Marie, il y accueille la jeunesse romantique : écrivains célèbres (Hugo, Musset, Vigny, Balzac) et moins célèbres, artistes (les frères Deveria, Delacroix, les frères Johannot), hommes du livre. Cette vie mondaine, qui contribue, au moins pendant les premières années, à la légende de l’Arsenal, abondamment racontée par nombre de participants, notamment Alexandre Dumas dans La Femme au collier de velours (1850), n’interrompt pas son œuvre. Nodier, qui s’est décrit sous les traits du Bibliomane dans le Livre des cent et un (1831), peut s’adonner à sa passion de la bibliophilie, constituant des collections de livres confiés à de grands relieurs comme Thouvenin, mais dont il devra se séparer à différentes reprises. Il fonde en 1834 avec le libraire Techener le Bulletin du bibliophile auquel il collabore activement et dont la publication se continue encore de nos jours.
L'écrivain fantaisiste et le conteur fantastique
Il poursuit son œuvre littéraire, publiant au début de 1830, Histoire du roi du Bohême et de ses sept châteaux, ouvrage inspiré de Laurence Sterne mais le plus novateur, en particulier par la place nouvelle accordée à la typographie et à l’illustration. Nodier prend une part active aux travaux de l’Académie française dont il est membre à partir de 1834. Il travaille à la publication de ses Œuvres complètes (1832-1837) et continue, jusqu’à sa mort, à donner des travaux historiques, mais aussi des contes comme La Fée aux miettes (1832), Trésor des fèves et fleur des pois (1833), Inès de Las Sierras (1837), La Neuvaine de la chandeleur (1838), où la fantaisie et le rêve tiennent une place majeure. Son besoin d’évasion dans l’imaginaire trouve dans le conte et la liberté qui l’accompagne, le bonheur qu’il pense lui être refusé dans l’existence. Nodier est un homme blessé, déchiré, qui ne trouve d’apaisement que dans les visions joueuses que son imagination lui présente. À ce titre il prend place dans l’histoire littéraire aux côtés de Nerval et Baudelaire.
« Quelle paix sans mélange à goûter dans cette région limpide qui n’est jamais agitée, qui n’est jamais privée du soleil, et qui rit, lumineuse et paisible, au-dessus de nos ouragans comme au-dessus de nos misères. » (Jean-François les bas bleus, 1832)
Mais du rêve au cauchemar il n’y a qu’un pas que le fantastique franchit sans embarras, imprégnant les récits de visions monstrueuses d’une inquiétante étrangeté, les remplissant de têtes hideuses tordues par d’affreuses convulsions, poussant jusqu’à l’insupportable l’effroi du spectacle : cette allégresse dans le lugubre ne manquera pas d’enthousiasmer les écrivains surréalistes.