À propos de l’œuvreÉmilie Pézard
Un roman scandaleux
Travestissements, libertinage et bisexualité : le roman avait tout pour scandaliser les critiques. Pour La Revue de Paris, « le livre de M. Gautier est de ceux dont on ne peut parcourir une page sans le fermer aussitôt avec dégoût et indignation. » Mais tous les lecteurs ne voient pas dans le roman « le dévergondage d’une imagination blasée » et après un premier échec, Mademoiselle de Maupin connaît le succès : l’édition revue et corrigée chez Charpentier connaît vingt-trois réimpressions entre 1851 et 1883.
À la poursuite de l’idéal
Si la volupté joue un rôle important dans cette intrigue où les personnages sont loin d’être sourds à « la voix du corps », il serait très réducteur de ne voir dans Mademoiselle de Maupin qu’un roman libertin. La transgression de l’héroïne remet en cause les limites imposées à la condition féminine. Le travestissement de Madeleine est, paradoxalement, une voie d’accès à la vérité : en côtoyant les hommes, elle découvre et apprend à connaître cette autre moitié de l’humanité où elle est destinée à trouver un mari. Mais c’est surtout sur elle-même qu’elle apprend la vérité : « Sous mon front poli et mes cheveux de soie remuent de fortes et viriles pensées ; toutes les précieuses niaiseries qui séduisent principalement les femmes ne m’ont jamais que médiocrement touchée. »
L’androgynie qui définit Madeleine constitue l’idéal esthétique de d’Albert : la quête amoureuse de ce héros romantique illustre la tension entre l’aspiration à un idéal et l’amour de la réalité matérielle. Les deux personnages offrent ainsi une réflexion sur les rapports conflictuels entre l’esprit et le corps, entre le rêve et le réel.
Une célèbre préface
Aujourd’hui, le roman est surtout célèbre pour sa préface, qui est parfois éditée indépendamment de lui. Ce texte flamboyant par son sarcasme constitue la réponse à un violent article du journal Le Constitutionnel qui accusait Gautier d’immoralité, parce qu’il avait fait l’éloge de Villon, jugé également immoral. Gautier réplique en faisant la critique de la critique, qui juge la littérature à l’aune de critères absurdes : la littérature n’est pas au service de la société ni de la morale. Elle n’est pas liée à la notion de progrès mais à celle de plaisir. Gautier oppose l’utile et le beau, accable de son mépris le premier et prend résolument parti pour le second : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid ; car c’est l’expression de quelque besoin ; et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. — L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. » Le roman réalise ce programme de « l’art pour l’art » : la liberté et la quête du beau y caractérisent aussi bien l’écriture que le destin des personnages.